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 Edgar Morin, juste d’Israël ?

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mihou
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mihou


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Localisation : Washington D.C.
Date d'inscription : 28/05/2005

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28072008
MessageEdgar Morin, juste d’Israël ?

Edgar Morin, juste d’Israël ?




















Hannah Arendt condamnée le 27 mai 2005 par la cour d’appel de Versailles pour diffamation raciale après la publication de son Eichmann à Jérusalem (1)...
Inconcevable, mais possible. Aujourd’hui, rien n’empêcherait qu’elle
connaisse l’humiliation infligée aux signataires de l’article
« Israël-Palestine : le cancer », Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle
Sallenave, et à Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, où cet article avait paru le 4 juin 2002.

Le livre de Hannah Arendt est une analyse du procès Eichmann, auquel
elle a assisté en 1961. Elle y soutient la thèse de la « banalité du
mal », d’un Eichmann terne fonctionnaire, artisan consciencieux de la
« solution finale », expliquant ses actes par l’obéissance aux ordres
et aux lois. La controverse était inévitable. Mais l’évocation par
Hannah Arendt de la coopération de certains dirigeants juifs avec les
nazis, de ces Conseils juifs ayant accepté de désigner des victimes
pour théoriquement en sauver d’autres, allait enflammer le débat,
jusqu’à la mettre au ban de la communauté juive. Et le savant israélien
d’origine berlinoise Gershom Scholem lui reprochera de manquer d’« amour pour le peuple juif ». Ni les persécutions ni les souffrances ne rendent pourtant les individus et les peuples meilleurs. Hannah Arendt le savait.

Or, traînés devant les tribunaux par Avocats sans frontières,
représenté par Me Gilles William Goldnadel, et par l’association
France-Israël, dont le même est vice-président, les signataires de
l’article « Israël-Palestine : le cancer » ont été condamnés pour ne
pouvoir s’imaginer « qu’une nation de fugitifs issus du peuple le plus longtemps persécuté dans l’histoire de l’humanité (...) soit capable de se transformer en deux générations en peuple dominateur et sûr de lui, (...) [que] les juifs qui furent victimes d’un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens ». Tel est le genre de passages cités à l’appui du verdict qui les frappe.

Parmi les condamnés, il y a la figure inévitable du « traître juif », Morin, qui, à l’instar de Hannah Arendt, manquerait d’« amour » pour son peuple. Et à qui on reproche d’avoir la « haine de soi ».
Ce concept, forgé à la fin des années 1920, renvoie initialement au
comportement de ces juifs d’Europe centrale qui finirent par
intérioriser, parfois jusqu’au suicide, le rejet auquel ils étaient
confrontés de la part d’une société dont ils se sentaient partie
intégrante. Rien à voir là ni avec Morin ni avec d’autres juifs
critiques disqualifiés ainsi à bon compte seulement parce qu’ils ne
suivent pas la ligne dure de la communauté juive sur le conflit
proche-oriental. Le nouvel « antisémite » n’est plus celui qui hait le
juif, mais le juif démocrate incapable de fermer les yeux sur le sort
quotidien des Palestiniens placés sous occupation israélienne. Curieux
renversement augmentant sensiblement le nombre d’intellectuels
antisémites en Israël même ! Car il ne manque pas là-bas de juifs
clamant haut et fort, dans les médias, leur rejet des décisions de leur
gouvernement et n’hésitant pas à prendre des risques pour créer des
passerelles de rapprochement avec les Palestiniens... Eux le font
justement par « amour » d’Israël, un pays où ils continuent de vivre et qu’ils cherchent à rendre plus juste.

Un Morin ne pourrait que se sentir à l’étroit dans l’amour exclusif
et aveugle d’Israël et du peuple juif où voudraient nous enfermer
activistes communautaires et intellectuels juifs organiques. Lui se
contente de dire : « Parce que je suis d’origine juive, je suis sensible à l’humiliation. »
Nombreux sont en effet, dès le XIXe siècle, les intellectuels juifs
qui, à leur sortie du ghetto, s’engagent dans la lutte pour améliorer
la condition de tous les humiliés. Animés de cette flamme, ils
rejoignent les mouvements socialistes naissants, l’anarchisme, et plus
tard le communisme. Issus de milieux qui ne les destinaient pas
d’emblée à de tels engagements, ces jeunes se battent pour changer le
monde, et on peut porter cette volonté à leur crédit, même s’ils ont
échoué. De la même façon, des juifs américains ont longtemps soutenu
avec une ardeur semblable la lutte des Noirs contre les discriminations.

Entre conscience victimaire cultivée et identification à Israël, les
juifs de la diaspora risquent d’oublier qu’ils sont aussi des citoyens
du monde, ce qu’était Hannah Arendt, et comme Edgar Morin se plaît à se
définir lui-même. Dans le climat de terrorisme intellectuel qu’on
cherche à faire régner, il n’y a plus de place pour l’exercice libre de
la pensée, notre bien commun, fondement de notre condition
d’intellectuels, juifs ou non, à défendre coûte que coûte. Edgar Morin
et ses amis l’ont fait, et Le Monde a rempli son rôle en
publiant leur texte. Les journaux devront-ils désormais censurer les
articles ne se situant pas dans l’axe « officiel » de la communauté ?
Tous les juifs de France sont loin de s’y reconnaître, beaucoup
refusant de céder devant le spectre de l’antisémitisme renaissant,
agité dès que l’image d’Israël s’écorne dans l’opinion publique. Cette
instrumentalisation politique de l’antisémitisme mène en effet
inéluctablement à sa banalisation. A un certain moment, il finira par
ne plus alarmer grand monde.

Je n’insisterai pas sur le « pedigree » juif d’Edgar Morin,
résistant de la première heure. Ce serait déshonorant pour lui et pour
moi. Je ne chercherai pas à démontrer la bonne foi de ses
cosignataires, que ne saurait salir une accusation d’antisémitisme en
l’occurrence brandie à la légère. Que l’antisionisme confine dans
certains milieux à l’antisémitisme, nul ne le niera. Ces débordements
justifient la vigilance. Mais Edgar Morin et ses amis ne sont pas des
antisémites. On peut ne pas souscrire à l’ensemble de leurs propos, de
leurs écrits, à leur manière de présenter leurs idées. Fallait-il pour
autant les traîner au tribunal ?

Me Goldnadel et ses amis se sont fait une spécialité d’attaquer en
justice ceux qu’ils soupçonnent d’antisémitisme, à savoir ceux dont ils
désapprouvent l’interprétation du conflit israélo-palestinien.
Jusqu’ici, ils ont en général perdu leurs procès. Morin et ses
cosignataires ont d’abord été relaxés en mai 2004 par le tribunal de
grande instance de Nanterre. Un an plus tard, en appel, les voilà
condamnés par la cour de Versailles. Tandis que, curieusement, en appel
toujours, mais à Paris, Mbala Mbala Dieudonné, lui, a vu sa relaxe
confirmée le 7 septembre dernier. On ne juge pas la justice. On peut
s’étonner de ses incohérences. Le silence récent des champions de la
vigilance, lui-même sans doute indissociable de la relative accalmie au
Proche-Orient, aurait-il joué en faveur de Dieudonné ?

La France est le seul pays où L’Industrie de l’Holocauste (2), de Norman G. Finkelstein, a valu un procès à son auteur, à son éditeur et au journal Libération,
qui en avait rendu compte. A sa sortie aux Etats-Unis, le même ouvrage
a recueilli des critiques parfois musclées, mais personne n’a songé à
lancer une procédure. Qu’est-ce donc qui pousse la France à de tels
errements ? La peur de ne pas débusquer l’antisémitisme à temps ni
assez clairement ? La culpabilité du génocide ? Une ancienne tradition
de terrorisme intellectuel ? Je n’ai pas de réponse, mais je sais
comment on fait marcher la peur.

Lorsque, à la suite de la condamnation des signataires de l’article du Monde,
une pétition est publiée, l’assistante de Morin reçoit, le 24 juin, un
courriel révélateur de l’état d’esprit de certains. On y traite Morin
de « juif honteux » et on y annonce qu’on viendra lui casser la
figure ainsi qu’à son assistante. Quant à moi, simple signataire de la
pétition, je reçois à mon tour un courriel daté du même jour me
prédisant un avenir « tout tracé », celui de présidente du prochain Judenrat (Conseil
juif) ! Sans doute, au bas de cette pétition, s’étaient glissées
certaines signatures qu’on aurait pu éviter. L’auteur du courriel qui
m’était envoyé me reprochait ainsi de voisiner avec Alain de Benoist,
et comparait ce voisinage à celui « de Mme Arendt avec le nazi Heidegger » (sic).
Notons en passant que le héros de la lutte contre l’antisémitisme, Me
Goldnadel lui-même, n’hésitait pas, en 1999, à signer aux côtés d’Alain
de Benoist une pétition contre l’attaque de la Serbie. Mais les temps
changent, n’est-ce pas ?

Lorsque, dans un avenir proche, espérons-le, deux Etats, l’un
israélien et l’autre palestinien, réussiront à vivre côte à côte dans
la paix et la justice, les juifs s’enorgueilliront sans doute d’avoir
compté parmi eux des intellectuels comme Morin ayant défendu, en de
sombres temps, la cause des Palestiniens. Cette paix à venir, et
seulement cette paix-là, peut garantir la pérennité de l’Etat d’Israël.
Et si c’était cela, l’« amour du peuple juif » ? L’histoire
finira bien, comme elle l’a toujours fait, par balayer la cohorte des
censeurs pour ne retenir que la dignité de ces hommes et de ces femmes
qui n’ont pas plié. L’honneur enfin retrouvé, nos condamnés
d’aujourd’hui auront alors la possibilité de signer ensemble un nouvel
article, dont le titre pourrait être : « Israël-Palestine : la paix ».





Esther Benbassa.




























Conflit israélo-arabe,
Identité culturelle,
Judaïsme,
Justice,
Seconde guerre mondiale,
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Israël,
Proche-Orient








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Esther Benbassa



Directrice
d’études à l’Ecole pratique des hautes études, titulaire de la chaire
d’histoire du judaïsme moderne. Auteure, entre autres, de La République face à ses minorités. Les juifs hier, les musulmans aujourd’hui, Mille et une nuits - Fayard, Paris, 2004.









(1) Gallimard, coll. « Folio », Paris, 1991.

(2) La Fabrique, Paris, 2001.

Voir le courrier des lecteurs dans notre édition de décembre 2005, ainsi que « La valise diplomatique » du 20 juillet 2003, « La condamnation d’Edgar Morin annulée ».



















Édition imprimée

— octobre 2005
— Page 32


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