Les Echos, no. 19670
France, vendredi 19 mai 2006, p. 3
Politique
Immigration : Nicolas Sarkozy peine à expliquer son projet aux pays d'émigration
CARINE FOUTEAU
Son projet de loi n'est pas encore définitivement adopté - les sénateurs doivent l'examiner à partir du 6 juin - que déjà Nicolas Sarkozy a pris en charge son service après-vente. Attendu mercredi soir à Bamako, au Mali, à sa descente d'avion par un comité d'accueil peu fourni mais déterminé, hué hier lors de son départ du consulat général où il s'informait de la mise en place des équipements biométriques, le ministre de l'Intérieur français a indiqué qu'il était venu pour « lever les malentendus » et « expliquer » son texte aux autorités maliennes et béninoises.
Mais, pour cela, il a été contraint de réorienter son discours : alors que, jusqu'à présent, il affirmait que l'immigration « choisie » se justifiait par la nécessité pour la France de sélectionner les personnes entrant sur le territoire en fonction des besoins du marché du travail, il a dû ajouter un nouveau volet : « L'immigration choisie, cela veut dire choisie des deux côtés, par la France mais aussi par le pays d'origine. Cela veut dire qu'on choisit ensemble. »
Une mise en oeuvre encore floue
Telle est la position acrobatique qu'il devait tenir devant le président de la République du Mali, Amadou Toumani Touré, avec lequel il s'est entretenu hier, avant de se rendre, aujourd'hui, au Bénin. C'est aussi cette ligne qu'il a défendue devant des représentants de la société civile malienne, à l'occasion d'un débat très houleux, sans réussir à les convaincre. Accusé de favoriser la « fuite des cerveaux » avec la nouvelle carte « compétences et talents » valable trois ans, Nicolas Sarkozy a esquissé les contours d'un nouveau dispositif, qui reste flou quant à sa mise en oeuvre : « Les élites, les intellectuels que l'on acceptera en France devront s'engager à investir de leur temps ou à revenir dans leur pays d'origine : ainsi, il y a plus de médecins béninois en France qu'au Bénin. Demain, celui qui aura fait cinq ou six ans d'études en France devra revenir exercer sa profession dans son pays. » « Alors qu'aujourd'hui les visas sont délivrés en fonction de la place dans la salle d'attente, la France pourrait donner des points à ceux qui veulent travailler dans telle ou telle filière », a-t-il ajouté en marge des rencontres officielles.
Comme gage de sa volonté de prendre en compte les intérêts de pays d'émigration, il a aussi proposé la création d'une formule de « comptes épargne développement » qui consisterait à « exonérer d'impôt sur le revenu les sommes épargnées par les migrants dès lors qu'elles auraient pour finalité de financer des projets économiques dans le pays d'origine » (environ 180 millions d'euros sont transférés chaque année par la communauté malienne en France vers le Mali, selon les estimations du ministère de l'Intérieur). Ce dispositif devrait être créé, par voie d'amendements, lors du passage du projet de loi sur l'immigration au Sénat.
Ces quelques gestes n'ont pas empêché Nicolas Sarkozy de durcir le ton à l'égard de ceux qui lui reprochent « une loi raciste ». Comme s'il espérait qu'une dose d'agitation dans les rues maliennes attire l'attention d'une partie de la droite de la droite française.
CARINE FOUTEAU