Le Nouvel Observateur, no. 2163
Jeudi 20 avril 2006, p. 12,13
Dossier
Plus de 600 000 départs en dix ans
Partir et réussir à l'étranger
Les Français sont de plus en plus nombreux à rêver d'ailleurs. Pour voir du pays, trouver un emploi, vivre une vie meilleure. Leurs destinations fétiches : Londres, Barcelone, Montréal, Shanghai ou Sydney, où prospèrent déjà d'importantes communautés d'expatriés. Comment se lancer et faire son trou dans ces mégapoles convoitées ? « Le Nouvel Observateur » a mené l'enquête
Sylvain Courage
Débarquée il y a quinze ans à Sydney, Corinne Bot, consultante en ressources humaines, a monté sa boîte : Polyglot, une société de conseil et d'interprétariat qui emploie 25 salariés et réalise 1,7 million d'euros de chiffre d'affaires. A Londres, Olivier Fleurot, ancien ingénieur et journaliste, est devenu directeur général de Financial Times Publishing, la société éditrice du plus prestigieux quotidien financier au monde. Une institution de la City. A Montréal, Guy Cogeval, conservateur reconnu mais un tantinet frustré à Paris, s'épanouit à la tête du Musée des Beaux-Arts local et monte enfin des expos qu'il n'a «jamais pu réaliser en France à cause du poids de la bureaucratie». Trois parcours, trois exemples de « ces Français qui réussissent à l'étranger » mis à l'honneur, le 4 mars dernier, par un colloque du Sénat. Les expatriés? «Une chance pour la France», ont martelé les participants qui ont abordé toutes les étapes d'un chemin encore semé d'obstacles : fiscalité, protection sociale, scolarité, aide à la création d'entreprises...
Comment ignorer le phénomène ? Nos compatriotes sont de plus en plus nombreux à être tentés par l'aventure. Partir, trouver un emploi et faire sa vie sous d'autres cieux. La vieille nation réputée casanière s'ouvre à tous les horizons. Les chiffres officiels d'immatriculation dans les consulats de France l'attestent : au total, la population d'expatriés dûment enregistrés atteint 1,2 million d'individus, une diaspora qui a augmenté de 40% en dix ans. «C'est un mouvement de fond, confirme Jean-Pierre Evain, le directeur de la Maison des Français de l'Etranger, qui croule sous les demandes d'information. Mais nos dirigeants politiques ont encore du mal à faire face. Ils pensent que c'est un signe de faiblesse, déplorent la «fuite des cerveaux»...»
Il est vrai que les motivations des candidats à l'envol sont multiples. Passons sur le cas des cadres détachés à l'étranger pour parfaire leur CV et développer les activités des grands groupes. Ces « expats »-là, qui bénéficient de conditions fort avantageuses, se font de plus en plus rares. Trop coûteux, ils cèdent la place à des managers locaux de mieux en mieux formés. Désormais, les Français de l'étranger qui se pressent aujourd'hui au portillon sont plutôt des jeunes - moyenne d'âge 30 ans - porteurs de projets individuels. Alors pourquoi au juste se lancent-ils ? Par goût, tout d'abord. La plupart des formations supérieures aujourd'hui dispensées en France comportent un stage, voire une année de travail ou d'études à l'étranger. Et grâce à Erasmus, programme européen d'échanges universitaires, les petits Français apprennent à voir du pays. C'est heureux. Mais cette vision idyllique des voyages qui forment la jeunesse ne doit pas masquer que les 20-30 ans s'expatrient aussi - et surtout - pour conjurer le chômage, pour fuir une société « bloquée », pour gagner des contrées où la couleur de la peau et la consonance d'un nom ne constituent pas des obstacles à l'embauche. Ajoutez-y tous ceux qui pensent que le mérite individuel, l'esprit d'entreprise sont mieux appréciés à Londres, New York, Montréal ou Shanghai, et vous comprendrez pourquoi les métropoles « mondialisées » où les salaires sont élevés et les prestations sociales parcimonieuses ont la cote. Mais gare au retour de balancier ! Passés les années pionnières et les enthousiasmes de l'installation, nos envoyés spéciaux ont constaté qu'il est souvent difficile de tenir. Fonder une famille peut notamment se révéler périlleux. Tout s'additionne : les assurances, la scolarité, le coût du logement... Et bien des Français de Londres, Montréal ou New York retrouvent alors quelques mérites au système tricolore, aussi essoufflé soit-il. Pour réussir, mieux vaut donc soigneusement préparer son affaire. De l'avis de tous les experts, partir sur un coup de tête, sans projet précis, sans connaissance préalable de la langue limite sérieusement les chances de réussite. Ceci vaut à Sydney comme à Barcelone...
Sylvain Courage