MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE
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 BANLIEUES

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mihou
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mihou


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20092006
MessageBANLIEUES

OCTOBRE - NOVEMBRE 2006


BANLIEUES


Trente ans d'histoire et de révoltes


(en vente dans les kiosques : 7 euros)


___________ s o m m a i r e ________________


Une révolte française.
Ignacio Ramonet

I. UN AN APRÈS

Il est 18 h 12, le 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois,
lorsque Bouna Traoré (15 ans) et Zyed Benna (17 ans) meurent
électrocutés dans un transformateur -- Muhittin Altun
(17 ans) survivra à ses brûlures. Tous trois revenaient d'un
tournoi de football quand ils virent arriver une voiture de
police. Pas question de se faire prendre : leurs parents les
attendaient pour l'iftar, la rupture du jeûne du ramadan.
C'est pourquoi ils coururent se cacher. Averties du danger,
les autorités policières n'ont rien fait... D'où la colère,
attisée, trois jours plus tard, par le tir d'une grenade à
l'entrée de la mosquée Bilal.

Ainsi commence la plus grande révolte qu'aient connue les
banlieues françaises : elle durera trois semaines, gagnera
200 villes, détruira 10000 véhicules et nombre
d'infrastructures pour une valeur de 250 millions d'euros.
Et le « retour à la normale » nécessitera l'instauration de
l'état d'urgence, le déploiement de 11000 policiers et
l'interpellation de 5000 personnes, dont 600 seront bientôt
condamnées à des peines de prison...

Pourquoi cette explosion ? Aucune explication monocausale ne
suffirait à répondre. L'émeute défie à la fois l'austérité
néolibérale, la ségrégation par l'urbanisme, les
discriminations à l'encontre des enfants de la colonisation,
le mépris pour la jeunesse et les violences policières, le
désert politique de quartiers délaissés par la gauche, etc.

Rien là de défaillances conjoncturelles : cette faillite, en
premier lieu en matière de politique de la ville et
d'immigration, tous les gouvernements depuis trente ans --
de droite, donc, mais aussi de gauche -- en partagent la
responsabilité.

Les raisons d'une colère.
Laurent Bonelli

Casser l'apartheid à la française.
Dominique Vidal

Comment la droite américaine exploitait les émeutes.
Serge Halimi

Un « new deal » pour l'école.
Georges Felouzis et Joëlle Perroton

Quartiers populaires et désert politique. (inédit)
Abdellali Hajjat


___________________ PUBLICATIONS ______________________

Pratique et culturel,l'agenda du Monde diplomatique
vient de paraître

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____________________________________________________

II. SÉGRÉGATION URBAINE

La chronologie qui court tout au long de ces pages tient de
l'inventaire à la Prévert : voici, trente ans durant, une
valse de ministres chargés de la ville, une floraison de
comités, de commissions et de groupes en tout genre destinés
à repenser l'urbanisme, une litanie de plans, programmes et
autres opérations pour les banlieues... Avec quel résultat ?
Celui qu'on a pu mesurer en octobre-novembre 2005 !

Encore faut-il prendre conscience du caractère
multidimensionnel de l'échec de la « politique de la
ville ». Il soulève la question -- quasiment philosophique
-- du phénomène d'urbanisation lui-même. Il incrimine les
architectes. Il résulte aussi, plus prosaïquement, du
sacrifice du logement populaire. Il questionne le tissu
social et les conséquences qu'ont sur lui précarité et
austérité, ségrégation et... désinformation. Il invite à
déceler, derrière les problèmes économiques et sociaux, ce
qui tient à l'héritage de l'histoire et qui pèse en
particulier sur les rapports entre populations issues de
l'immigration et françaises « de souche ». Il met, du coup,
en évidence le risque de replis communautaires. Il
interpelle enfin les partis de gauche et leur incapacité à
animer un mouvement dans les cités...

De Trappes à Dreux et de Sarcelles à Gennevilliers, en
passant par Amiens, l'enquête sur le terrain confronte ici
la réflexion générale à son objet local...

La gauche et les cités, un rendez-vous manqué.
Olivier Masclet

Le logement social entre pénurie et ségrégation.
François Ruffin

L'architecte, l'urbaniste et le citoyen.
Thierry Paquot

Trappes, la ville qui tient.
Nicolas Truong

Replis communautaires à Sarcelles.
Akram B.Ellyas

Ce que Dreux nous a appris.
Paul Moreira

Métamorphoses planétaires.
Henri Lefebvre



III. ENFANTS DE L'IMMIGRATION

« Coloniale » : ceux qui qualifient ainsi la société
française contemporaine oublient les changements intervenus
dans la situation, la place et l'image des immigrés et de
leur descendance. Les grands bidonvilles ont disparu.
Maghrébins et Africains ne rasent plus les murs. Beurs et
blacks accèdent en masse à des métiers dont leurs parents
étaient exclus. La fréquence des assassinats racistes -
commis par des policiers ou des « tontons flingueurs » -
a diminué...

La République, pour autant, ne traite pas encore également
tous ses enfants. La majorité de ceux de l'immigration
subissent toujours la ghettoïsation, les discriminations
dans l'accès à la formation, à l'emploi, à la santé et à la
culture, ainsi que l'humiliation du racisme et d'une
répression ciblée. Autant de signes d'une société
« postcoloniale », au sens où les méfaits de l'impérialisme
français ont marqué les pays et leurs mentalités de part et
d'autre de la Méditerranée.

On y verrait un échec du « modèle français
d'intégration »... si celui-ci existait vraiment, ce que
bien des historiens et des sociologues contestent. Sont
indéniables, en revanche, les obstacles - économiques,
politiques, juridiques, idéologiques et psychologiques -
qui freinent l'évolution vers l'égalité des droits et des
chances.

« L'immigré... mais qui a réussi ».
Mathieu Rigouste

Les femmes des quartiers sortent de l'ombre.
Marina Da Silva

Il n'y a pas de « modèle »
Gérard Noiriel

Enseigner dans des banlieues perdues.
Maurice Lemoine

Logique du « tri », politique des quotas.
Alain Morice

Dans l'étau policier.
Christian de Brie

Ces « étrangers » si coupables, si vulnérables.
Alain Gresh

Insécurité et racisme de crise.
Albert Lévy

Xénophobie ouvrière à la fin du xixe siècle.
Michelle Perrot

Retour sur une flambée de violence.
Denis Duclos
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BANLIEUES :: Commentaires

Révolte des banlieues

Casser l’apartheid à la française



Par Dominique Vidal





« On s’aimait pas alors tout nous était égal
On nous aimait pas alors on a fait du mal. »
Magyd Cherfi, chanteur, ex-leader du groupe Zebda.

Pour qu’une poudrière explose, il faut à la fois de la poudre et un détonateur. Sans détonateur, la poudre n’exploserait pas. Sans poudre, le détonateur ferait long feu. Ce qui s’est passé dans les banlieues françaises depuis la fin du mois d’octobre relève d’abord de cette simple évidence.

Poussé par ses ambitions présidentielles à une surenchère permanente sur le premier ministre Dominique de Villepin, comme sur les leaders rivaux de l’extrême droite Jean-Marie Le Pen et Philippe de Villiers, le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy a visiblement mis le feu pour mieux se vanter de l’éteindre. Et sa provocation verbale a résonné telle une incitation à la provocation pratique aux oreilles de certains policiers tentés de se comporter en une armée coloniale dans des banlieues majoritairement peuplées de populations, pourtant françaises, d’origine arabe ou africaine. « Chassez le naturel, il revient au galop » : quel symbole, en effet, que le choix, comme fondement du recours au couvre-feu, d’une loi d’exception de 1955, laquelle permit notamment le massacre de plusieurs dizaines d’Algériens de la région parisienne le 17 octobre 1961, et, le 5 mai 1988, de dix-neuf militants kanaks dans la grotte d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie !

C’est donc l’annonce du « nettoyage au Kärcher » de la « racaille » des cités, suivie, à Clichy-sous-Bois, de la mort de deux adolescents dans un transformateur EDF (1) et du jet d’une grenade devant la mosquée Bilal, qui a donné le signal de l’escalade. Que le ministre de l’intérieur aurait sans doute stoppée net s’il s’était rendu sur place pour s’excuser. Mais souligner les responsabilités écrasantes de M. Sarkozy est une chose, lui faire porter – et à lui seul – le chapeau en est une autre. Les dirigeants socialistes s’y sont risqués, non sans une bonne dose d’hypocrisie. Il y a un an, la très officielle Cour des comptes leur avait répondu par avance : « Cette situation de crise n’est pas le produit de l’immigration. Elle est le résultat de la manière dont l’immigration a été traitée. (...) Les pouvoirs publics sont confrontés à une situation qui s’est créée progressivement au cours des récentes décennies (2). » On ne saurait mieux dire la faillite de trente ans de gouvernements de droite, mais aussi – malgré certains efforts à la marge – de gauche : les banlieues concentrent tous les maux dont souffrent les catégories populaires.

Quelques idéologues, atteints de « complotite », ont prétendu déceler derrière les événements la main de la délinquance organisée et des islamistes. La quasi-totalité des observateurs a au contraire insisté sur le caractère spontané de l’explosion. Chacun sait que les vrais trafics prospèrent dans le calme. Quant aux responsables religieux, ils ont joué les médiateurs – jusqu’à cette étrange fatwa antiviolences de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) (3). Mais surtout, qui pourrait rendre quelques voyous ou quelques « frères » responsables de la ghettoïsation de 752 zones urbaines sensibles (ZUS), où vivent environ cinq millions de personnes ? Conjugué avec les discriminations et le racisme qui frappent les jeunes Arabes et Noirs, cet apartheid urbain, négation brutale du « modèle français d’intégration », suffit, comme Laurent Bonelli le montre (pages 22 et 23), à expliquer l’actuelle explosion. Bref, tout ce que l’affaire du voile dissimulait apparaît enfin au grand jour.

Jamais les événements de Clichy-sous-Bois n’auraient eu de telles répercussions si les quartiers dits sensibles ne s’étaient trouvés au carrefour de trois crises exacerbées : une crise sociale, une crise postcoloniale et une crise de représentation politique. Lesquelles appellent désormais des solutions globales, rompant avec la logique néolibérale mise en œuvre par la droite après l’avoir été par une bonne partie de la gauche...

Voilà sans doute pourquoi la classe politique, ralliée dans son immense majorité au slogan gouvernemental « Ordre et justice », s’est montrée beaucoup plus prolixe sur le premier terme que sur le second. Cette tendance à faire l’impasse sur la question, pourtant décisive, de l’issue pourra-t-elle perdurer, une fois le calme – provisoirement – revenu ? L’avenir des banlieues mérite en tout cas réflexion, débat et action.
Rêve d’égalité

Lorsque le terme « intégration » fait son apparition dans les années 1980, il séduit : contrairement à l’« assimilation », il semble admettre le respect de la culture, des traditions, de la langue et de la religion des nouveaux citoyens français. Mais, à l’usage, il s’avère piégé. Dès lors que l’intégration ne fonctionne pas, c’est en effet vers les jeunes des banlieues que se pointe un doigt accusateur, comme pour leur demander : « Pourquoi ne faites-vous pas l’effort de vous intégrer ? » Au lieu de se tourner vers une société incapable d’assurer l’égalité des droits et des chances à tous ses enfants, quelles que soient leur origine, la couleur de leur peau, la consonance de leurs prénom et nom, leur confession.

Et la simple morale rejoint, ici, l’intérêt national. Car les fils et les filles des immigrés d’hier n’ont guère de chances de vivre et de faire vivre à leur descendance une vie décente s’ils ne prennent pas toute leur place dans la société française. Mais cette dernière n’a également guère de chances de sortir de la crise globale qu’elle traverse si elle se prive de l’apport, des énergies et des compétences d’un dixième de sa population. C’est un des enjeux décisifs des prochaines décennies.

Comment y parvenir ? Certainement pas en réduisant les moyens consacrés au fonctionnement et à la rénovation. Depuis l’élection de M. Jacques Chirac à la présidence de la République, en mai 2002, les banlieues ont été les premières victimes des réductions budgétaires mises en œuvre au nom du sacro-saint pacte de stabilité de l’Union européenne. Ainsi les gouvernements de droite ont-ils réduit les crédits destinés à la reconstruction des habitats les plus dégradés, supprimé les centaines de milliers d’« emplois-jeunes » et d’« aides-éducateurs », diminué le nombre des enseignants et autres fonctionnaires, taillé dans les subventions aux associations, sacrifié la police de proximité au déploiement de forces d’intervention, etc. Le « plan » annoncé le 8 novembre par le premier ministre Dominique de Villepin se contente de rétablir une petite partie de ces crédits supprimés par son prédécesseur – et en profite pour remettre en cause la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans instaurée par le général de Gaulle en 1959 !

Au-delà, pour l’essentiel du personnel politique, la solution résiderait dans la promotion d’une petite élite issue de l’immigration, dont les membres, en échange de leur réussite sociale, se chargeraient de maintenir l’ordre parmi les leurs. Nul mieux que M. Sarkozy n’a formulé cette vision : tel le Dr Jekyll et Mr Hyde, l’homme de l’ordre se veut aussi celui du changement, ex-partisan de la suppression de la double peine, parrain du Conseil français du culte musulman (CFCM), hésitant quant à la loi sur les signes religieux à l’école, tenant de la « discrimination positive » et même du droit de vote des immigrés aux élections municipales. A côté, le « rapport secret » du secrétaire du Parti socialiste chargé de l’immigration, M. Malek Boutih, paraissait singulièrement réactionnaire – à tel point qu’il fut finalement jeté aux oubliettes de la rue de Solferino (4).

Il n’est évidemment pas question de mépriser les « petits changements », à condition, bien sûr, qu’ils aillent dans la bonne direction. Ainsi de la convention signée par l’Institut d’études politiques de Paris avec un certain nombre de lycées des zones d’éducation prioritaires (ZEP). D’aucuns craignaient que, entrés sans passer le concours, les jeunes issus des banlieues deviennent des étudiants au rabais. Il n’en a rien été : tous ou presque figurent rapidement parmi les éléments les plus brillants de Sciences Po ; reste à savoir si leur entrée dans la vie active sera aussi réussie. Et le succès de cette expérience a suscité dans les lycées de quartiers défavorisés un certain espoir, entretenu par le tutorat qu’assurent nombre de ces « grands frères ». On imagine sans mal la percée que représenterait la généralisation de ce « coup de pouce » – sur base sociale, et non ethnique – à toutes les grandes écoles. Mais n’en exagérons pas la portée : elle ne concernerait en tout état de cause que quelques centaines d’étudiants sur les millions de jeunes ghettoïsés.

Pour répondre à l’attente de l’immense majorité des populations des banlieues, ce qui est à l’ordre du jour, ce n’est pas une addition de mesures partielles, mais, pour reprendre l’expression du député communiste de Seine-Saint-Denis Patrick Braouezec, un « Grenelle des banlieues ». Le récent rapport de l’Observatoire national des ZUS confirme que, par rapport à la moyenne nationale, le taux de chômage comme l’échec scolaire y sont deux fois plus élevés, le revenu fiscal moyen inférieur de 40 %, les « établissements de pratique médicale » deux fois moins nombreux, la délinquance supérieure de moitié (5)... Comment inverser ces tendances si ce n’est en procédant à des réformes radicales bénéficiant, qui plus est, de financements massifs ?

Casser la ghettoïsation suppose d’accélérer considérablement à la fois la rénovation des villes pauvres et le développement de la mixité dans les villes riches, ce qui exige des dizaines de milliards d’euros et une volonté politique se traduisant par des mécanismes de nature à imposer à tous la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains (SRU) – dont le député-maire UMP d’Argenteuil Georges Monthron déclarait récemment : « Si on n[e l’]applique pas (...), on va vers l’explosion urbaine (6). » Pareillement, comment venir à bout de l’échec scolaire dans les banlieues sans redéployer des moyens matériels et humains considérables ? De même, l’offensive indispensable contre le chômage implique un formidable effort de création d’emplois publics et privés, bien au-delà de ces zones franches urbaines (ZFU) qui apportent plus d’exonérations fiscales que d’embauches locales. S’il ne coûte rien financièrement, le combat contre le racisme, dans son expression verbale et physique, mais aussi à travers les discriminations de tout ordre, suppose une détermination sans faille, à rebrousse-poil des réflexes ancrés dans l’histoire... Autant d’objectifs essentiels, sur lesquels le débat devrait se centrer, afin de définir des propositions précises permettant de les atteindre aussi rapidement que possible.

Encore faut-il que ces suggestions deviennent objet de mobilisation sociale à l’échelle nationale – en banlieue comme ailleurs, le combat pour le logement, pour l’école, pour l’emploi, pour le service public rassemble toutes les forces populaires –, mais aussi dans les cités elles-mêmes. Or celles-ci forment, à de rares exceptions près, des « déserts politiques ».
Guérilla rampante

Car la gauche traditionnelle les a désertées, même si le Parti communiste y conserve des bastions, plus institutionnels que militants (7). L’altermondialisme n’y a pas pris racine. Et, deux décennies après la Marche pour l’égalité de 1983 puis sa récupération par SOS-Racisme, le mouvement associatif autonome reste peu structuré, profondément divisé et coupé de la jeune génération. C’est sans doute pourquoi la réaction au drame de Clichy a pris la forme d’une explosion de violences contre tous les symboles de la ghettoïsation, faute d’un espace politique où puissent converger les aspirations de ces jeunes et celles de l’ensemble des forces progressistes. Mais ces « jacqueries » d’un nouveau style répondent aussi au « mur » qu’oppose aux revendications un pouvoir condamné, depuis des années, dans les urnes comme dans la rue...

Cette faiblesse structurelle est d’autant plus grave que le temps presse. La question des banlieues devrait désormais devenir une des principales préoccupations de la vie politique française. Remettre à plus tard les réformes indispensables, ce serait prendre le risque d’élargir la fracture entre la France intégrée et la France ghettoïsée (immigrée et française « de souche »), avec à terme le danger d’une sorte de guérilla rampante, dont la répression (voir « Dépeçage des libertés publiques ») ne viendra certainement pas à bout. Comme le disait, il y a quelques mois, Tarek, pourtant un des heureux élus de Sciences Po : « Qu’ils permettent aux deuxième et troisième générations de jouir enfin de droits égaux. Sinon, un jour, Ma 6-T va cracker (Cool ne sera plus un film, mais la réalité effrayante de quartiers pourrissants (9). » En novembre 2005, le compte à rebours a commencé.
Dominique Vidal.

-Les raisons d’une colère, par Laurent Bonelli
-Décryptage
-Casser l’apartheid à la française, par Dominique Vidal
-Comment la droite américaine exploitait les émeutes, par Serge Halimi
-Un « New Deal » pour l’école, par Georges Felouzis et Joëlle Perroton
-Dépeçage des libertés publiques, par Nuri Albala et Evelyne Sire-Marin
mihou
Le mal-être arabe. Enfants de la colonisation
Message Mer 20 Sep - 23:04 par mihou
Le mal-être arabe. Enfants de la colonisation
Dominique Vidal et Karim Bourtel

« Le mal-être de centaines de milliers d’immigrés et de fil(le)s d’immigrés nord-africains a d’évidence des causes anciennes et profondes, qui minent le “modèle républicain”. Souffrent-ils, comme disent certains, d’une schizophrénie identitaire ou plutôt des discriminations dont ils sont victimes dans tous les domaines – logement, éducation, emploi, santé, culture ? Le sort que cette société leur réserve a-t-il un lien, et lequel, avec la longue histoire coloniale de la France ? Les enfants de l’immigration subissent-ils le carcan de l’islam, jugé irréformable et accusé de servir de terreau à toutes les violences – délinquance, actes antisémites ou machistes, voire terrorisme ? À moins qu’une certaine islamophobie ne s’ajoute au vieux racisme anti-arabe, alimentée par la “guerre anti-terroriste” – et ses relais médiatiques – menée par les États-Unis depuis le 11 septembre 2001 ?

Deux décennies après la “marche des Beurs”, où en est le mouvement des jeunes issus de l’immigration ? L’action commune entre musulmans et non-musulmans contre l’exclusion augure-t-elle d’un renouveau de leur action et de leur alliance avec les forces altermondialistes ? Mais pour quel objectif ? Afin que les enfants de l’immigration s’“intègrent” à la société française – mais à la seule manière d’une reddition sans condition ? Ou pour que celle-ci leur garantisse enfin l’égalité des droits et des chances sans laquelle il n’y a pas de possibilité de vivre ensemble, dans le respect des différences ? »

http://www.monde-diplomatique.fr/livre/lemaletrearabe/extrait
mihou
Chapitre III : Du racisme comme système
Message Mer 20 Sep - 23:05 par mihou
Chapitre III : Du racisme comme système
Dominique Vidal et Karim Bourtel

Vaulx-en-velin (Rhône), 25 septembre 2004. Sérieusement perturbé, Rafik, 23 ans, vit quatre à cinq mois par an en hôpital psychiatrique. Rentré depuis quinze jours chez sa mère, il s’aventure dehors pour boire un verre. Trois policiers entrent pour un contrôle d’identité. Gauche, Rafik essaie de sortir. Il est aussitôt rattrapé et jeté à terre sans ménagement. Des témoins signalent sa fragilité mentale. En vain. « Les policiers lui sont littéralement tombés dessus », relate son avocate, Marie-Noëlle Fréry, citant les témoins. Le certificat médical énumère : hémorragie à l’œil, points de suture au menton, plusieurs hématomes sur le corps, dermabrasion des genoux (1) et « état de choc important chez cette personne schizophrène sous neuroleptique ». Arrêt de travail de cinq jours. Prévenue de l’arrestation de Rafik, sa mère, seule avec quatre enfants après le suicide de son mari suite à son licenciement, se rend au commissariat central pour prévenir les policiers, ordonnance et médicaments sous le bras, de l’état de santé de son fils. Réponse d’un officier de police judiciaire : « Vous voulez rejoindre votre fils en garde à vue ? » Les médicaments n’arriveront jamais jusqu’à Rafik, gardé 24 heures au poste, dont il ressortira avec une convocation au tribunal pour outrage et rébellion. Rafik a rechuté.

Cas isolé ? Pas vraiment. Tour à tour, les syndicats de la magistrature et parfois même des policiers en tenue, des associations de quartier ou de défense des droits de l’Homme alertent sur les conséquences de la « culture du résultat » encouragée par Nicolas Sarkozy lorsqu’il dirigeait la place Beauvau. Dans son rapport 2003 sur la France, Amnesty international écrit : « Les cas de brutalités policières ont été le plus souvent liés à des contrôles d’identité […] Ces contrôles – qui ont conduit, au cours des dernières années, à l’accroissement du nombre d’infractions pour “outrage” ou “rébellion” – étaient le plus souvent pratiqués dans des quartiers dits “sensibles”, dont une grande partie des habitants sont des jeunes d’origine non européenne. » Et la commission Citoyens-justice-police précise que, entre juin 2002 et juin 2004, 60 % de victimes de violences policières sont des étrangers, et, pour les 40 % restants, « à quelques exceptions près, leur nom ou leur apparence peut laisser penser qu’elles sont d’origine étrangère (2) ». Doit-on considérer ces bavures comme les dommages collatéraux de la « reconquête » des quartiers ? Ancien président de SOS-Racisme, Malek Boutih assure élégamment qu’« on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». Les statistiques publiées en 2003 par l’Inspection générale des services (IGS), qui enquête – entre autres – en cas de plaintes contre des violences policières, font état d’un accroissement significatif de celles-ci en région parisienne : 432 en 2002 contre 216 en 1997. À l’échelon national, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) confirme cette hausse : + 9,1 % en 2003 (3).

Or, en matière de justice, les « minorités ethniques » jouent rarement le rôle du plaignant. Habitude d’être éconduits, cherté de la justice, traitement inégalitaire ? Un peu des trois, pense Marie-Noëlle Fréry : « Pour les gens des quartiers populaires, de surcroît issus de l’immigration, l’accès à la justice tient du parcours du combattant », constate l’avocate. Reste l’aide juridictionnelle (AJ). Sauf que, sur 1 900 avocats, Lyon ne compte que 300 volontaires. « Et certains confrères ne s’intéressent pas aux bénéficiaires de l’AJ de la même façon qu’aux “clients” qui les paient. D’autres, par manque de moyens (à Lyon, 40 % des avocats gagnent moins de 1 220 euros par mois), n’ont pas de code pénal à jour – alors que la loi Perben en a modifié le tiers. » Pour ceux qui pourraient en bénéficier, l’aide juridictionnelle fait souvent figure de « petit droit ».

Chargé de recherche à l’unité Migrations et société (URMIS) du CNRS, François Vourc’h, 55 ans, livre un exemple traduisant, partiellement, la résignation des minorités : « Une personne téléphone au 114, le numéro gratuit destiné aux victimes de discrimination, pour se plaindre de mauvais traitements policiers. Sa fiche est transmise à la Commission d’accès à la citoyenneté (CODAC) et confiée pour examen à la préfecture de police. Cette dernière, contrainte de répondre, finit par répliquer qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’investigation, le plaignant ayant été précédemment condamné pour “rébellion contre agents de la force publique”. (4) » D’après le Groupe d’études et de lutte contre les discriminations (GELD), 8 % des signalements mettent en cause la police. Même le président de la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS), Pierre Truche, s’est dit « frappé par la fréquence statistique [parmi les victimes de violences policières] de personnes étrangères ou ayant des noms à consonance étrangère (5) ».

Voilà longtemps que certains font ce lien entre délinquance, criminalité et immigration. Mais jamais comme en 2002 : l’insécurité, principal thème de campagne des candidats à la présidentielle, devint obsessionnelle dans les médias (6). À la télévision, les reportages montraient presque invariablement des HLM décrépits de banlieue et des visages brouillés, mais dont la pigmentation de peau suffisait à souligner l’origine ethnique. Et si les « délinquants » venaient à parler, leur intonation les « trahissait ». Plusieurs médias accompagnaient même leurs réponses de sous-titres ! « Une manière efficace, observe le psychanalyste Nabile Farès, de marquer la différence entre le téléspectateur et le jeune, de défier toute possibilité d’identification commune à travers un même langage. »
« Vous avez aimé l’immigration, vous adorerez l’islamisation »

Jusqu’alors, l’Arabe délinquant, incapable de s’intégrer, voire islamiste, ne peuplait pour l’essentiel que les fantasmes frontistes. Peu de gens de gauche osaient en dire autant. Selon René Monzat, 46 ans, journaliste à Ras l’front (7), « cette désignation d’un ennemi intérieur – immigré, membre d’une minorité ethnique ou religieuse, en tout cas visible – caractérise les extrêmes droites européennes ». Les cibles ? « Les Turcs en Allemagne, les Marocains et les Turcs en Belgique, les “Maures” en Espagne, les Noirs ou les Albanais en Italie, etc. » Et, en France, les Arabes, les musulmans et les Noirs. « En insistant sur l’équation “immigration = criminalité”, l’extrême droite désamorce l’accusation de xénophobie, réduite à un simple réflexe sécuritaire. » Pour autant, si le FN a su, dès 1973, recentrer sa propagande sur ce thème rentable, précise Monzat, « Le Pen n’a fait qu’accompagner des sentiments. Il ne les a pas créés, mais rationalisés, en leur donnant une cohérence théorique, en fait surtout rhétorique ».

Dans le Nord-Pas-de-Calais, le FN a choisi aux dernières élections régionales le slogan : « Vous avez aimé l’immigration ? Vous adorerez l’islamisation ! » À en juger par les débats consécutifs au 11 septembre 2001 et autour du voile, le parti de Jean-Marie Le Pen n’a plus le monopole de la diabolisation de l’islam et des musulmans. Son discours caricatural et méprisant transcende désormais les clivages politiques. Pour Vincent Geisser, 36 ans, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le Maghreb et le Moyen-Orient (Iremam), « le discours extrêmement sévère sur une jeunesse qui convient si elle est intégrée, mais constitue le terreau de l’islamisme si elle ne l’est pas, on l’a entendu à droite comme à gauche. Mais surtout à gauche ». Le recours à l’expression « fascisme vert », pour désigner un péril islamiste en France, illustre cette porosité. « Deux personnes l’ont utilisée : Alexandre del Valle, un auteur d’extrême droite, et Fadela Amara, la présidente de Ni putes ni soumises, proche du parti socialiste (PS). »

Comment une partie de l’intelligentsia française a-t-elle basculé dans le mépris, publiquement exprimé, des musulmans, ou supposés tels, en grande partie français ? Voici, pêle-mêle, Claude Imbert, fondateur du Point et membre du Haut Conseil à l’intégration (HCI), qui s’avoue « un peu islamophobe (Cool » ; l’écrivain Michel Houellebecq, pour qui « la religion la plus con, c’est quand même l’islam (9) » ; ou Alain Finkielkraut qui, commentant le brûlot raciste d’Oriana Fallaci – La Rage et l’orgueil, dans lequel on lit, entre autres, que « les fils d’Allah se multiplient comme des rats (10) » –, assure que cette journaliste « s’efforce de regarder la réalité en face (11) ». Arrêtons là : une compilation exhaustive de ces dérapages ferait froid dans le dos. Tout comme la liste des agressions contre des lieux de culte et des personnes musulmanes [voir encadré infra p. 97].

Revigorée par les attentats du 11 septembre, cette islamophobie constitue-t-elle un simple cache-sexe du racisme anti-arabe ordinaire ? De ce « racisme continu », comme dit Aziz, rencontré dans la région stéphanoise, « dont tu fais l’expérience dès l’enfance, qui commence quand tu ouvres ta porte et qui s’arrête quand tu la refermes ». Auteur de La Nouvelle Islamophobie (12), qui lui a valu une sorte de lynchage médiatique, Vincent Geisser considère celle-ci comme un registre autonome : « Le terme désigne une forme de rejet qu’on ne saurait réduire au seul racisme anti-arabe. L’expression du racisme ne se focalise plus sur les variables de condition sociale (statut d’immigré ou pays d’origine), mais intègre de plus en plus l’appartenance supposée à la religion musulmane. L’islamo-phobie n’a cependant pas chassé le racisme anti-arabe ou anti-immigré : elle l’accompagne. » Elle permet, en outre, d’exprimer de la « haine » dans l’espace public : « Actuellement, poursuit Geisser, on peut oser “Je hais l’islam”, mais plus difficilement “Je hais les Arabes”. Bref, le discours islamophobe a libéré une parole raciste que faisait taire, jusqu’ici, une certaine autorépression – une sorte de “surmoi antiraciste”, pour citer Pierre Tevanian. »

Professeur au lycée de Drancy, Pierre Tevanian, 34 ans, ne croit pas non plus à un simple glissement d’une forme de racisme à l’autre. « L’islamophobie – qui consiste à rejeter l’islam comme une entité homogène et suspecte – était déjà présente dans des formes antérieures du racisme anti-arabe, même si elle ne s’exprimait pas explicitement. » Dès l’origine, ce dernier, sous sa forme moderne élaborée dans les colonies, se fondait sur un discours culturaliste et non racial : « L’une des premières productions institutionnelles qui fondent la discrimination raciste entre Européens et Arabes, le sénatus-consulte de 1865 (13), n’évoque aucune considération biologique » comme le faisait l’idéologie antisémite des nazis. Ce qui fonde la discrimination, explique Tevanian, « c’est l’appartenance des colonisés à l’islam, c’est-à-dire à un corpus juridique considéré comme intrinsèquement pervers, “contraire à la morale” selon les termes du jurisconsulte ». Et de conclure : « Naturaliste ou culturaliste, le racisme aboutit au même résultat : l’Arabe est essentialisé. “Ce sont tous les mêmes” et “Ils ne sont pas comme nous” : dans un cas, parce qu’“ils ont ça dans le sang” ; dans l’autre en raison de leur “culture”, mais une culture “naturalisée”, donnée immuable qui détermine entièrement l’individu. »
Islamophobie, dans les têtes et dans la rue

Dans son rapport d’activité sur La Lutte contre le racisme et la xénophobie (14) pour l’année 2003, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme a analysé l’islam tel qu’il est perçu par l’opinion française. Elle se fonde sur un sondage réalisé par l’institut BVA, fin 2003.

On y découvre notamment que :

— l’opposition au port du foulard est massive, que ce soit « à l’école » (87 %), « sur le lieu de travail » (84 %) et « pour les employés des administrations publiques » (88 %) ;
— si 75 % de Français considèrent les musulmans comme « des Français comme les autres » (contre 89 % pour les Juifs), 39 % jugent leur nombre « trop important ». Pour 57 %, ils forment un « groupe à part dans la société » (contre 36 % pour les Juifs, 19 % pour les Noirs et 11 % pour les catholiques) ;

— l’idée de développer des projets tendant à « faciliter l’exercice du culte musulman » est rejetée par 47 % des Français (contre 46 % qui sont pour) ; celle de « faciliter la formation d’imams français » par 48 % (contre 40 %) ; celle de « construire des mosquées près de chez vous » par 47 % (contre 26 %) ;

— dans la même enquête, le terme « islam » est perçu comme « positif » par 24 % des sondés et « négatif » par 66 % d’entre eux. Pour le « catholicisme », les chiffres sont respectivement de 52 % et 13 %, et pour le judaïsme de 30 % et 20 %. Si l’on remplace le mot « islam » par « religion musulmane », la perception négative tombe de 66 % à 44 % – le poison déversé par les Houellebecq, Fallaci et autres Imbert a produit ses effets.

Cette dégradation de l’image de l’islam dans l’opinion publique française n’est sans doute pas sans rapport avec la montée des violences anti-musulmanes. Le rapport d’étape publié par le Collectif contre l’islamophobie en France a recensé, d’octobre 2003 à août 2004, 68 actes visant des institutions et 116 visant des personnes. Parmi ces actes figurent la dégradation de 28 mosquées et la profanation de 200 tombes, mais aussi 26 agressions, dont 4 graves. Et 62 % des cas d’islamophobie contre des personnes sont imputables aux services de l’État (15).
Au nom de la mission émancipatrice de la France

Vincent Geisser enfonce le clou : cette essentialisation n’a pas grand-chose à voir avec les réminiscences d’un conflit millénaire « entre le chrétien et le mahométan », mais bien plus avec « ce substrat du racisme antimusulman du XIXe siècle. Un racisme conçu pour justifier cette entreprise coloniale par l’infériorité naturelle du musulman, qui ne peut devenir un citoyen que s’il est éduqué, émancipé et s’il réprime chez lui ce qui est trop identitaire et trop religieux ». L’idéologie républicaine garde cette conviction « qu’un bon Français est un Français sorti de sa communauté d’origine ». Et le chercheur de mettre en cause « une intelligentsia française qui s’accroche à une conception émancipatrice selon laquelle l’intégration des Franco-Maghrébins ne peut passer que par l’adoption des valeurs jugées conformes à l’idéal républicain. Comme si, par son histoire et sa tradition, la France pouvait et devait amener les “jeunes musulmans”, porteurs d’obscurantisme, à la lumière de l’universalité ».

Drapé de morale, ce discours devient difficile à décrypter, souligne Geisser : « Bien des hérauts de la tolérance, de l’universalité et de la laïcité se sont battus, au nom de ces valeurs, contre le port du voile, sous prétexte que celui-ci les remettrait en cause. Toute la force de l’idéologie républicaine tient à ce postulat : les principes d’émancipation commandent de libérer la classe dangereuse de ses origines ethnique et religieuse ; tout élément de différenciation étant jugé dangereux. »

Tandis qu’une partie de la classe politique, des journalistes, des hommes d’affaires et des intellectuels discourent sur l’intégration du musulman mangeur de porc et buveur d’alcool, un certain nombre de Français de confession musulmane se construisent en puisant croyances et valeurs aux sources arabo-musulmanes – et l’hostilité des uns renforce la quête des autres. Conscients de leur statut de citoyen, ils exigent le droit de vivre pleinement leur religion. Et démontrent ainsi que le problème ne se résume pas à l’« intégration », mais à l’intégration, dans les têtes, de leur intégration dans la société ! Pour Geisser, voilà où le bât blesse : « Le musulman capable de tenir un discours sur son identité musulmane fait peur, on l’imagine capable d’islamiser une jeunesse en révolte contre l’ordre social républicain pour lui faire prendre la voie du terrorisme. »
mihou
Re: BANLIEUES
Message Mer 20 Sep - 23:06 par mihou
À court terme, Geisser craint que la pérennisation de ces grilles de lecture – volontairement dramatisées – n’ait des conséquences désastreuses. Le politologue voit là le symptôme d’une « crise profonde du modèle d’État-providence français », qui entraîne des réponses, non pas sociales ou économiques, mais identitaires. « Cette lecture communautaire des problèmes sociaux se mort la queue : plus on introduit l’identitaire dans le débat politique – pour analyser la crise de l’hôpital ou de l’école, le machisme, etc. – et plus on n’explique plus l’identitaire que par l’identitaire. »

On l’a vu lors du congrès du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), en décembre 2004 : même au sein de l’association antiraciste, « le concept d’islamophobie est contesté », reconnaît son secrétaire général, Mouloud Aounit, 51 ans. Pourtant, selon lui, « s’attaquer à l’islamophobie ne signifie pas défendre aveuglement l’islam, qui, comme toutes les religions, peut et doit être critiqué ». Le concept a le mérite d’éclairer « une mise en acte spécifique du racisme à l’égard de la population arabe : une peur phobique et irraisonnée des musulmans ». Car Aounit en est convaincu : « On discrimine et on agresse désormais des gens en raison de leur appartenance supposée à une confession. » Constatant que le terme « islamophobie » paraît moins évident que celui de « judéophobie », il dénonce « une hiérarchie dans le traitement des actes racistes, voire une forme de racisme au sein même de la mobilisation antiraciste ».

Polémiques sémantiques ? Pierre Tevanian les refuse : « Que des extrémistes musulmans cherchent à s’abriter derrière le concept d’“islamophobie” pour disqualifier tout discours critique [de l’islam] ne constitue pas une objection sérieuse à sa pertinence. Être instrumentalisé, c’est le lot commun de tout concept. » Et de prendre l’exemple des inconditionnels d’Israël, qui brandissent l’accusation d’antisémitisme pour disqualifier toute critique de la politique d’Ariel Sharon. « Cela n’empêche pas que, par ailleurs, l’antisémitisme existe, qu’il doit être condamné, combattu et donc nommé. » De fait, la résurgence du racisme anti-arabe et de l’islamophobie se produit en même temps qu’une flambée de violences antisémites, dont la classe politico-médiatique accuse souvent les « jeunes Maghrébins ». Selon la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), le nombre d’actes de violence raciste a été multiplié par quatre de 2001 à 2002, et, en leur sein, le nombre d’actes antisémites par six. Certes, l’année 2003 a connu un net reflux des premiers (– 22,69 %) et des seconds (– 35,9 %). Hélas, en 2004, l’accroissement des actes racistes a dépassé, à nouveau, 50 %…

Qui s’en prend aux Juifs et à leurs lieux de culte et d’enseignement ? Dans le rapport, très contesté, qu’il a remis en novembre 2004 au ministre de l’Intérieur, Jean-Christophe Ruffin reconnaît : « Sur les jeunes interpellés qui sont issus des quartiers sensibles, seul un nombre relativement faible est d’origine maghrébine. » Le ministère de l’Intérieur les rend responsables d’un tiers des actes de violence antisémite. Mais connaît-on le profil de ces jeunes ? Les derniers rapports annuels de la CNCDH (16) estiment que l’Intifada « a conduit nombre de jeunes à afficher une identification avec les combattants palestiniens, censés symboliser les exclusions dont eux-mêmes s’estiment victimes ». Mais ils circonscrivent le cercle des coupables : il s’agit souvent de « délinquants de droit commun », qui essaient d’« exploiter le conflit du Proche-Orient », des voyous « fréquemment imperméables aux idéologies ». Dans le Livre blanc de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et de SOS-Racisme, le directeur des études de la Sofrès se disait frappé par « l’absence d’antisé-mitisme de masse chez les jeunes d’origine maghrébine (17) ».
Islamophobie, délinquances et judéophobie

Peut-on pour autant faire l’impasse sur un certain antisémitisme musulman ? Non, répondait sans hésitation, dès 2001, Tariq Ramadan – que certains n’hésitent pourtant pas à marquer au fer rouge de la « judéophobie » : « Il faut, écrivait-il, être honnête et aller jusqu’au bout de l’analyse du phénomène. Comme cela se voit à travers le monde musulman, il existe aujourd’hui en France un discours antisémite qui cherche à tirer sa légitimité de certains textes de la tradition musulmane et qui se sent conforté par la situation en Palestine. Ce discours […] est aussi véhiculé par des intellectuels ou des imams qui, à chaque écueil, au détour de chaque revers politique, voient la main manipulatrice du “lobby juif”. La situation, ajoutait Ramadan, est trop grave pour se satisfaire de propos de circonstance. Les musulmans, au nom de leur conscience et de leur foi, se doivent de prendre une position claire. […] Rien dans l’islam ne peut légitimer la xénophobie et le rejet d’un être humain par le seul fait de sa religion ou de son appartenance. Ce qu’il faut dire avec force et détermination, c’est que l’antisémitisme est inacceptable et indéfendable. Le message de l’islam impose le respect de la religion et de la spiritualité juives considérées comme la noble expression des “gens du Livre”. (18) »
Vice-président de la Conférence mondiale des religions pour la paix et animateur de l’émission « Connaissance de l’Islam » de France 2, Ghaleb Bencheikh, 44 ans, appelle « la justice à faire son travail, en condamnant les voyous et les criminels qui en sont responsables ». Et d’ajouter : « Ceux-là n’ont pas le droit de se revendiquer de l’islam : non seulement ces agissements n’ont rien à voir avec l’islamité, mais ils la déshonorent. » Si certains jeunes « croient qu’ils “vengent” les Palestiniens en s’en prenant aux Juifs, c’est évidemment absurde : les Français juifs ne sont pas responsables de la -politique d’Ariel Sharon ». Au-delà, « cette “solidarité naturelle” se trompe d’objectif : le combat qu’il faut mener ensemble a pour but la réalisation du droit des Palestiniens à disposer de leur État indépendant aux côtés d’Israël. Tout cela, il faut que les dirigeants musulmans le disent haut et fort ».

Membre du Conseil national du Collectif des musulmans de France, Fouad Imarraine n’y va pas par quatre chemins : « La judéophobie, avec ses référents religieux, a toujours été instrumentalisée par les pouvoirs arabes. Nous sommes issus de cette culture, d’autant plus pernicieuse que nous n’avons pas connu, comme nos anciens, la coexistence entre Arabes et Juifs dans nos pays d’origine. » En même temps, les jeunes des banlieues « côtoient souvent des jeunes Juifs, et ils voient bien que ceux-ci n’ont rien de commun avec les portraits haineux qu’on en fait, y compris certains imams ». À l’inverse, les images venues de Palestine alimentent l’hostilité. D’aucuns disent aussi : « Si nous n’avons pas notre place, c’est que les Juifs détiennent le pouvoir. » Le militant musulman n’en estime pas moins que « l’antisémitisme reste un phénomène très minoritaire parmi les enfants de l’immigration ». Et confirme : « Quant aux violences, elles ne relèvent la plupart du temps ni de la politique ni de la religion : elles sont simplement l’œuvre de voyous. »
Juif religieux observant, le politologue Jean-Yves Camus rejoint ce constat. Racontant n’avoir subi « que deux fois » des attitudes antisémites, il observe : « Dans les deux cas, il s’agissait de jeunes Maghrébins plus proches de ceux qui squattent les cages d’escaliers que d’islamistes. » Et de préciser : « Si j’en crois la presse, jusqu’ici, pas une des personnes arrêtées dans le cadre d’une affaire de ce type n’était liée à une mosquée ou à une association musulmane. Cela rend d’ailleurs la montée des actes antisémites encore plus préoccupante : il existe bien un préjugé culturel, et pas seulement à substrat religieux. » Conclusion : « Il est temps qu’on accepte – notamment dans la communauté juive – de réintroduire la question sociale dans l’analyse. »

Le niveau élevé des violences antijuives n’implique pas l’essor d’un courant antisémite de masse. Toutes les enquêtes récentes en confirment au contraire le rejet par quelque 90 % des Français. Il n’en va pas de même, hélas, pour les violences anti-arabes et antimusulmanes : elles s’appuient sur des préjugés de plus en plus largement répandus [voir encadré supra p. 97]. Prenons un seul exemple, hautement significatif : 90 % des Français se disent prêts à élire un président de la République juif (contre 50 % il y a quarante ans) ; mais seuls 36 % voteraient pour un candidat musulman (19).

Ce dernier pourcentage, les Franco-Maghrébins l’ont intériorisé. Aucun d’entre eux n’a jamais pensé sérieusement accéder à la fonction suprême. Et pour cause, le racisme ordinaire et l’islamophobie ont une incidence « logique » sur leur quotidien. Outre les témoignages, de nombreuses études sociologiques prouvent, chiffres à l’appui, la réalité des discriminations dans le cursus scolaire, sur le marché du travail, pour l’accès au logement, en matière de culture et aux loisirs. Alors, la présidence de la République…

Journaliste indépendant, Nasser Negrouche, 36 ans, travaille depuis des années sur ces phénomènes. Il ne s’agit pas seulement d’un concept, mais bien d’« une réalité sociale objective, quantifiable et mesurable : les discriminations touchent les enfants de l’immigration venue des anciennes colonies, les originaires des DOM-TOM et, plus généralement, les personnes au physique typé ou supposées appartenir à une communauté “indésirable” ». Pour expliquer la persistance de cette « entreprise de mise à mort sociale de l’“Autre” » (définition de Mouloud Aounit), Negrouche suggère d’appréhender les discriminations raciales comme « un phénomène systémique ». Car « cette douloureuse réalité concerne l’ensemble des mécanismes sociaux et économiques, qui assurent normalement la promotion sociale des citoyens. »
« Dosages ethniques » et « seuil de tolérance »

Tout commence par la relégation à la périphérie des villes. « Cette stratégie de l’habitat, explique Negrouche, s’inspire de celle mise en œuvre dans les colonies : une sorte d’apartheid géographique, obéissant à un impératif de sécurité comme de confort physique et moral… pour les colons. » Des bidonvilles, de nombreux immigrés passèrent aux HLM, parfois neuves, mais le plus souvent anciennes, délaissées par des ouvriers français accédant à des logements sociaux neufs ou à la propriété. « Arrivées dans ces cités délabrées, poursuit le journaliste, les familles subirent des “dosages ethniques” par immeuble, voire par cage d’escalier : le fameux “seuil de tolérance” inséparable de la “mixité sociale” – dont on ne parle jamais dans les quartiers les plus favorisés. » Ce « bricolage ethnique » n’a rien à voir avec « la grande politique de logement qui déghettoïserait réellement. On détruit ici une tour, là une barre : mais il faudrait détruire toutes ces “cités communautaires” pour créer enfin un habitat vraiment multiculturel, ouvert sur la ville ».

Pour les « Beurs » ainsi relégués, l’existence ressemble à une course d’obstacles. « Qui commence à l’école, renchérit Negrouche : on les scolarise pour la plupart dans des écoles appartenant à des zones d’éducation prioritaires (ZEP) ou des zones sensibles (ZS). Or, ces établissements manquent cruellement de moyens, alors que leurs élèves cumulent les handicaps : précarité sociale des parents, problème de maîtrise du français, misère de l’habitat, fort taux de chômage, alcoolisme et violence dans certaines familles, petite délinquance, départ de certains services publics, etc. » Professeur de sociologie à l’université de Bordeaux II, Georges Felouzis a étudié la répartition des élèves dans 333 collèges publics et privés de cette académie. Ayant retenu le prénom comme indicateur de l’origine, il constate que 40 % des élèves maghrébins, africains ou turcs – soit 4,7 % de la population scolaire locale – se concentrent dans seulement 10 % des collèges, transformés en « ghettos de l’Éducation nationale » (20).

Obstacles à l’école, obstacles au travail. Terrible constat que celui de Negrouche : à supposer qu’il ait obtenu un entretien d’embauche [voir encadré infra p. 107] et l’ait réussi, « un jeune Maghrébin n’accède pas, en règle générale, à des fonctions en rapport avec son niveau réel de qualification. Surtout lorsque celles-ci impliquent des responsabilités d’encadrement ou des relations avec le public, une clientèle, des partenaires… De multiples enquêtes de terrains, menées en Rhône-Alpes et dans le Nord, prouvent qu’au niveau bac + 2, qu’il s’agisse d’un BTS ou d’un DEUG, le différentiel d’embauche est de 1 à 5 pour ces jeunes » [voir encadré ci-dessous]. Des exceptions confirment cette règle, mais, « dans certains cas, on leur a demandé de changer de prénom ou de nom ».

Par quel miracle se divertir serait plus aisé ? Exemple notoire, l’accès aux discothèques. La méthode du testing lancée par SOS-Racisme l’a démontré, constats d’huissier à l’appui : les « boîtes » excluent massivement Arabes et Noirs. Question marginale ? Pas du tout, rétorque Negrouche : « Beaucoup de fils d’immigrés sortent le samedi soir, avec des amis de toutes origines. Quand un “gros bras” les refoule à l’entrée d’une boîte, alors qu’il laisse entrer leurs camarades de type européen, cela les atteint dans leur dignité. On mesure mal la profondeur de la blessure narcissique qu’une telle rebuffade, répétée chaque samedi, occasionne. » Mais la pratique du testing, suivie de saisies, a aussi servi à prouver qu’« une trentaine d’organismes de logement social utilisaient des logiciels comportant des indications sur l’origine et la couleur de peau des candidats à un appartement. » Même résultat dans des agences d’intérim et des agences immobilières (21).

Dans la plupart des cas, nuance Negrouche, toutes ces discriminations « ne procèdent pas d’un racisme idéologique ». Démographe à l’Institut national d’études démographiques (INED), Patrick Simon, 40 ans, conforte cette analyse : « Une discrimination raciale ne correspond pas nécessairement à un acte raciste. On la dit raciale au sens où elle se fonde sur des caractéristiques construites des individus par rapport à leur origine ethnique. Mais elle n’est pas raciste au sens où elle ne traduit pas une volonté délibérée de nuire. » En France, poursuit-il, « la conception du racisme est liée à l’intention : en raison de préjugés sur des origines stigmatisées, des acteurs prennent des décisions négatives envers des personnes appartenant – supposément ou réellement – à ces “communautés” ».

D’où un problème de taille, relève Simon : « Il faut que les acteurs reconnaissent qu’ils ont des préjugés, lesquels influent sur leur prise de décision. Or, en pratique, la plupart des acteurs de discriminations ne se considèrent pas comme racistes. Leurs décisions discriminatoires ne sont jamais référées à l’origine ethnique, mais à un manque de compétence des “victimes” ». Autrement dit, « les modes de légitimation des pratiques discriminatoires varient selon les circonstances », reprend Negrouche. « Le restaurateur refusant d’employer une serveuse noire invoque le racisme de sa clientèle : son embauche entraînerait la faillite du restaurant. C’est l’alibi commode de la rationalité économique. » Avec un avantage majeur : exonérer le patron de toute responsabilité morale. « En réalité, constate le journaliste, chacun invente son propre motif pour reporter sa responsabilité sur autrui, qu’il s’agisse de la clientèle d’un restaurant, des autres salariés d’une entreprise ou des habitants d’un immeuble. »
Six fois moins !
mihou
Re: BANLIEUES
Message Mer 20 Sep - 23:07 par mihou
Au printemps 2004, l’Observatoire des discriminations, dirigé par le professeur Jean-François Amadieu de l’université Paris-I, organisait son dernier testing. Il consistait à envoyer des « couples » de lettres de candidatures et de CV – curriculum vitae copiés sur ceux de personnes déjà recrutées – avec photographies en réponse à 258 offres d’emplois commerciaux et technico-commerciaux de niveau BTS. Ces « couples » de CV ne différaient que par une caractéristique : la variable à tester.
Les 1 806 CV envoyés proposaient sept variables :
1. -Homme, nom et prénom français, réside à Paris, blanc de peau, apparence standard (« CV de référence »)
2. -Femme, nom et prénom français, réside en région parisienne, blanche de peau, apparence standard ;
3. -Homme, nom et prénom maghrébins (Maroc), réside à Paris, apparence standard ;
4. -Homme, nom et prénom français, réside au Val Fourré à Mantes-la-Jolie, blanc de peau, apparence standard ;
5. -Homme, nom et prénom français, réside à Paris, blanc de peau, visage disgracieux ;
6. -Homme, nom et prénom français, réside à Paris, blanc de peau et apparence standard, 50 ans ;
7. -Homme, nom et prénom français, réside en région parisienne, blanc de peau, apparence standard, handicapé.
Voici les réponses reçues – par réponse positive, l’enquête entend la convocation à un entretien d’embauche 22 :
1. -Les candidats de référence ont obtenu 29 % des réponses -positives ;
2. Les candidates de référence en ont reçu 26 % ;
3. Les habitants du Val Fourré se contentent de 17 % ;
4. Les candidats disgracieux en totalisent 13 % ;
5. Les plus de 50 ans n’en ont que 8 % ;
6. Suivent les noms et prénoms maghrébins, avec 5 % ;
7. Et arrivent en dernier les handicapés : 2 %.
Le syndrome du pharmacien

Mouloud Aounit parle à ce sujet de « syndrome du pharmacien » : le MRAP a fait condamner à trois mois de prison avec sursis et 4 573 euros d’amende un pharmacien de Solesmes (Nord), qui avait pris à l’essai une personne d’origine maghrébine pour finalement lui signifier par écrit qu’il ne retenait pas sa candidature – la clientèle ne semblait pas apprécier ses origines étrangères. « Un classique du genre », tempête Aounit, pour qui « le plus inquiétant, c’est que ce genre de pratiques bénéficie d’une impunité quasi totale qui contribue à les légitimer ». Sur l’ensemble du territoire, le nombre de condamnations pour discrimination à l’emploi en 2003 n’a pas dépassé… 20 !

Pour le militant antiraciste, cette lutte se heurte à une absence de volonté politique claire. « Quand le gouvernement a voulu faire de la sécurité routière une priorité politique, il s’en est donné les moyens : il a su mobiliser la population et obtenir ainsi des résultats. Pourquoi ne pas s’attaquer de la même manière aux discriminations raciales ? Cette rupture du principe d’égalité dépasse les associations, même si, pour l’instant, elles pansent les plaies. » Certes, de temps à autre, tel ou tel ministre, et bien sûr le président de la République 23, s’engage verbalement. Mais, pour Aounit, « ces indignations sporadiques sonnent creux ».

Le secrétaire du MRAP se déclare en particulier « très amer » après la « mascarade » qu’a représentée la création, début 2005, de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). Et pour cause : « On n’a même pas associé les organisations de lutte contre le racisme et les discriminations. La HALDE aurait besoin de moyens financiers et humains importants, mais aussi d’une capacité d’investigation et de mobilisation des structures d’État comme le ministère de la Justice ou de l’Éducation nationale. Elle devrait pouvoir s’attaquer aux pratiques discriminatoires dans les secteurs public et privé, avec un pouvoir de sommation et de sanction » – à l’instar de la Commission de la concurrence, qui a le droit de sanctionner financièrement des entreprises, même si celles-ci peuvent se pourvoir en justice. Devant cette HALDE réduite à un rôle de médiateur, Aounit ne décolère pas : « J’espérais une volonté politique réelle, susceptible de provoquer un électrochoc dans les esprits. Au lieu de quoi c’est l’anesthésie générale. Il faudrait pourtant casser la dynamique de l’impunité. Car les discriminations mettent en péril le “vivre ensemble”. Ne nous étonnons pas si les jeunes nous répliquent : “Votre État de droit, c’est de la foutaise” ; s’ils en viennent à réinventer leurs propres règles. » Pour faire reculer les discriminations, conclut Nasser Negrouche, « il faut sortir de l’incantation, appliquer la loi dans toute sa rigueur, prendre résolument la défense des victimes et obtenir des sanctions exemplaires contre les responsables ».

Alors ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement créait, en 1999, les Commissions départementales d’accès à la citoyenneté (CODAC), chargées de prévenir et de combattre localement les discriminations raciales. Simultanément, le Groupe d’étude et de lutte contre les discriminations (GELD) était lancé. Son rôle : servir d’observatoire national et assurer la gestion du 114, un numéro d’appel gratuit pour les victimes et les témoins de discriminations raciales. Deux ans plus tard, les résultats s’avéraient très limités 24. Sur plus de 86 000 appels reçus, à peine 10 000 fiches de signalement furent transmises aux CODAC censées les traiter. La majorité se perdit dans les méandres d’une administration préfectorale négligeant ou méconnaissant souvent règles et procédures. Quelques rares plaintes parvinrent jusqu’aux parquets, mais ceux-ci, faute de les avoir bien instruites, les classèrent sans suite. Début 2005, GELD, 114 et CODAC se sont fondus dans la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE).

Chargé de recherche à l’unité Migrations et Sociétés du CNRS, François Vourc’h, 55 ans, dresse un bilan sévère de ces organismes qui, selon lui, « se sont contentés d’aborder les discriminations raciales comme une somme de cas, de surcroît pas toujours légitimes, et non comme une production des institutions ». Le chercheur n’a guère confiance dans la HALDE : « Le gouvernement peut installer une Haute autorité qui décide de mettre plus de moyens ici ou là, mais, si celle-ci ne s’interroge pas sur les causes profondes des discriminations raciales, la portée de ses mesures restera minime. À focaliser l’attention sur les seuls effets des discriminations, à négliger leur consistance proprement raciste, on s’enferme dans des systèmes toujours plus inextricables. »

Le postulat de Vourc’h tient en quelques mots : il existe, en France, un « ordre social raciste ». Et de nous proposer un détour par l’histoire du combat féministe : dans les années 1960, on a présenté les revendications des femmes comme « une volonté d’accéder à des droits politiques et à l’égalité ». Et non comme « une remise en cause d’un ordre social sexiste, dans lequel la citoyenneté des femmes restait aussi passive que partielle et où l’accès à de nombreuses activités leur était interdit dans la vie privée et publique en vertu de conceptions quasi naturalistes ». Pourquoi cette erreur ? Parce que « l’analyse des rapports de classe a longtemps masqué d’autres rapports sociaux, tout aussi violents, à l’œuvre dans la société française : le rapport de genre et le rapport racial ».

Comme nos interlocuteurs du chapitre II, Vourc’h n’en doute pas : « Le rapport colonial, qui distinguait les “citoyens” des “indigènes”, structure toujours les rapports sociaux. Et, tant que nous ne le reconnaîtrons pas, nous demeurerons incapables de toucher son organisation fondamentale. » Si nous persistons à ne pas voir « que nos pratiques et nos comportements construisent les groupes dominés, alors nous n’aurons de cesse de les façonner, d’en redéfinir les contours, de les redécouvrir et de les repenser ». Du coup, « les actions menées contre les discriminations raciales resteront anecdotiques ». Mais comment forcer cette reconnaissance, sachant qu’elle conditionne tout combat efficace ? Vourc’h revient sur le féminisme : « Longtemps, on a délégitimé les femmes, considérées comme inaptes à exercer les mêmes fonctions que les hommes et naturellement dévolues aux tâches ménagères. » Sans que cela ne choque personne. « Le discours de la société dominante se voulait légitime, et, de fait, il était largement partagé. Quand la revendication féministe apparut, les organisateurs de cet ordre sexiste furent médusés qu’on leur reproche de mépriser leurs épouses, leurs sœurs ou leurs filles. » Ce qui nous obligea à évoluer, estime le chercheur, ce fut la révolte collective : « La société ne réagit qu’à ce genre de pression. Qu’est-ce qui imposa la reconnaissance des enfants d’immigrés maghrébins, sinon les révoltes des banlieues lyonnaises en 1983 ? »

Deux décennies plus tard, la tâche s’avère plus ardue. Un des principes de fonctionnement du système, précise Vourc’h, consiste à opposer les individus et à délégitimer le caractère collectif et universaliste de leurs revendications en les renvoyant à des appellations communautaires ». Extraordinaire cynisme : « Pour être entendus et peut-être arracher une parcelle d’égalité, les enfants d’immigrés doivent revendiquer leurs spécificités culturelles ou raciales. Autrement dit, reprendre les caractéristiques qui leur ont été accolées. » Cette démarche désolidarise immanquablement les « minorités » du reste de la société, et réciproquement. Et la boucle est bouclée : « Le recours au registre ethnicisant apparaît comme le seul sur lequel ce système donne l’impression de pouvoir céder quelque chose. » Une lueur d’espoir, en conclusion : « Nous avons pourtant bien fini par reconnaître l’existence d’un ordre social colonial, puis d’un autre, sexiste… »
Introduire l’origine ethnique dans les statistiques

Sans contester le credo de Nasser Negrouche et François Vourc’h, le démographe Patrick Simon s’interroge : peut-on convaincre l’opinion publique de l’ampleur du phénomène par la seule accumulation de « cas » avérés de discrimination raciale ? Société pluriculturelle comme la Grande-Bretagne ou les États-Unis, la France, contrairement à ces pays, se contente de penser le racisme comme « un épiphénomène dû à des consciences malades ou à des esprits peu cultivés », et non comme « un comportement rationnel du point de vue de l’organisation sociale, puisqu’il permet de construire des modes de domination, en favorisant une majorité au détriment d’une minorité ». Pour le démographe, « continuer à dresser un mur d’indifférenciation à l’ethnicité comme seule façon d’empêcher les divisions ethniques et raciales » revient à « les laisser prospérer dans la pratique et à se rendre impuissant en matière de riposte ».

D’où sa conviction : il faut mettre fin à l’hypocrisie en reconnaissant que l’origine ethnique représente une donnée aussi pertinente que l’origine sociale ou le niveau d’études pour révéler la nature des discriminations. Cette suggestion a suscité plus d’un tollé. Et pourtant les pouvoirs publics l’appliquent au quotidien. Passons sur le « préfet musulman » de Nicolas Sarkozy. Les actions de « parrainage pour l’emploi des jeunes », lancées depuis 1993 par le ministère de l’Emploi, s’adressent textuellement à des « jeunes issus de l’immigration », aussi appelés « jeunes immigrés de la seconde génération » 25. Des appellations, observe Simon, « qui ne correspondent à aucune définition légale. Mais sur le terrain, tout le monde sait très bien de qui il s’agit ». Dénonçant cette « production sauvage d’une catégorisation ethnique et raciale », le démographe donne un autre exemple : « Quand la RATP lance les agents de prévention et de médiation sociale (APMS), dits “grands frères”, elle ne les recrute pas au hasard, mais bien en fonction de critères où l’origine ethnique joue un rôle important. (26) »
mihou
Re: BANLIEUES
Message Mer 20 Sep - 23:07 par mihou
Et pourquoi ne pas se contenter de poser la question en termes d’origine sociale plutôt qu’ethnique ? Simon ne cache pas son agacement : « Voilà trente-cinq ans qu’on le fait. Bien sûr, une grande majorité des enfants de Maghrébins viennent de familles ouvrières. Ils connaissent l’échec scolaire en raison de leur origine prolétarienne, même si, comme les autres fils et filles d’ouvriers, l’école a facilité leur promotion sociale. » Malheureusement, poursuit-il, « les enfants d’immigrés diplômés n’ont pas la même position que les enfants d’ouvriers non immigrés issus d’un même cursus. N’est-il pas temps de commencer à en parler ? Si nous continuons d’ignorer qu’à l’intérieur de notre “dialogue de classes” un second clivage intervient, même si on le (re)connaît moins – y compris dans le mouvement ouvrier, toujours inquiet de voir remettre en cause l’“unité de la classe ouvrière” –, nous allons passer à côté de l’oppression d’une partie de la classe ouvrière en question ».

Pour Simon, la mise en forme statistique de l’ethnicité présente plusieurs avantages : « D’abord, en créant des catégories, vous reconnaissez leur existence sociale et sortez de la loi du silence. Ensuite, sans pour autant réduire les individus à cette seule dimension, vous contribuez à révéler l’ordre construit. » Et de prendre à partie le postulat de François Vourc’h : « Comment faire admette l’“ordre social raciste” à quelqu’un qui en conteste l’existence ? » Le démographe insiste sur le caractère « réfutable » des études de cas, incapables de prouver le « caractère systématisé » des discriminations raciales : « Nous avons franchi une premier étape : les discriminations raciales sont reconnues. Mais nous avons toujours du mal à en identifier la nature. Il faut donc dépasser la dénonciation de “cas”. » Citant Ikea-France, condamnée pour discrimination raciale à l’embauche, Simon se demande surtout « combien de grandes entreprises en font autant. » Si bien qu’il ne voit guère d’alternative : « Vous ne pouvez démontrer les structures profondes de la société française sans disposer des marqueurs qui les mettent à jour. Que les discriminations indirectes soient invisibles tient au principe même de leur fonctionnement. Seule la construction d’outils statistiques permet de rendre visible l’invisible. »

Les instituts d’études statistiques enregistrent parfois le pays de naissance des parents. Cette démarche présente, selon Simon, deux limites : « D’une part, dans dix à vingt ans, elle s’avérera inefficace, car les victimes ne seront plus des descendants directs d’immigrés. D’autre part, elle continue à instaurer un lien avec l’immigration, donnant ainsi l’impression que, si des jeunes Français restent victimes de discriminations, c’est comme porteurs d’une histoire familiale difficile, ayant reconduit – bien que nés et socialisés en France – quelque chose du patrimoine immigré. On continue d’agir comme si la responsabilité ne revenait pas à la société, mais à des individus. » Cette démarche, redoute le démographe, risque de faire diversion : « Fondamentalement, si quelqu’un subit une discrimination à l’emploi, cela ne tient pas au pays d’origine de ses parents, mais à son statut d’“Arabe”. » Les expériences anglo-saxonnes en témoignent : aucune catégorisation de l’ethnicité n’est parfaite, mais, pour la France, selon Simon, « le meilleur système serait l’autodéclaration ».

Explication de texte : chacun serait libre de déclarer – ou non – son appartenance à une catégorie ethnique. « La statistique, précise Simon, suppose une démarche d’identification et non de définition identitaire. Vous êtes invité à répondre en fonction de la façon dont vous vous savez perçu, et non du drapeau que vous avez envie d’agiter. » En France, enchaîne le démographe, « on a rendu ce travail difficile en faisant obstacle à la déclaration ethnique, présentée comme contradictoire avec la citoyenneté. Chacun a appris à se déclarer Français, comme si c’était l’alpha et l’oméga de notre identité, toute autre forme de déclaration dégradant notre citoyenneté ». Un peu las, Simon laisse affleurer ses états d’âme : « Finalement, on en arrive à penser que certains exploitent ce message universaliste à des fins de domination. »

Et le risque d’une utilisation frauduleuse de ces données « sensibles » ? « Aujourd’hui, un bailleur social n’a pas besoin de statistiques, assène Simon. Il a les dossiers en mains. J’ai pu constater, lors de commissions d’attribution de logements, que le nom de famille suffisait amplement pour décider que telle famille ne se verrait pas attribuer un logement. » En revanche, disposer de données statistiques montrant, par exemple, que les entreprises différencient l’accès à la formation en fonction de l’origine des salariés aurait « un impact significatif au niveau juridique. Cela modifierait la perception des juges. Encore faut-il, pour convaincre ces derniers, leur présenter des éléments concrets à l’appui des plaintes ». L’outil statistique, répète-t-il, « met à nu le fonctionnement du système, en révélant le décalage entre l’impartialité proclamée et la réalité chiffrées des accès ».

Patrick Simon le sait, sa démarche ne fait pas l’unanimité. D’ailleurs, lui-même ne l’a pas toujours défendue. « Dans une approche froide de collecte de données, je ne me sentais pas certain d’assumer le fait de demander à quelqu’un de se placer dans la catégorie “Noir”, “Blanc” ou “Arabe”. Je trouvais ça insultant, violent. » Après quelques séances de psychanalyse, le démographe a forgé sa conviction. À trois conditions : « D’abord, être persuadé que les discriminations ont atteint un stade tel que nous avons besoin de moyens adéquats. Ensuite, mettre en place une pédagogie d’explications des buts du monitoring statistique et donner des garanties – exactement les compétences de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Enfin, construire la catégorisation avec les intéressés, afin de ne pas élaborer de manière complètement antidémocratique la grille d’expertise statistique. »
Une « discrimination positive » à la française ?

Une question reste en suspens : une fois le caractère systémique des discriminations raciales établi – par la bonne foi ou la « lisibilité » des statistiques –, comment corriger l’inégalité de traitement ? Ces derniers temps, le concept de « discrimination positive » a le vent en poupe.

« Traduttore tradittore », dit un proverbe italien. « Traducteur traître », il l’est vraiment, celui qui a traduit « affirmative [ou] positive action » par « discrimination positive ». La manipulation dépasse la linguistique : la politique menée aux États-Unis part du refus de toute discrimination sur la base de la race, de la couleur, de l’origine nationale, du sexe ou de la religion – refus fondé sur le Civil Rights Act de 1964. Elle consiste, dans la pratique, en une série de mesures et de mécanismes très divers, visant à corriger les inégalités dont souffrent les minorités, en premier lieu noire et hispanique, dans l’accès aux études, à l’emploi, au logement et aux marchés publics (27).

Faut-il appliquer en France ces recettes qui, outre-Atlantique, ont perdu de leur efficacité, notamment du fait des politiques néolibérales mises en œuvre ? « Oui », répond l’homme d’affaires Yazid Sabeg 28, après avoir présenté sa thèse dans un rapport de l’Institut Montaigne présidé par Claude Bébéar 29, lequel avait déclaré devant l’assemblée du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) : « La race blanche, par manque de natalité, se suicide. Il faut recourir à l’immigration 30 »… Nos interlocuteurs se montrent méfiants. À l’instar de Vourc’h, beaucoup se demandent ce que l’« immigration » et ses enfants peuvent attendre de « positif » de quelqu’un qui recourt au concept de « race blanche ». Pour Simon, « les grands patrons savent que la situation est explosive et qu’il faut lâcher les vannes ». Par pragmatisme libéral, ils entendent recourir à toutes les compétences et se montrer « aveugles à la couleur ». Jusqu’où ?

Nombre de forces politiques et syndicales françaises expriment la même méfiance pour la « discrimination positive » – le plus souvent par respect abstrait du dogme républicain plutôt que par connaissance réelle des expériences anglo-saxonnes. Même les associations de personnes issues de l’immigration ne manifestent aucun enthousiasme pour des propositions suspectées de ne profiter qu’aux plus « méritants ». Pour les auteurs de ce livre, il y a dans cet affrontement idéologique découplé de la réalité quotidienne de notre société quelque chose d’absurde. D’autant que la France pratique, et depuis longtemps, ce que les frères Sabeg appellent « discrimination positive » : à preuve les ZEP ou l’embauche privilégiée d’originaires des DOM-TOM dans les services publics. Pourquoi, nonobstant les protestations des gardiens du temple républicain, chevènementistes comme pasquaïens, les gouvernements successifs ont-ils accepté de s’engager sur ce chemin ? Objectivement, les inégalités qui frappent, dans tous les domaines, les « Arabes » – et bien d’autres – n’ont guère de chances d’être réduites sans une intervention massive des pouvoirs publics. Et si la résorption d’un tel fossé passe par des investissements massifs dans le domaine de l’éducation, du travail, du logement et de la culture, elle pourrait être accélérée par une batterie cohérente de mesures ciblées pour contribuer à l’égalité des chances dans tous ces secteurs.

Justifiée, cette logique heurte encore – mais de moins en moins 31 – une bonne partie de l’opinion française. En dernière instance, il revient à celle-ci de trancher : la mise en application du principe d’égalité des individus et des chances relève indiscutablement d’un choix de société. À terme (long, voire moyen), l’absence de réformes et le pourrissement consécutif risquent de déboucher sur une expérience inédite, depuis plus d’un siècle en France, d’explosion(s) sociale(s).

(1) Elle résulte d’un frottement de la peau : en l’occurrence, Rafik a été traîné par terre.
(2) Le Monde, 4 décembre 2004.
(3) Le Monde, 22 février 2003 et 28 janvier 2004.
(4) Véronique de Rudder, Christian Poiret, François Vourc’h, L’Inégalité raciste, L’universalité républicaine à l’épreuve, PUF, « Pratiques théoriques », 2000.
(5) Libération, 6 mai 2004.
(6) En mars 2002, le journal de 13 heures de TF1 a évoqué 41 fois le thème de l’insécurité ; celui de France 2 l’a fait 63 fois (source : « Les mots sont importants »).
(7) René Monzat, Voleurs d’avenir - Pourquoi l’extrême droite peut avoir de beaux jours devant-elle ?, Textuel, « La Discorde », 2004.
(Cool Claude Imbert, LCI, 24 octobre 2003.
(9) Michel Houellebecq, Lire, septembre 2001.
(10) Oriana Fallaci, La Rage et l’orgueil, Plon, 2002.
(11) Alain Finkielkraut, Le Point, n° 1549, 24 mai 2002
(12) Vincent Geisser, La Nouvelle Islamophobie, La Découverte, 2003.
(13) Qui maintient la division entre indigènes (musulmans) et citoyens (Européens) en Algérie, malgré l’ouverture formelle à un droit à la nationalité française.
(14) Commission nationale consultative des droits de l’Homme, La Lutte contre le racisme et la xénophobie, La Documentation française, 2004.
(15) Site du Collectif contre l’islamophobie en France.
(16) Lire notamment La Lutte contre le racisme et la xénophobie, 2002, La Documentation française, 2003.
(17) Les Antifeujs, Seuil, 2002.
(18) Le Monde, 24 décembre 2001.
(19) Lire respectivement Nonna Mayer, « La France n’est pas antisémite » (Le Monde, 4 avril 2002) et l’enquête sur « L’islam en France » réalisée par Artenice Consulting, avril 2004.
(20) L’Humanité, 3 décembre 2003.
(21) Sur tous ces sujets, lire Régine Dhoquois-Cohen et al., « Discriminations ethniques », Confluences Méditerranée, hiver 2003-2004, n° 48.
(22) Pour plus d’informations et de commentaires, voir le site de l’Observatoire des discriminations. (23) Notamment dans son discours de Troyes, en octobre 2002.
(24) Lire Nasser Negrouche, « Laïcité et discriminations », Le Monde diplomatique, février 2004.
(25) Voir « Parrainage pour l’emploi des jeunes », sur le site du Ministère de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale.(26) On trouve la même démarche dans le recrutement des portiers de discothèque parmi les groupes sociaux et raciaux dominés et victimes de discriminations raciales.
(26) On trouve la même démarche dans le recrutement des portiers de discothèque parmi les groupes sociaux et raciaux dominés et victimes de discriminations raciales.
(27) Lire Daniel Sabbagh, L’Égalité par le droit. Les paradoxes de la discrimination positive aux États-Unis, Economica, coll) « Études politiques », 2003.
(28) Yazid et Yacine Sabeg, Discrimination positive : Pourquoi la France ne peut y échapper, Calmann-Lévy, 2004.
(29) Également fondateur et président du conseil de surveillance du groupe Axa.
(30) Libération, 31 août 2002.
(31) Selon un sondage de l’institut CSA réalisé le 2 décembre 2004, 48 % des Français approuvent le principe de la « discrimination positive », contre 41 % qui s’y opposent parce qu’elle est « en contradiction avec les principes républicains » (Le Monde, 8 décembre 2004).
http://www.monde-diplomatique.fr/livre/lemaletrearabe/extrait
mihou
Banlieue : grands maux et absence de remède
Message Jeu 21 Sep - 13:23 par mihou
Banlieue : grands maux et absence de remède


Patrice Biancone

Place Beauvau, on craint le mois de novembre. Il est synonyme, dans l'imaginaire collectif, de violences urbaines, de difficultés politiques. Et surtout, il pourrait jeter, cette année, une lumière cruelle et indélicate sur le bilan en matière de sécurité. Un bilan qui ne s’annonce pas très glorieux si l'on en croit les quelques signes qui nous sont déjà donnés à déchiffrer. Hier, ce sont deux CRS qui ont été violemment agressés dans l'Essonne. Et en début de semaine, une lettre confidentielle du préfet de Seine-Saint-Denis, adressée au ministre de l'intérieur, a été rendue publique. Elle mentionnait une forte augmentation des violences sur les personnes, une recrudescence de la délinquance, un sentiment d'impunité chez les mineurs, une baisse des effectifs de la police dans le département, leur mauvaise utilisation et le laxisme de la justice qui ne remplirait pas sa mission.

La démarche de Jean-François Cordet mérite d'être mentionnée. Elle est courageuse et dictée par l'inquiétude. Manifestement le préfet a choisi de donner raison à tous ces élus, de droite et de gauche, qui font le même constat et ne cessent de rappeler que les tensions sont extrêmes en banlieue parisienne et tout particulièrement dans le 93. Qu'aucune réponse n'a été apportée aux problèmes qui ont provoqué les émeutes de l'année dernière. Et qu'en conséquence le pire est encore à venir. Une thèse reprise au bond par les socialistes, qui en profitent pour dénoncer «l'échec accablant de la politique conduite par Nicolas Sarkzoy depuis 2002 et tout particulièrement sa fameuse manière forte», forte dans les mots, à défaut de l'être dans les actes, et dont on voit bien qu'elle est «inadaptée à la situation», précisent-ils.

Dès lors, le candidat Sarkozy se devait de réagir, ce qu'il a fait en annonçant des renforts, 300 fonctionnaires d'ici la fin de l'année, et en minimisant la responsabilité de la police et de la gendarmerie «qui ne peuvent pas faire tout, tout seuls», a t-il dit, ce qui revient à ne retenir de la lettre du préfet Cordet que la dernière partie, c'est-à-dire, la responsabilité de la justice qualifiée de «démissionnaire». Une façon de refiler la patate chaude à son collègue garde des sceaux qui appréciera, à leur juste valeur, le geste et l'intention.

Mais au delà de la gravité de la situation décrite par le préfet Cordet, c'est la dimension politique de cette nouvelle polémique qui nous intéresse ici. Et surtout les raisons de la publication de la lettre du préfet Cordet, lettre confidentielle, rappelons le, et destinée au seul ministre de l'intérieur, une autre façon de demander à qui profite le crime. Pour les élus communistes de Seine-Saint-Denis, la réponse est toute trouvée : ce n'est pas un hasard et le procédé est connu. Il pourrait permettre de durcir le texte sur la prévention de la délinquance actuellement en discussion au Sénat. Texte qui ne fait pas l'unanimité chez les magistrats, pas plus que chez les élus.

par Patrice Biancone

[21/09/2006]

http://www.rfi.fr/actufr/articles/081/article_46302.asp
mihou
Délinquance : Sarkozy accuse les juges
Message Jeu 21 Sep - 13:26 par mihou
Délinquance : Sarkozy accuse les juges

Deux policiers ont été agressés sauvagement dans une cité de banlieue du sud de Paris. Une note confidentielle du préfet de Seine-Saint-Denis révélant l’aggravation de la situation sécuritaire dans ce département très sensible a «fuité» dans la presse. Nicolas Sarkozy a rebondi en dénonçant l’inefficacité de la justice. Et voilà relancée la polémique sur la violence dans les banlieues et les politiques mises en œuvre pour l’endiguer. La question de la sécurité qui est au cœur des préoccupations des Français sera, à n’en pas douter, encore une fois l’un des thèmes phares de la campagne pour l’élection présidentielle.


Comme à son habitude, Nicolas Sarkozy a mis les pieds dans le plat. En déplacement à Bobigny, le 20 septembre, il a dénoncé le manque de fermeté des juges face aux délinquants et a imputé aux magistrats la responsabilité de l’augmentation de la violence dans les quartiers sensibles. «Nous avons dans le département de la Seine-Saint-Denis des agressions plus nombreuses et plus violentes, donc je veux dire mon incompréhension et ma désapprobation devant le fait que depuis le début de l’année le nombre d’écroués sur le département est en baisse de 15,5%... Qu’on m’explique comment on empêche un délinquant de récidiver si les peines ne sont pas exécutées et si on n’a pas le courage de les mettre en prison».

Ces propos n’ont pas été tenus par hasard. Ils sont arrivés au lendemain d’une agression particulièrement violente contre deux CRS dans la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes, au sud de Paris, qui a relancé le débat sur l’insécurité dans les banlieues où des émeutes très importantes avaient eu lieu il y a un an. Les deux hommes qui patrouillaient dans une voiture banalisée sont tombés, selon la police, dans un véritable «guet-apens». Une bande de jeunes a lancé des projectiles sur leur véhicule avant de les passer à tabac avec une violence rare. Les deux policiers ont été grièvement blessés. L’un d’eux, victime d’une double fracture du crâne, a du être opéré en urgence. Cette agression n’a été motivée par aucun incident préalable et manifeste simplement une volonté de s’en prendre aux représentants de l’ordre qui travaillent dans ce quartier sensible de banlieue.

Recrudescence de la délinquance en Seine-Saint-Denis

L’impact de cet événement révélateur d’une ambiance difficile dans les cités a été d’autant plus important qu’une note confidentielle rédigée il y a trois mois par le préfet de Seine-Saint-Denis, Jean-François Cordet, qui fait état de la dégradation de la situation sécuritaire dans ce département, a été publiée le même jour par le quotidien Le Monde. Ce document adressé aux services du ministre de l’Intérieur insiste «sur une recrudescence de la délinquance peu connue jusqu’ici depuis de nombreuses années» et cite une augmentation de 7,64%. Il souligne les problèmes de motivation et d’encadrement des policiers chargés d’assurer l’ordre dans ce département difficile. Mais surtout, il critique l’action du tribunal de Bobigny, trop laxiste, notamment vis-à-vis des mineurs qui sont responsables, selon le préfet, de 70% de l’augmentation des vols avec violence.

C’est sur ce thème de la «démission» de la justice que le ministre de l’Intérieur a choisi de réagir après l’agression des deux CRS, en insistant sur le «sentiment d’impunité» que ressentent les délinquants lorsqu’ils ne sont pas sanctionnés. Pour la gauche, qui a unanimement condamné les actes de violence gratuite dont ont été victimes les policiers, Nicolas Sarkozy tente ainsi de détourner le problème pour ne pas avoir à faire face à son absence de résultats en matière de lutte contre la délinquance. François Hollande a estimé que «cet acte de violence inadmissible renvoie malheureusement aux émeutes de novembre 2005 et signe l’échec de la politique de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité». Une politique qui, selon lui, est à la fois «une illusion, un mensonge et une impasse». Le Premier secrétaire du Parti socialiste affirme que, depuis qu’il est en poste, le ministre de l’Intérieur, qui prône le tout répressif, n’a pas réussi à faire baisser la délinquance. Laurent Fabius a, quant à lui, dénoncé la suppression de la police de proximité décidée par Nicolas Sarkozy et mis en cause sa tendance à reporter toujours la responsabilité sur les autres : «Et si on formulait l’hypothèse que le principal responsable, c’est celui qui est aux affaires depuis 4 ans, c’est-à-dire lui-même».

Les magistrats n’ont, quant à eux, pas du tout apprécié d’être mis en accusation par Nicolas Sarkozy. Les principaux syndicats estiment que le ministre de l’Intérieur outrepasse largement ses prérogatives en portant un jugement sur le fonctionnement de leur institution. Dominique Barella, le président de l’Union syndicale de la magistrature, a d’autre part affirmé qu’il s’agissait là d’une manœuvre politique, en déclarant qu’il était «inadmissible que le ministre de l’Intérieur instrumentalise la justice pour cacher ses échecs en matière de délinquance et pour faire passer en force sa nouvelle loi en matière de prévention de la délinquance». Il est vrai que ce texte, qui est en cours d’examen au Sénat, ne fait pas l’unanimité, notamment parce qu’il vise à élargir la gamme des sanctions contre les mineurs délinquants.

«Une atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire»

Guy Canivet, le premier président de la Cour de cassation et plus haut magistrat français, a même pris une initiative inédite pour protester contre les déclarations de Nicolas Sarkozy. Il a demandé une audience au chef de l’Etat afin de dénoncer «une atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire» et «à la séparation des pouvoirs». Le premier président de la Cour d’appel de Paris, Renaud Chazal de Mauriac, a lui aussi pris position dans cette polémique. Il a estimé qu’«opposer les institutions les unes aux autres est une démarche stérile qui peut s’avérer dangereuse et réjouir ceux qui ne respectent pas les lois de la République».

Droite-gauche, police-justice, dans la guerre du «c’est pas moi, c’est lui», pas facile de savoir qui sortira son épingle du jeu lorsque le moment de voter sera venu. Mais une chose est sûre, comme en 2002, la sécurité sera bel et bien l’un des principaux enjeux de la campagne pour l’élection présidentielle.


par Valérie Gas

Article publié le 21/09/2006 Dernière mise à jour le 21/09/2006 à 16:59 TU
http://www.rfi.fr/actufr/articles/081/article_46312.asp
mihou
Les " barbus " dans le 9-3
Message Jeu 16 Nov - 14:58 par mihou
Les " barbus " dans le 9-3


Quel rôle jouent les imams en Seine-Saint-Denis ? L'islam, bien que très
présent dans les quartiers, est émietté et, comme beaucoup d'acteurs sociaux,
incapable d'avoir une influence décisive sur les jeunes



En juin 2004, un rapport de la direction centrale des Renseignements
généraux s'inquiétait d'un " repli communautaire " dans les banlieues.
L'influence des prêcheurs islamistes était particulièrement montrée du doigt.
Leur " prosélytisme intégriste (...) porte ses fruits, notamment auprès des
jeunes et des enfants, pris en charge par de nombreuses associations qui
oeuvrent dans le domaine sportif et éducatif (crèches, écoles coraniques) ". Ces
mêmes prêcheurs attisaient chez les jeunes l'idée selon laquelle ils étaient "
victimes de discrimination et de racisme ".

Un an et demi plus tard, dans un rapport publié après les violences
urbaines d'octobre-novembre 2005, la tonalité était sensiblement différente. Les
RG parlaient d'" insurrections non organisées " dans lesquelles les islamistes
n'auraient joué " aucun rôle ". Ceux-ci auraient eu, au contraire, " tout
intérêt à un retour rapide au calme pour éviter les amalgames ".

Quelle version croire ? Aujourd'hui, la thèse la plus répandue est que les
" grands frères " auraient joué un rôle modérateur, comblant le vide laissé par
les élus, les forces de l'ordre, les acteurs sociaux ou les associations de
quartier. Bref, les " barbus " auraient remplacé la République.

Au cours des nuits d'émeutes de novembre 2005, ce qui a surtout frappé les
observateurs, ce sont les rondes de nuit organisées par des pères de famille, la
plupart musulmans pratiquants, pour ramener les jeunes à la raison - voire à la
maison. Hassen Farsadou, président de l'Union des associations musulmanes de
Seine-Saint-Denis (UAM 93), a participé à ces rondes à Aulnay-sous-Bois. " Nous
avons commencé à bouger avant même que la mairie ne réagisse. Tout le monde
était dépassé. Nous avons contribué à calmer les choses. " Pourquoi ont-ils
voulu jouer ce rôle de médiateurs ? Pour Abdelghani Haddouche, responsable de la
mosquée du Pré-Saint-Gervais, la question est presque incongrue. " Pourquoi ?
Mais parce que c'est notre ville, notre vie ! Et parce que c'est interdit de
brûler des voitures ! "

Visiblement, les émeutiers n'étaient pas des piliers de mosquée. " Les
jeunes de mon quartier, je les connais, témoigne M. Haddouche. Ceux qui ont
participé aux émeutes n'étaient pas spécialement pratiquants... " " Il ne faut
pas se voiler la face, rectifie Mohammed Henniche, secrétaire général de l'UAM
93. La plupart des émeutiers étaient d'origine musulmane. Notre première
réaction a été de nous dire : il faut les calmer. Sinon, on va encore coller ça
sur le dos de l'islam et des musulmans. D'ailleurs, c'était le prisme des médias
anglo-saxons qui ont pris contact avec nous : pour eux, c'étaient les musulmans
qui se révoltaient. "

Si ce type de médiation a eu une influence quelconque, il n'est pas sûr
que ce soit grâce à l'islam. " J'ai assisté à l'une de ces tournées, témoigne
Nicolas Mom, qui écrit des articles pour le site musulman saphirnews.com. Les
jeunes écoutaient les adultes, parce que ces personnes leur rappelaient leurs
parents. Il y avait un enjeu de dialogue entre les générations. "

Mohammed Henniche était conscient qu'il s'exposait aux critiques en
organisant ce type de médiation. " A un moment donné, on s'est dit : "Il faut
qu'on arrête, sinon on va impliquer l'islam". En même temps, on ne pouvait pas
rester les bras croisés. " Effectivement, l'islam a été mis en cause
indirectement après les violences urbaines. Dans sa lettre du 13 juin adressée
au ministère de l'intérieur, Jean-François Cordet, préfet de la
Seine-Saint-Denis, déplore que " le relais de la gestion locale - soit - pris
par les "barbus" ", et que leur influence se fasse sentir " à chaque réveil de
l'agitation dans telle ou telle cité ".

Indéniablement, l'islam a imposé sa marque dans le paysage de certains
quartiers du " 9-3 ", la Seine-Saint-Denis. Les non-musulmans sont frappés par
les tenues vestimentaires. Voile sous toutes ses variantes, laissant apparaître,
au choix, le visage ou seulement les yeux. Pour les hommes, c'est le look " BCBG
" : barbe, chapelet, bâton de siwak (pour se curer les dents), gandoura. Karim
Azzouz, membre du Collectif des musulmans de France (CMF), s'insurge contre ces
préjugés. " L'habit ne veut rien dire. Moi, je suis vêtu comme tout le monde.
Pourtant j'ai des opinions politiques radicales. Un membre du Tabligh -
mouvement prosélyte et piétiste - , qui ne fait pas de politique par principe,
portera le qamis - djellaba - et la barbe longue... "

Certains secteurs se sont doucement islamisés. Boucheries halal,
librairies islamiques, kebab fast-food, agences de voyages pour La Mecque,
taxiphones pour appeler au bled, coiffeurs maghrébins qui manient la tondeuse.
Pendant le ramadan, les restaurants sont fermés le midi. Certains préviennent en
vitrine que leur jour de fermeture est le vendredi. Mohammed Henniche a son
explication : " Beaucoup de musulmans très pratiquants ouvrent un petit
commerce. Cela leur permet de pratiquer un islam rigoriste sans rendre de
comptes à un patron. " Pour Karim Azzouz, cette islamisation du paysage est liée
à " un effet de rattrapage et un effet de concentration ". Il s'explique : " Des
boucheries halal, il n'y en avait pas suffisamment. Et l'embourgeoisement des
centres-villes conduit à refouler les populations musulmanes aux marges. "

Tous les vendredis, les mosquées sont pleines. Selon l'annuaire La
Boussole, qui les recense, il y aurait cent cinq lieux de culte musulman dans le
département, tout compris : mosquées, salles de prière aménagées dans des
foyers, des pavillons, des friches industrielles. " On est au maximum de
capacité ", constate Hassen Farsadou. Karim Azzouz va plus loin : " Les
nouvelles mosquées sont tout de suite remplies. A Bagnolet, il y avait trois
petites salles de prière dans des foyers, toujours pleines. On a ouvert une
nouvelle mosquée de 1 000 places. Elle n'a pas vidé les foyers, au contraire.
Tous les vendredis, les quatre lieux de culte débordent. "

Ces mosquées sont fréquentées majoritairement par des jeunes. " Ils
subissent un sermon en arabe qu'ils ne comprennent pas pendant une heure,
déplore M. Azzouz. Dans le meilleur des cas, ils ont droit, à la fin, à un
résumé en français qui dure cinq minutes. " Dans ce cas, pourquoi tant de jeunes
à la mosquée ? " C'est peut-être simplement un phénomène démographique, avance
Karim Azzouz. On a affaire à une population très jeune. "

L'islam, en Seine-Saint-Denis, n'est pas plus radical qu'ailleurs, il le
serait même moins. Sur les deux mosquées identifiées comme salafistes, à Stains
et à Noisy-le-Grand, l'une a changé d'imam, l'autre a été fermée. Désormais, les
principaux centres salafistes se situent dans les Hauts-de-Seine. Karim Azzouz
relève cependant, ici comme ailleurs, " une évidente progression du salafisme au
détriment du Tabligh ", même s'il n'est pas " sanctuarisé " en un lieu précis. "
Aujourd'hui, les mosquées sont tenues principalement par des Marocains
traditionalistes, souvent proches du Tabligh ", estime Mohammed Henniche.

L'islam du 9-3 est un islam émietté. Aucune organisation ne serait en
mesure de le mobiliser. Karim Azzouz est bien placé pour le savoir. Son
mouvement, le Collectif des musulmans de France, a été l'un des organisateurs
des manifestations contre la loi sur le voile, en 2004. Récemment, il a tenté de
mobiliser en faveur de la Palestine. Echec dans les deux cas. " Personne n'est
en mesure de faire descendre les musulmans dans la rue, déplore-t-il. L'islam du
9-3 est composé de groupes autonomes en reconstruction permanente. "

La meilleure preuve de cet émiettement a été apportée par les résultats de
la fatwa (avis juridique) édictée par l'Union des associations islamiques de
France (UOIF) au plus fort des émeutes. Ce texte condamnait les violences au nom
de la religion et appelait au calme. L'effet a été égal à zéro. Mieux encore,
l'UOIF, association qu'on prétend influente auprès des jeunes musulmans, a été
dénoncée de tous côtés. " Faire une fatwa pour des gens qui ne sont pas
pratiquants, cela n'a aucun sens ", peste Hassen Farsadou.

Rares sont les organisations religieuses qui ont une influence sur la
jeunesse des banlieues. Mohammed Colin, 28 ans, directeur du site
saphirnews.com, le reconnaît : " Il manque des cadres en contact avec les jeunes
des quartiers. Ceux qui sont en phase d'ascension sociale, c'est-à-dire tous les
diplômés, quittent les périphéries. Dans ce sens, nous sommes dans une situation
très différente de celles des chrétiens de gauche du XXe siècle, qui allaient au
contact du monde ouvrier. "

Lorsque l'islam joue un rôle dans le tissu social des quartiers, c'est
plutôt par défaut. " Le cas typique est celui d'un groupe de sept ou huit
étudiants qui se crée pour faire du soutien scolaire, explique Karim Azzouz. Ils
sont tous musulmans et fréquentent la mosquée, à l'exception d'une Antillaise et
d'un Portugais. L'association va être forcément estampillée comme islamiste. A
l'inverse, une mère de famille voilée qui va essayer de s'impliquer dans une
association de parents d'élèves sera refoulée. " Si l'on en croit Karim Azzouz,
il ne resterait, dans certains quartiers, que " des associations musulmanes,
quelques équipes de foot et le Front national ".

Xavier Ternisien
Re: BANLIEUES
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