Les intérêts de Washington dans la guerre d’Israel, par Seymour M. Hersh - The New Yorker.
16 août 2006
[D’après des diplomates et des responsables des renseignements, actuels et anciens, le Président Bush et le vice-président
Dick Cheney étaient convaincus, qu’une campagne de bombardements réussie de l’Armée de l’Air israélienne sur les complexes
souterrains de contrôle et de commandement, et de lancement de missiles très fortifiés du Hezbollah au Liban pourrait
soulager les problèmes de sécurité d’Israel et également servir de prélude à une potentielle attaque préventive américaine
pour détruire les installations nucléaires en Iran, dont certaines sont également profondément enterrées sous le sol.]
Observer le Liban : Les intérêts de Washington dans la guerre d’Israel.
The New Yorker, 14 août 2006.
Quelques jours après que le Hezbollah soit entré en Israel, le 12 juillet, pour enlever deux soldats, déclenchant une attaque
aérienne israélienne sur le Liban et une guerre totale, l’Administration Bush a semblé étrangement passive.
"C’est le moment de vérité", a déclaré le Président George W. Bush au sommet du G-8, à St. Petersburg, le 16 juillet. "Nous
comprenons maintenant pourquoi nous n’avons pas la paix au Moyen-Orient."
Il a décrit la relation entre le Hezbollah et ses supporters en Iran et en Syrie comme l’une des "causes à la base de
l’instabilité", et plus tard, il a dit qu’il appartenait à ces pays de mettre fin à la crise.
Deux jours plus tard, en dépit des appels de plusieurs gouvernements demandant aux Etats-Unis de prendre la tête des
négociations pour mettre fin au combat, le Secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, a déclaré qu’un cessez-le-feu devrait être
reporté jusqu’à ce que "les conditions soient favorables."
Pourtant, l’Administration Bush était très impliquée dans la planification des attaques de représailles israéliennes.
D’après des diplomates et des responsables des renseignements, actuels et anciens, le Président Bush et le vice-président
Dick Cheney étaient convaincus, qu’une campagne de bombardement réussie de l’Armée de l’Air israélienne sur les complexes
souterrains de contrôle et de commandement, et de lancement de missiles très fortifiés du Hezbollah au Liban pourrait
soulager les problèmes de sécurité d’Israel et également servir de prélude à une potentielle attaque préventive américaine
pour détruire les installations nucléaires en Iran, dont certains sont également profondément enterrés sous le sol.
Les experts de l’armée et des renseignements israéliens à qui j’ai parlé ont souligné que les questions sécuritaires du pays
étaient une raison suffisante pour se confronter au Hezbollah, indépendamment de ce que voulait l’Administration Bush.
Shabtai Shavit, un conseiller à la sécurité nationale auprès de la Knesset qui a dirigé de 1989 à 1996 le Mossad, les services
de renseignements israéliens à l’étranger, m’a dit : "Nous faisons ce que nous pensons être le mieux pour nous, et si cela
s’avère justement répondre aux exigences de l’Amérique, cela fait seulement partie d’une relation entre deux amis. Le
Hezbollah est armé jusqu’aux dents et formé à la technologie la plus pointue de la guérilla. C’était simplement une question de
temps. Nous devions le faire ."
Le Hezbollah est vu par les Israéliens comme une très forte menace - une organisation terroriste, opérant sur leur frontière,
avec un arsenal militaire qui, avec l’aide de l’Iran et de la Syrie, s’est fortement développé depuis la fin de l’occupation
israélienne du Sud Liban, en 2000.
Le chef du Hezbollah, le cheik Hassan Nasrallah, a déclaré qu’il ne croyait pas qu’Israel était "un Etat légal".
Les renseignements israéliens ont estimé au début de la guerre aérienne que le Hezbollah possédait environ 500 roquettes
Fajr-3 et Fajr-5 à moyenne portée et quelques dizaines de roquettes Zelzal à longue portée ; les Zelzals, d’une portée
d’environ deux cents kilomètres, pouvaient atteindre Tel Aviv. (Une roquette a touché Haïfa au lendemain des kidnappings.).
Il possède également plus de douze mille roquettes à courte-portée. Depuis que le conflit a commencé, plus de trois mille de
ces roquettes ont été tirées sur Israel.
Selon un expert sur le Moyen-Orient qui connaît bien les opinions actuelles des gouvernements israélien et américain, Israel
avait conçu un plan pour attaquer le Hezbollah-et l’avait partagé avec des responsables de l’Administration Bush avant les
kidnappings du 12 juillet.
"Ce n’est pas que les Israéliens avaient tendu un piège dans lequel est tombé le Hezbollah" a-t’il expliqué, "mais il y avait un
fort sentiment à la Maison Blanche que, tôt ou tard, les Israéliens allaient le faire."
L’expert sur le Moyen-Orient a dit que l’Administration avait plusieurs raisons de soutenir la campagne de bombardement des
Israéliens.
Au Département d’Etat, cela était vu comme un moyen de renforcer le gouvernement libanais de sorte qu’il puisse affirmer
son autorité sur le Sud du pays, dont une grande partie est contrôlée par le Hezbollah.
Il a continué : "la Maison Blanche était davantage concentrée sur le fait de détruire les missiles du Hezbollah, parce que, s’il
devait y avoir une option militaire contre les installations nucléaires de l’Iran, il fallait se débarrasser des armes que le
Hezbollah pourrait utiliser dans d’éventuelles représailles contre Israel. Bush veut les deux. Bush s’en prend à l’Iran, en tant
qu’élément de l’Axe du Mal, et à ses sites nucléaires, et il était intéressé pour s’en prendre au Hezbollah dans le cadre de
son intérêt pour la démocratisation, avec le Liban comme l’un des bijoux de la couronne de la démocratie au Moyen-Orient."
Les responsables de l’Administration ont nié qu’ils étaient au courant du projet israélien d’une attaque aérienne. La Maison
Blanche n’a pas répondu à une liste détaillée de questions.
En réponse à une demande séparée, un porte-parole du Conseil de la Sécurité Nationale a déclaré : "Avant l’attaque du
Hezbollah contre Israel, le gouvernement israélien n’avait donné à aucun responsable de Washington une raison de croire
qu’Israel projetait une attaque. Même après l’attaque du 12 juillet, nous ne connaissions pas les projets israéliens."
Un porte-parole du Pentagone a déclaré : "Le gouvernement américain reste engagé dans une solution diplomatique au
problème du programme clandestin des armes nucléaires de l’Iran", et a réfuté cette version, de même qu’un porte-parole du
Département d’Etat.
Les Etats-Unis et Israel ont partagé leurs renseignements et ont eu une coopération militaire étroite pendant des décennies,
mais au début du printemps, selon un ancien haut responsable des renseignements, les hauts responsables de l’U.S. Air Force
- sous la pression de la Maison Blanche afin de travailler à un plan de guerre pour une frappe décisive contre les
installations nucléaires de l’Iran - ont commencé à consulter leurs contre-parties de l’Armée de l’Air israélienne.
"La grande question pour notre Armée de l’Air était comment frapper avec succès une série d’objectifs difficiles en Iran", a
déclaré l’ancien haut responsable des renseignements.
"Qui est l’allié le plus proche de l’Armée de l’Air américaine ? Ce n’est pas le Congo - c’est Israel. Tout le monde sait que les
ingénieurs iraniens avaient conseillé le Hezbollah au sujet des tunnels et des sites d’armes souterrains. Et donc, l’Armée de
l’Air est allée voir les Israéliens avec des nouvelles stratégies et elle leur a dit : "Concentrons-nous sur les bombardements et
partageons ce que nous avons sur l’Iran et ce que vous avez sur le Liban."
Les discussions ont eu lieu entre les chefs d’Etat-Major des deux pays et le Secrétaire de la Défense, Donald Rumsfeld,
a-t’il ajouté.
"Les Israéliens nous ont dit que ce serait une guerre peu onéreuse avec beaucoup de bénéfices." dit un consultant du
gouvernement américain qui a des liens très proches avec Israel.
"Pourquoi s’y opposer ? Nous serions capables de traquer et de bombarder des missiles, des tunnels, et des bunkers. Ce
serait une démonstration pour l’Iran."
Un consultant du Pentagone a dit que la Maison Blanche de Bush "s’était agitée pendant un certain temps pour trouver une
raison de frapper préventivement le Hezbollah".
Il a ajouté : "C’était notre intention d’affaiblir le Hezbollah, et maintenant nous avions quelqu’un qui le faisait à notre place".
(Alors que cet article allait sous presse, le Conseil de sécurité des Nations Unies a voté une résolution de cessez-le-feu, bien
qu’il ne soit pas très sûr qu’elle change la situation sur le terrain.)
Selon Richard Armitage, qui a été Secrétaire d’Etat-adjoint, pendant le premier mandat de Bush - et qui avait dit, en 2002,
que le Hezbollah "était peut être la principale bande de terroristes" - la campagne d’Israel au Liban, qui a fait face à des
difficultés inattendues et à une large critique, peut, en fin de compte, servir d’avertissement à la Maison Blanche au sujet de
l’Iran.
"Si la force militaire la plus importante dans la région - les Forces de Défense Israéliennes - ne peut pas pacifier un pays
comme le Liban, avec une population de quatre millions d’habitants, vous devriez soigneusement repenser à ce shéma pour
l’Iran, avec une profondeur stratégique et une population de soixante-dix millions de personnes." a déclaré Armitage.
"La seule chose que les bombardements ont réussi jusqu’ici, c’est d’unir la population contre les Israéliens."
Plusieurs fonctionnaires anciens et actuels impliqués au Moyen-Orient m’ont dit qu’Israel avait vu l’enlèvement des soldats
comme le moment opportun pour débuter sa campagne militaire qu’il avait prévu contre le Hezbollah.
"Le Hezbollah, réglé comme une horloge, tentait tous les mois ou deux des petites initiatives", déclare un consultant du
gouvernement américain ayant des liens avec Israel.
Deux semaines plus tôt, en juin, les membres du Hamas, le groupe palestinien, avaient percé un tunnel sous la barrière
séparant le Sud de Gaza et Israel et avaient capturé un soldat israélien.
Le Hamas avait également lancé une série de roquettes sur des villes israéliennes près de la frontière avec Gaza. En réponse,
Israel avait lancé une large campagne de bombardements et réoccupé des parties de Gaza.
Le consultant du Pentagone a remarqué qu’il y avait eu également des incidents frontaliers impliquant Israel et le Hezbollah,
des deux côtés, depuis un certain temps. "Ils s’attaquaient les uns les autres" dit-il.
"Chaque côté pouvait souligner certains des incidents et dire : "Nous allons faire la guerre à ces types - parce qu’ils étaient
déjà en guerre."
David Siegel, le porte-parole de l’ambassade israélienne à Washington, a déclaré que l’Armée de l’Air israélienne n’avait pas
cherché une raison pour attaquer le Hezbollah. "Nous n’avons pas projeté la campagne. Cette décision nous a été imposée."
Il y avait des signes permanents que le Hezbollah "voulait se battre", dit Siegel. "Le Hezbollah attaquait tous les deux ou
trois mois", mais le kidnapping des soldats a augmenté l’enjeu.
Dans des interviews, plusieurs universitaires, journalistes, militaires à la retraite et officiers des renseignements israéliens
ont tous fait une remarque : ils croyaient que c’était le gouvernement israélien, et non Washington, qui avait décidé que partir
en guerre contre le Hezbollah. Les sondages d’opinion ont prouvé qu’un grand nombre d’Israéliens soutenait ce choix.
"Les néocons à Washington sont peut-être contents, mais Israel n’a pas eu besoin d’être poussé, parce qu’Israel voulait se
débarasser du Hezbollah." explique Yossi Melman, un journaliste du quotidien Haaretz, qui a écrit plusieurs livres au sujet
des services de renseignements israéliens. "En provoquant Israel, le Hezbollah a procuré une occasion".
"Nous faisions face à un dilemme", dit un responsable israélien. Le Premier Ministre Ehud Olmert "a dû décider s’il allait
donner une réponse locale, ce que nous faisons toujours, ou une réponse globale : s’en prendre vraiment au Hezbollah une
fois pour toutes."
Olmert a pris sa décision, dit le responsable, seulement après qu’une série de tentatives pour délivrer les Israéliens aient
échoué.
Le consultant du gouvernement américain proche d’Israel m’a dit, pourtant, que, du point de vue israélien, la décision d’agir
avec force était devenue inévitable quelques semaines plus tôt, après qu’un groupe des renseignements de l’armée israélienne,
connu sous le nom d’unité 8200, ait intercepté des intentions belliqueuses à la fin du printemps et au début de l’été,
impliquant le Hamas, le Hezbollah, et Khaled Meshal, le chef du Hamas vivant maintenant à Damas.
L’un des messages interceptés a eu lieu lors d’une réunion en mai entre la direction politique et militaire du Hamas, à laquelle
participait Meshal par téléphone.
"Le Hamas croyait que l’appel de Damas était brouillé, mais Israel avait déchiffré le code", dit le conseiller.
Un avant sa victoire aux élections palestiniennes en janvier, le Hamas avait réduit ses actions terroristes. Au cours de la
conversation interceptée fin mai, m’a dit le conseiller, la direction du Hamas a déclaré : "qu’ils n’en obtenaient aucun
bénéfice et qu’ils perdaient à se tenir parmi la population palestinienne".
La conclusion était, dit-il : "Revenons au terrorisme et puis essayons d’obtenir des concessions du gouvernement israélien".
Le conseiller m’a dit que les États-Unis et Israel ont conclu que si la direction du Hamas faisait cela, et que si Nasrallah les
soutenait, il y aurait "une réponse à grande échelle".
Dans les semaines qui ont suivi, quand le Hamas a commencé à creuser le tunnel vers Israel, a dit le conseiller, l’unité 8200
"a intercepté des messages impliquant le Hamas, la Syrie, et le Hezbollah, disant, en gros, qu’ils voulaient que le Hezbollah
"réchauffe" le Nord".
Dans l’un des messages interceptés, ajoute le conseiller, Nasrallah se référait à Olmert et au Ministre de la Défense Amir
Peretz "comme semblant être faibles", en comparaison avec les anciens premiers ministres Ariel Sharon et Ehud Barak, qui
avaient une grande expérience militaire, et disait "qu’il pensait qu’Israel répondrait légèrement et localement, comme il l’avait
fait par le passé."
Au début de cet été, avant les kidnappings du Hezbollah, dit le consultant du gouvernement américain, plusieurs responsablse
israéliens sont venus à Washington, séparément, "afin d’obtenir un feu vert pour l’opération de bombardements et pour voir à
quel point les Etats-Unis les soutiendraient."
Le conseiller a ajouté : "Israel a commencé par Cheney. Il voulait être sûr qu’il avait son soutien et le soutien de son bureau
et celui du bureau concernant le Moyen-Orient du Conseil de Sécurité Nationale". Après cela, "persuader Bush n’a jamais été
un problème, et Condi Rice était dans le coup." dit le conseiller.
Le plan initial, comme l’ont décrit les Israéliens, réclamait une campagne importante de bombardements en réponse à la
prochaine provocation du Hezbollah, selon l’expert sur le Moyen-Orient connaissant bien l’opinion des Américains et des
Israéliens.
Israel croyait que, en visant l’infrastructure du Liban, y compris les routes, les dépôts de carburant, et même les pistes
d’atterrissage civiles de l’aéroport de Beyrouth, il pourrait persuader les importants populations Chrétiennes et Sunnites du
Liban de se retourner contre le Hezbollah, selon le haut responsable des renseignements.
Mer 23 Aoû - 1:19 par mihou