MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE

Vues Du Monde : ce Forum MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE est lieu d'échange, d'apprentissage et d'ouverture sur le monde.IL EXISTE MILLE MANIÈRES DE MENTIR, MAIS UNE SEULE DE DIRE LA VÉRITÉ.
 
AccueilAccueil  PortailPortail  GalerieGalerie  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Derniers sujets
Marque-page social
Marque-page social reddit      

Conservez et partagez l'adresse de MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE sur votre site de social bookmarking
QUOI DE NEUF SUR NOTRE PLANETE
LA FRANCE NON RECONNAISSANTE
Ephémerides
-40%
Le deal à ne pas rater :
Tefal Ingenio Emotion – Batterie de cuisine 10 pièces (induction, ...
59.99 € 99.99 €
Voir le deal
Le Deal du moment :
Pokémon EV06 : où acheter le Bundle Lot ...
Voir le deal

 

 Le contrôle des dégâts:Chomsky et le conflit israélo-israéli

Aller en bas 
AuteurMessage
Tite Prout
Maître de Cérémonie du forum
Tite Prout


Nombre de messages : 1737
Localisation : Montréal
Date d'inscription : 01/06/2005

Le contrôle des dégâts:Chomsky et le conflit israélo-israéli Empty
21082006
MessageLe contrôle des dégâts:Chomsky et le conflit israélo-israéli

Politique Nationale/Internationale
Le contrôle des dégâts : Noam Chomsky et le conflit israélo-israélien

Alors que les États-Unis s'enfoncent dans le bourbier irakien et soutiennent la campagne israélienne de destruction en Palestine et au Liban, une polémique se développe aux États-Unis sur les liens exacts entre l'impérialisme US et l'expantionnisme sioniste. Soudainement la pensée de Noam Chomsky, qui s'est longtemps imposée comme référence à la gauche états-unienne, ne fonctionne plus. Pour le journaliste Jeffrey Blankfort, c'est le moment de remettre en cause ce monstre sacré. Nous publions ici, en trois parties, sa longue étude des limites de la pensée de Noam Chomsky.


Le contrôle des dégâts : Noam Chomsky et le conflit israélo-israélien
par Jeffrey Blankfort*

« Dans un article du New York Times (daté du 19 avril 2003), la journaliste Emily Eakin relatait un colloque de l'Université de Chicago, convoqué afin d'évaluer (de manière générale) l'impact des théories (politiques). Lors de l'une des sessions de ce colloque, à laquelle participait une brochette de superstars des sciences humaines, un étudiant demanda : « À quoi bon la théorie, dès lors que nous admettons de fait que les actions de Noam Chomsky sont plus importantes pour le monde que tous les écrits des théoriciens critiques réunis ? »
(John Spayde, éditorialiste en chef, UTNE Reader, novembre-décembre 2004.)

Noam Chomsky est le contempteur des aventures impériales de l'Amérique le plus en vue, et ce depuis plus de trente ans. C'est là sans doute le seul point qui fasse l'unanimité tant de ses partisans loyaux (qui sont légion) que de ses détracteurs tout aussi passionnés, bien que beaucoup moins nombreux. Sa prépondérance en la matière est si extraordinaire, si totalement dénuée de précédent qu'on aurait bien du mal à trouver un concurrent qui lui arrive à la cheville. C'est là une consécration considérable, surtout pour quelqu'un qui a parfois été qualifié d'« icône, à son corps défendant »… [1]

Depuis qu'on parle de lui, en dépit de son profil bas et de son élocution monocorde, Chomsky est tout ce que vous voudrez, sauf un grand timide. À y regarder de plus près, toutefois, il s'avère qu'il doit moins sa position éminente à son érudition qu'à sa production intellectuelle en tant que telle, qui compte des dizaines d'ouvrages – trente, ces trente dernières années – ainsi que des centaines de discours et d'interviews.

Dans le domaine des relations entre les États-Unis, Israël et la Palestine, avec Chomsky, c'est d'un véritable tsunami virtuel dont il s'agit, qui déferle tel une énorme vague sur les travaux authentiquement universitaires qui contredisent ses positions politiques sur le Moyen-Orient. À savoir, nommément : qu'Israël servirait d'atout stratégique aux États-Unis et que le lobby israélien (au premier rang duquel, l'Aipac) se réduirait à un groupe de pression semblable à tous les autres groupes de pression, mis à part le fait qu'il chercherait à modifier la politique américaine au Moyen-Orient. À l'appui de ces deux axiomes – je le démontrerai – Chomsky ne produit que des preuves extraordinairement sommaires. Quant aux éléments qui risqueraient de saper sa théorie, il les élimine, purement et simplement…

Néanmoins, Chomsky a réussi à fonder une pensée. Il s'est acquis l'adhésion presque religieuse de milliers d'adeptes dans le monde entier. En même temps, il est devenu l'objet par prédilection de la haine des gens qui soutiennent et justifient le programme politique mondial des États-Unis, leur « agenda global », ainsi que la domination de leur jeune supplétif – Israël – sur les Palestiniens. Qui d'autre que Chomsky pourrait se vanter de l'existence de blogs entièrement consacrés aux attaques contre son auguste personne ?

Ce qui est généralement moins connu, c'est le fait qu'il avoue lui-même avoir été, depuis sa plus tendre enfance, sioniste (dans l'une des toutes premières acceptions de ce qualificatif, c'est-à-dire qu'il était favorable à la création d'un foyer juif en Palestine - d'un État binational, et non pas d'un État exclusivement juif) et que, comme il l'écrivit voici une trentaine d'années : « Sans doute mon histoire personnelle déforme-t-elle la représentation que je me fais de ce problème [2]… » Il est par conséquent absolument essentiel de prendre la mesure du degré atteint par cette distorsion si l'on veut comprendre les positions absolument stupéfiantes que Chomsky a adoptées en réaction au conflit israélo-palestinien…

Étant données la constance et la perversité des attaques portées contre Chomsky par ses détracteurs « de droite », on marche sur des œufs quand on envisage de l'attaquer et que l'on est « de gauche ». Dénoncer de graves erreurs dans l'analyse et dans la recension de l'histoire opérées par Chomsky, c'est encourir presque à coup sûr l'opprobre de ceux qui pourraient – à l'extrême rigueur – être d'accord avec la nature de cette critique, mais qui sont devenus tellement jaloux de la réputation de Chomsky, depuis tant d'années – souvent en raison d'une amitié personnelle – que non seulement ils n'ont jamais mis en cause publiquement la moindre erreur substantielle de sa part, ni factuelle, ni interprétative, mais ils ont même violemment rejeté les tentatives d'autres personnes en ce sens, qu'ils n'ont pas manqué de qualifier de « vengeances personnelles » …

Chomsky lui-même n'est pas plus enclin que ses fans à admettre une quelconque critique à son endroit. Comme l'a dit un de ses contempteurs, « son attitude vis-à-vis de ceux qui ne sont pas d'accord avec lui est, dans une très large mesure, une attitude de pur mépris. La seule raison pour laquelle ces contestataires seraient incapables de voir que ce qu'il dit est la vérité toute pure, c'est qu'il ne pourrait s'agir, d'une manière ou d'une autre, que de gens moralement déficients. » [3]

Bien que j'aie déjà reproché à Chomsky de minimiser l'influence du lobby pro-israélien sur la politique moyen-orientale de Washington [4], j'ai hésité à rédiger une critique de l'ensemble de son approche pour les raisons indiquées. Néanmoins, j'étais convaincu qu'ironiquement, tout en ayant fourni ce qui est sans doute la documentation la plus complète sur les crimes d'Israël, il avait en même temps paralysé – sinon délibérément saboté – le développement d'un quelconque effort sérieux pour mettre un terme à ces crimes et pour bâtir un mouvement efficace au service de la cause palestinienne.

J'exagère ? À peine : beaucoup de déclarations de Chomsky ont démontré sa détermination à prémunir Israël et les Israéliens contre les sanctions ou les inconvénients majeurs qu'ils auraient dû encourir en raison de leurs transgressions absolument phénoménales de ce que devrait être un comportement humain décent, que Chomsky a lui-même documentées passionnément depuis des années. C'est là une des contradictions manifestes dans son action : il voudrait nous faire croire que l'occupation et les agissements extrêmement brutaux d'Israël contre les Palestiniens, ses invasions, ses quarante années de guerre non-déclarée contre le Liban et le fait qu'il ait armé des régimes assassins en Amérique centrale et en Afrique durant la Guerre froide, auraient été le fait d'un État client au service exclusif des intérêts nationaux américains. Du point de vue de Chomsky, voilà qui absoudrait Israël de toute responsabilité. Cette pétition de principe est hélas une partie constitutive de la doctrine chomskienne officielle.

Il m'a semblé essentiel de procéder à une étude critique de son œuvre, après avoir pris connaissance d'une interview qu'il a accordée en mai dernier à Christopher J. Lee de la revue Safundi : The Journal of South African and American Comparative Studies [Revue des études comparatistes d'Afrique du Sud et d'Amérique], disponible en ligne sur le site ouèbe Znet [5].

Tout à fait naturellement, la discussion aborda la question de l'apartheid et la question fut posée à Chomsky de savoir s'il considérait que ce terme s'appliquait (ou non) aux Palestiniens soumis à la domination israélienne. Il répondit :

« Je n'utilise pas moi-même ce terme, pour être franc. De même que je n'utilise pas [fréquemment] le terme « empire », parce que ce sont là, tout simplement, des termes provocateurs… Je pense qu'il faut s'en tenir à la description de la situation, sans la comparer à d'autres. »

Tout lecteur familier de Chomsky reconnaîtra qu'il n'est pas avare de termes incendiaires, et que comparer une situation historique avec une autre situation historique fait partie depuis fort longtemps de son modus operandi… Sa réponse, en l'occurrence, était troublante. Beaucoup d'universitaires et de journalistes israéliens, comme Ilan Pappe, Tanya Reinhart et Amira Hass ont décrit la situation des Palestiniens en la qualifiant de régime d'apartheid. Monseigneur Desmond Tutu a fait de même et, l'an dernier, le quotidien israélien Ha'aretz indiquait que le professeur de droit sud-africain John Dugard, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés et ancien membre de la Commission Vérité et Réconciliation de son pays avait écrit dans un rapport adressé à l'Assemblée générale de l'Onu « qu'il régnait dans les territoires (palestiniens occupés par Israël) » un « régime d'apartheid bien pire que celui qui existait jadis en Afrique du Sud. » [6]

Chomsky a expliqué son désaccord :

« L'apartheid était un système particulier, et une situation particulièrement infâme… Ce terme n'est évoqué qu'afin d'agiter un chiffon rouge, alors qu'on peut très bien se contenter de décrire, tout simplement, la situation (telle qu'elle est)… »

Sa réticence à qualifier le contrôle exercé par Israël sur les Palestiniens d'« apartheid », car cela pourrait être perçu comme « l'agitation d'un chiffon rouge », de même que le fait de qualifier ce qualificatif de « provocation », voilà qui était, en soi, un chiffon rouge, et qui soulevait des questions qui auraient dû être posées par l'intervieweur, notamment celle de savoir qui, au juste, serait provoqué par le « chiffon rouge » que serait censée représenter toute référence à l'« apartheid » dans le cas d'Israël, et quelles objections Chomsky pourrait bien élever contre cela ?

Il y eut un échange encore plus dérangeant, plus tard, au cours de la même interview, quand on demanda à Chomsky si des sanctions pourraient être imposées à Israël, comme ce fut le cas pour l'Afrique du Sud ? Il répondit :

« Les sanctions, cela cause du tort à la population. On ne peut imposer de sanctions tant que la population ne les exige pas elle-même. C'est une question morale. Aussi, le plus important, dans le cas d'Israël, c'est ceci : la population (israélienne) réclame-t-elle des sanctions ? Eh bien, à l'évidence, la réponse est : “non !” »

À l'évidence : “non”… Mais est-il acceptable de prendre une décision de cette nature sur la base de ce que veut (ou ne veut pas) une majorité d'Israéliens ? Israël, que je sache, n'est pas une dictature dont la population serait tétanisée par la peur et ne saurait par conséquent être tenue responsable des agissements de son gouvernement. Israël a une presse très largement indépendante et très vivante, et une « armée populaire » dans laquelle tous les juifs israéliens (mis à part les ultra-orthodoxes) sont tenus de servir et qui fait l'objet, de la part de l'opinion publique israélienne, d'un révérence quasi religieuse. Au fil des années, à la manière démocratique qui leur est propre, la majorité des Israéliens a constamment soutenu et participé aux actions de son gouvernement contre les Palestiniens et les Libanais ; des agissements qui non seulement étaient et sont racistes, mais qui violaient – et continuer à violer – les Conventions de Genève.

Chomsky a clarifié sa position :

« Ainsi, appeler ici à des sanctions, alors que la majorité de la population ne comprend pas ce que vous faites, est tactiquement absurde – même si ces sanctions étaient moralement justifiées, ce que je ne pense (d'ailleurs) pas. Le pays auquel on imposerait des sanctions ne les réclame pas. »

L'intervieweur, Lee, stupéfait par cette réponse – on le comprend – lui demanda alors :

« Les Palestiniens n'appellent pas à des sanctions ? »
Revenir en haut Aller en bas
Partager cet article sur : reddit

Le contrôle des dégâts:Chomsky et le conflit israélo-israéli :: Commentaires

Chomsky : « Mais les sanctions ne seraient pas appliquées aux Palestiniens (que je sache ? !) ; elles seraient imposées aux Israéliens !… »

Lee : « Exact !… [Donc, ce que vous voulez dire, c'est que] les Israéliens n'appellent pas à des sanctions… »

Cette réponse perturba aussi l'analyste politique palestinien Omar Barghouthi, lequel, tout en reconnaissant (avec tact) en Chomsky un « éminent soutien de la cause palestinienne », n'y alla pas par quatre chemins, pour faire un sort aux arguties chomskyennes :

« De tous les arguments anti-boycott, celui-ci reflète soit une naïveté stupéfiante, soit une malhonnêteté intellectuelle délibérée. Allons-nous juger si nous devons appliquer (ou non) des sanctions à une puissance coloniale en fonction de l'opinion de la majorité du peuple oppresseur ? S'il vous plaît, que quelqu'un me dise si on en a encore quoi que ce soit à cirer, du peuple opprimé ? » [7]

Apparemment, pour Chomsky, ça n'est pas le cas. Mais on n'avait encore pas tout vu, en matière d'absurdités :

« De plus, ces sanctions sont inutiles. Nous devrions appeler à des sanctions contre les États-Unis, alors là : d'accord ! Si les États-Unis arrêtaient leur soutien massif à cette politique, elle deviendrait rapidement une chose du passé. Dans ce cas, vous n'auriez nul besoin d'imposer de quelconques sanctions à Israël. Ce serait comme imposer des sanctions à la Pologne soumise aux Russes, en raison de ce que font les Polonais. Ce serait totalement absurde. Dans le cas présent, les Russes, c'est nous [= les États-uniens, ndt] »

Primo : que veut dire Chomsky lorsqu'il affirme que « ces sanctions sont inutiles » ? Il savait certainement, au moment où il répondait à ce journaliste, qu'Israël, en construisant une muraille de huit mètres de hauteur qualifiée à juste titre de « Mur de l'Apartheid », accélérait la confiscation de nouvelles terres palestiniennes et poursuivait son nettoyage ethnique entrepris bien avant 1947. Et que la seule chose qui pouvait arrêter cela, c'était la pression de l'opinion publique.

Secundo : s'il y avait un soutien considérable à des sanctions contre les États-Unis et si ces sanctions étaient possibles, les appliquer ne violerait-il pas les standards définis par Chomsky pour une telle opération ? Ne venait-il pas de dire qu'il fallait que la majorité de la population y soit favorable ? Apparemment, il n'a pas les mêmes critères que pour les Israéliens, quand c'est des Américains qu'il s'agit. Quant aux souhaits des Palestiniens, n'en parlons pas !…

Et enfin, alors qu'il venait de déclarer au journaliste qu'il n'aimait pas comparer, que vient donc faire là son allusion à la relation entre la Pologne et l'ex-URSS (la « Russie », en chomskien dans le texte), qu'il met dans la même catégorie que celle existant entre Israël et les États-Unis ? Il faisait allusion à la mise en application de sanctions par l'administration Reagan contre la Pologne, en 1981, après que ce pays du bloc de l'Est eut instauré la loi martiale en réaction à la montée en puissance du mouvement Solidarnosc. Le rôle joué par l'URSS dans cette décision a certes fait l'objet de débats. Il est néanmoins évident qu'il n'existe aucun fondement sérieux pour une telle comparaison.

Rétrospectivement, toutefois, elle n'avait rien de surprenant. Dans les années 1980, Chomsky mettait les relations israélo-américaines dans la même catégorie que les relations américano-salvadoriennes, à l'époque où l'administration Reagan soutenait un gouvernement fantoche au Salvador contre la guérilla du FMLN. Nullement embarrassé d'avoir proféré une telle ineptie, Chomsky la répète [8]. Déjà, à l'époque, il faisait montre d'une détermination sans faille à faire retomber sur les États-Unis la responsabilité des agissements israéliens. Le faire observer, ça n'est en rien prendre la défense ni des États-Unis ni de leur histoire infamante de criminalité planétaire – totalement indéfendable – mais c'est tout simplement dévoiler les profondes failles inhérentes à la représentation que Chomsky se fait du monde.

Au cas où quelque chose m'aurait échappé, j'ai écrit à Chomsky, pour lui demander de bien vouloir expliciter ce que les relations polono-soviétiques avaient en commun avec les relations israélo-américaines ? Il refusa de répondre sur ce point. Mais, au sujet de mes interrogations sur sa tendance à toujours esquiver l'incrimination d'Israël, il me répondit, en revanche :

« Je n'endosse pas non plus les tentatives d'accuser d'autres que nous [dont Israël] de ce que nous faisons. C'est mesquin, c'est lâche. C'est, certes, expédient… Mais moi, je ne marche pas dans ce genre de combine. C'est précisément cela, l'enjeu. Et rien d'autre [9]. »

Ah bon ? Incriminer Israël, c'est « mesquin, lâche et expédient » ? Son désir premier serait-il de protéger Israël et les Israéliens contre toute contrariété ? Voilà qui n'est pas très clair, dans cette réponse que Chomsky m'a apportée, en privé. Mais ses efforts publics visant à saboter le programme de désinvestissement en train d'éclore sur les campus universitaires ne laissent pas de place au doute quant à ceux vers qui vont ses sympathies.
Chomsky s'oppose au boycott des investissements en Israël

Au cours d'un dialogue avec le lectorat du Washington Post, Chomsky a été interpellé par un lecteur :

« Pourquoi avez-vous signé une pétition demandant au MIT [Massachusetts Institute of Technology] de boycotter les investissements en Israël, puisque vous avez donné depuis lors une interview dans laquelle vous déclarez votre opposition à de tels boycotts des investissements ? Quelle était – ou quelle est aujourd'hui – votre position sur les propositions de boycott de ces investissements ? »

Réponse de Chomsky :
« Comme cela est parfaitement connu, à Cambridge, de toutes les personnes impliquées, j'ai été l'opposant le plus farouche à cette pétition exigeant le désinvestissement et, de fait, j'ai refusé de la signer tant qu'elle ne serait pas profondément modifiée, selon des principes dont vous pouvez prendre connaissance si vous le souhaitez. La partie consacrée au “désinvestissement” a été réduite à trois mots totalement dépourvus de signification, qui n'avaient rien à voir avec l'objet principal de la pétition. J'ai pensé que ces trois mots, qui ne voulaient rien dire, devaient être supprimés, eux aussi… Au sujet de votre dernière question, j'étais et je reste toujours fermement opposé, sans aucune exception, à ce genre de mesure, si toutefois je comprends bien le sens de votre question. Qu'on m'explique [d'ailleurs] comment quelqu'un pourrait-il bien “boycotter les investissements en Israël” » [10]

Je ferai la supposition que Chomsky a très bien compris ce à quoi son interlocuteur avait fait allusion, à savoir : aux investissements américains dans des entreprises israéliennes et dans les Bons de l'État israélien, que financent les syndicats de travailleurs américains et que beaucoup d'États et d'universités des États-Unis ont acquis, à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars. Ces achats obligent à l'évidence ces institutions à exercer un lobbying sur le Congrès afin de s'assurer que l'économie israélienne sera bien, quoi qu'il arrive, maintenue la tête hors de l'eau. Mais ça, Chomsky n'en parle pas… Il n'en est nullement question, par ailleurs, dans ses ouvrages…

L'intervenant faisait référence à un discours que Chomsky avait prononcé au département d'anthropologie de Harvard, peu après que le MIT et les diverses facultés d'Harvard eurent publié une déclaration commune sur le désinvestissement. Cela fut rapporté (non sans jubilation) dans la revue Harvard Crimson par le pro-israélien militant David Weinfeld, sous le titre : « Le cadeau de Chomsky » :

« Le professeur de linguistique au MIT Noam Chomsky vient de faire le plus beau cadeau de Hanoukkah à tous les opposants à la campagne de désinvestissement lancée contre Israël. En signant la pétition du MIT et d'Harvard appelant au désinvestissement, voici plusieurs mois, puis en dénonçant ledit désinvestissement, le 25 novembre dernier à Harvard, Chomsky a complètement sabordé la pétition en question… »

Au cours de sa dernière conférence au département d'anthropologie de Harvard, Chomsky a déclaré :

« Je suis opposé, comme je l'ai toujours été, depuis des années… de fait, je suis même probablement le plus en vue des opposants, depuis des années, aux campagnes de désinvestissement en Israël, ainsi qu'aux campagnes de boycott universitaire à l'encontre de ce pays… »

Il a invoqué l'argument selon lequel un appel au désinvestissement reviendrait à « faire un cadeau particulièrement bienvenu pour les partisans les plus extrémistes de la violence américano-israélienne… Ce boycott éclipse les points fondamentaux à l'ordre du jour et cela leur permet de dévier la discussion vers des questions hors sujet, comme l'antisémitisme, les libertés universitaires, etc… [11] »

Ici, l'on assiste à une des tactiques auxquelles Chomsky recourt habituellement afin de réduire ses rares opposants au silence : il a coutume de les accuser d'apporter de l'eau au moulin des « partisans les plus extrémistes de la violence américano-israélienne »…

Contacté par le Cornell Daily Sun, qui préparait un article sur le mouvement de désinvestissement au MIT/Harvard, Chomsky réitéra ses objections et, « bien qu'il reconnût l'existence de cette pétition », écrivit le journaliste, Chomsky a déclaré : « Je n'ai connaissance d'aucun mouvement prônant le désinvestissement. Je n'ai pratiquement eu aucun rapport, d'ailleurs, avec un quelconque « mouvement », si ce n'est pour insister auprès de lui sur le fait qu'il ne saurait être en aucun cas question d'une campagne de désinvestissement. » [12]

Au moins, on ne peut pas lui reprocher de manquer de constance… Après la première Conférence annuelle Maryse Mikhaïl, à l'université de Toledo, le 4 mars 2001, on a demandé à Chomsky :

« Pensez-vous que l'idée de faire campagne pour des désinvestissements en Israël, de la même manière que cela fut préconisé et pratiqué à l'encontre de l'Afrique du Sud au temps de l'apartheid, soit une bonne idée ? »
Chomsky répondit :

« Je considère, à cet égard, que les États-Unis sont les premiers coupables, dans ce problème et ce, depuis plus de trente ans. Pour nous [Américains], prôner le désinvestissement en Israël, cela n'aurait vraiment aucun sens… Ce que nous devons faire, c'est exercer des pressions en vue d'obtenir des changements dans la politique américaine.
En revanche, il est tout à fait sensé de faire pression pour que les États-Unis n'envoient pas d'hélicoptères d'assaut en Israël, par exemple. En fait, il serait tout à fait indiqué d'obtenir qu'un quotidien des États-Unis publie un reportage sur le fait que ce genre de choses se produisent réellement. Ce serait un bon début. Ensuite, il faudrait cesser d'envoyer des armes, qui sont utilisées [par Israël] à des fins de répression. Vous pouvez prendre des mesures telles celles-là ; c'est possible. Mais je ne pense pas que le désinvestissement en Israël ait grand sens, même si une telle politique était envisageable (ce qui n'est d'ailleurs pas le cas).
Je pense que notre principale préoccupation, ce devrait être le changement de la politique fondamentale des États-Unis, qui est à l'origine de ce que nous constatons, depuis des décennies. Et cela devrait être à notre portée. C'est ça, ce que nous devrions pouvoir réaliser : changer la politique américaine… »

Examinons la réponse apportée par Chomsky lors de cette soirée. Ayant exprimé tout de go son opposition à l'exercice de pressions sur Israël via des désinvestissements, il n'a fait aucune suggestion, comme le fait que les gens dans l'assistance auraient pu contacter leurs représentants au Congrès ou leurs sénateurs, au sujet de leur vote favorable aux aides à destination d'Israël. Comme on le sait, des appels massifs adressés au Congrès lui demandant d'arrêter certains financements, que ce soit ceux destinés à la guerre au Vietnam, ou ceux qui soutenaient les Contras au Nicaragua, ont représenté un élément fondamental dans toute lutte d'ampleur nationale contre la politique globale des États-Unis. Pourquoi ne serait-ce pas le cas, en ce qui concerne la Palestine ? Au cas – improbable – où Chomsky aurait un jour appelé à des actions visant le Congrès, je n'en ai retrouvé nulle trace écrite.

Les militants pour [la paix au] Moyen-Orient, par la suite, marchant sous la bannière de Chomsky, ont continué à contribuer à ce que des membres du Congrès – des Démocrates libéraux, en particulier – n'aient aucun prix à acquitter pour leur vote en faveur de textes législatifs qui ont fourni à Israël des milliards de dollars et les armes qu'il a utilisées pour massacrer les Palestiniens, confisquer leurs terres et agrandir leurs colonies illégales. C'est cela qui a eu un effet dévastateur pour les Palestiniens, et non pas les quelques dizaines de résolutions du Conseil de sécurité dépourvues de signification réprimandant Israël, mais auxquelles les États-Unis ont opposé leur veto. Mais qui, aux yeux de Chomsky, auraient la vertu de valider la position qui est la sienne, à savoir que : ce seraient les États-Unis qui seraient le principal coupable…

Ce que Chomsky a suggéré à ce public – à savoir : obtenir qu'un journal évoque les « ventes » [les guillemets sont importants, ndt] d'hélicoptères à Israël – aurait dû amener ceux qui n'étaient pas encore fascinés par sa présence charismatique à hocher la tête. Quant à l'affirmation selon laquelle « changer la politique américaine » serait « à notre portée »… Si Israël est bien un atout pour les États-Unis, comme il le soutient, comment Chomsky suggère-t-il que ce changement soit amené ? Mis à part le conseil d'écrire au rédacteur en chef de votre journal local, Chomsky ne suggère rien du tout…
Chomsky dédouane Israël de ses crimes

L'an dernier, Noah Cohen a eu la témérité de défier l'opposition de Chomsky à la fois à une solution à « un seul État » et à la mise en application du droit au retour des réfugiés palestiniens. Chomsky défendit son propre « réalisme » et railla Cohen en le qualifiant de « participant à un séminaire d'intellectuels non-engagés venus de la planète Mars… », sans oublier d'ajouter que « ceux qui adoptent ce genre de position ne font que servir la cause des faucons extrémistes en Israël et aux États-Unis, et qu'apporter encore plus de misère aux Palestiniens, qui – eux – souffrent. » [13]

Notez, là encore, comment Chomsky accuse ceux qui ne sont pas d'accord avec lui de porter du tort aux Palestiniens. Ceci inclut évidemment les Palestiniens eux-mêmes, qui refusent de renoncer à leur droit au retour ! Leur crime, aux yeux de Chomsky, c'est de s'opposer à ce qu'il qualifie, de manière élogieuse, de « consensus international », dont le soutien constitue – à ses yeux – une « authentique plaidoirie ». [14]

« La tâche fondamentale », dit-il, « consiste à faire en sorte que les opinions et les attitudes d'une grande majorité des citoyens américains soient représentées dans l'arène politique. Comparée aux autres tâches auxquelles les militants sont confrontés, celle-ci est, depuis fort longtemps, relativement simple ». [15]

Simple ? Qui, de Chomsky ou des gens que le critiquent, avons-nous envie de demander, est sur la planète Mars ? !

Bien entendu, comme nous l'avons déjà noté, Chomsky ne formule aucune suggestion quant à la manière d'obtenir un tel résultat !…

Bien qu'il ne s'en vante pas publiquement, Chomsky a bel et bien signé une pétition exigeant la suspension de l'aide militaire à Israël. Mais cette pétition eut très peu de succès et Sustain, l'association qui en était à l'origine, fit d'ailleurs pratiquement tout pour ne pas la populariser. Mais ce n'est pas là le genre de reproche que Chomsky irait formuler dans ses bouquins, ni ses interviews. Comme je le lui faisais observer, il répondit :

« C'est totalement faux. J'ai toujours soutenu l'appel de Human Rights Watch et d'autres associations, à arrêter l' « aide » à Israël tant que ce pays ne respecterait pas les droits de l'homme. J'ai tout fait afin de faire savoir que la majorité des Américains étaient en faveur de l'arrêt de toute aide à Israël tant qu'il n'accepterait pas d'entamer des négociations sérieuses (ce sur quoi je suis d'accord avec eux)… » [16].

Étant donné la nature et le résultat sans surprise aucune desdites « négociations sérieuses », et étant donné le rapport des forces caractérisant le face-à-face israélo-palestinien, cette exigence ne représentait en rien un problème pour Israël, comme Oslo et ce qui s'ensuivit allaient amplement nous en apporter la démonstration… L'affirmation de Chomsky, selon laquelle il aurait soutenu l'appel de HRW à suspendre toute aide à Israël est toutefois le pur produit de sa fertile imagination ! Ceci m'a été confirmé par un responsable de HRW, qui a expliqué que cette organisation s'était contentée de demander que les fonds (d'aide) dépensés dans les territoires occupés soient déduits de la dernière allocation en date de garanties de prêts (états-uniens) [17]. On le voit : c'est très loin d'être la même chose. Ayant fait remarquer ceci à Chomsky, il répliqua :

« Pour prendre un seul exemple… Prenons [le rapport] de HRW intitulé « Les interrogatoires de Palestiniens des territoires occupés par Israël » [Israel's Interrogation of Palestinians from the Occupied Territories], page XV, qui énonce que la loi américaine interdit la fourniture de toute aide militaire ou économique à Israël, en raison de son recours systématique à la torture. [18] »

À mon objection que cela ne constituait pas précisément ce qu'on pourrait qualifier à proprement parler une « campagne », Chomsky répondit, très jésuitiquement :

« Qualifier certains actes d'illégaux constitue un fondement suffisant pour pouvoir servir de référence à un appel à mettre un terme aux dits actes. Si vous préférez ne pas vous joindre au HRW, et à moi-même, afin de qualifier d'illégale cette aide, ce qui implique qu'elle doit cesser, libre à vous…Votre argumentation n'est pas très impressionnante… [19]. »

Je laisse au lecteur le soin de décider si qualifier d'illégale l'aide états-unienne à Israël, dans un unique et obscur document, équivaut au lancement d'une campagne à grande échelle pour y mettre fin ! ?

Trois ans auparavant, Chomsky avait très clairement précisé sa position :

« Très pratique, pour les États-Unis et de manière générale pour l'Occident, de blâmer Israël, et en particulier Sharon… Mais c'est injuste et c'est malhonnête. Beaucoup des pires atrocités de Sharon ont été perpétrées sous des gouvernements travaillistes. En tant que criminel de guerre, Pérès talonne Sharon de très près. De plus, la responsabilité première [en] incombe à Washington et, cela, depuis trente ans. C'est vrai en ce qui concerne le cadre diplomatique général, et c'est vrai aussi en ce qui concerne certains agissements circonstanciés. Israël peut [certes] agir à l'intérieur des limites définies par ses maîtres, à Washington, mais très rarement au-delà. [20] »

Même si ce genre de déclaration a de quoi réjouir les yeux et les oreilles des pro-israéliens « de gauche », il devrait être évident pour tout le monde que cette façon qu'a Chomsky de brandir la responsabilité de l'État juif en matière de respect des principes de Nuremberg, ainsi que des Conventions de Genève, sert manifestement les intérêts… d'Israël. (De plus, même si on pourrait réunir un dossier accablant à l'encontre de Pérès, celui-ci ne joue tout de même pas dans la même catégorie que Sharon, en matière de crimes de guerre…).

La rationalisation des méfaits criminels d'Israël, à laquelle procède Chomsky dans son Triangle fatal [The Fatal Triangle] aurait dû tirer la sonnette d'alarme, dès la parution de cet ouvrage, en 1983. Celui-ci, écrit un an après l'invasion du Liban par Israël, et qui allait devenir la Bible des militants de la cause moyen-orientale, ne commence pourtant pas par des remontrances envers Israël aussi dures que celles de la plupart de ses détracteurs :

« Dans la guerre sémantique qui a été déclenchée à la suite de l'invasion du Liban par Israël, en juin 1982, les contempteurs des actions israéliennes ont fréquemment été accusés d'hypocrisie. Si les raisons invoquées étaient spécieuses, l'accusation elle-même n'était pas totalement infondée. Il est manifestement hypocrite de condamner la construction de colonies par Israël dans les territoires palestiniens occupés, dès lors que c'est nous [les États-uniens] qui, en payant, permettons qu'elles soient crées et / ou agrandies. Hypocrite, encore, de condamner Israël parce qu'il attaque des objectifs civils avec des bombes à fragmentation et des bombes au phosphore, « afin d'obtenir le rendement maximum de tués / frappe ». Alors même que c'est nous qui fournissons ces bombes aux Israéliens gratuitement, ou à prix d'ami, tout en sachant très bien quelle utilisation en sera faite… Ou encore de critiquer les bombardements israéliens « aveugles » de zones densément peuplées ou encore d'autres « hauts faits » militaires, alors que non seulement nous fournissons ces moyens militaires en abondance, mais que nous sommes très demandeurs de l'aide qu'Israël nous apporte, en retour, en testant les armes dernier cri dans les conditions du champ de bataille… D'une manière générale, c'est pure hypocrisie que de critiquer l'usage qu'Israël fait de sa puissance, tout en accueillant à bras ouverts les contributions de ce pays à la réalisation par les États-Unis de leur objectif d'élimination de menaces potentielles, d'origine très largement indigène, pour l'hégémonie américaine au Moyen-Orient. [21] »

Je réponds ceci à Chomsky : C'est Israël, qui voyait en l'OLP une menace, en 1982, et non pas les États-Unis ! En particulier après que ladite OLP eut respecté rigoureusement un cessez-le-feu avec Israël parrainé par les États-Unis et, ce, onze mois durant ; ce qui, vous l'avouerez, lui conférait une crédibilité ô combien dangereuse, aux yeux d'Israël ! Ensuite, qui Chomsky désigne-t-il par ce « nous » ? Peut-être s'agit-il du président Reagan et de quelques membres du Congrès, qui ont manifesté une certaine « préoccupation » après que les médias se furent retrouvés dans l'impossibilité de dissimuler plus longtemps le nombre des Palestiniens et des Libanais tués par l'invasion israélienne, ni la destruction quasi totale du Liban. Mais Chomsky ne le dit pas. Il ne peut s'agir de ceux qui étaient descendus dans les rues afin de manifester contre l'invasion israélienne. Les deux partis politiques (états-uniens) [le parti républicain et le parti démocrate, ndt] s'étaient livrés à une surenchère d'applaudissements au moment où Israël avait lancé son agression et le syndicat états-unien AFL-CIO avait fait de même, allant jusqu'à payer un encart publicitaire, sur toute une page du New York Times, proclamant : « Nous ne sommes pas neutres : nous, nous soutenons Israël ! » - placard financé par un lobbyiste israélien résidant sur Park Avenue, dans un quartier ultra-chic. Au début, les médias étaient, eux aussi, enthousiastes. Mais il est rare, néanmoins, de trouver un éditorial qui soutienne l'aide états-unienne à Israël. Ce sujet est très rarement évoqué – pour ainsi dire, jamais – et c'est comme ça que le lobby pro-israélien aime bien la presse : quand elle la ferme ! En écrivant ce qu'il écrit, Chomsky ne serait-il pas, par hasard, en train de nous fabriquer un épouvantail, afin de faire diversion ? Il semble bien, hélas, que ce soit le cas…

Si nous adoptions la « logique » de Chomsky, il serait injuste d'accuser des officiers et des responsables politiques indonésiens, salvadoriens, guatémaltèques, haïtiens ou philippins des atrocités perpétrées contre leurs propres concitoyens, dès lors qu'ils étaient financés et politiquement soutenus par les États-Unis !

Nul doute que Pinochet fera appel à maître Chomsky, comme avocat, pour sa défense, s'il doit être jugé un jour…
Chomsky a invoqué une nouvelle fois la responsabilité américaine dans les péchés d'Israël dans son introduction à son ouvrage intitulé The New Intifada, en relevant qu'en sa qualité de haute partie contractante des Conventions de Genève, « il appartient à Washington d'empêcher la colonisation et les expropriations, les punitions collectives et toutes les autres formes de violence [d'Israël]… Il en résulte que les États-Unis commettent une violation explicite et extrême de leurs obligations en leur qualité de signataires de ces conventions » [22].

J'aurais tendance à être d'accord avec lui. Mais le refus d'agir des États-Unis représente-t-il en quoi que ce soit une « violation » plus « extrême » que les crimes réels et terriblement concrets perpétrés aujourd'hui par un autre signataire desdites Conventions, à savoir : Israël ? Chomsky aimerait bien nous le donner à accroire.
Le mythe d'Israël gardien des puits de pétrole

Ce point a été éclairci, lors d'une conférence de Chomsky à Oxford, en mai 2004, au cours de laquelle il a évoqué l'assassinat, la semaine précédente, du chef spirituel du Hamas par l'armée israélienne, tandis que celui-ci sortait d'une mosquée de Gaza. « Cela a fait l'objet de reportages, et cela a été présenté comme un assassinat israélien ; ce qui n'est pas exact… », a dit Chomsky, qui a aussitôt précisé sa pensée :

« Shaïkh Yassine a été tué par un hélicoptère américain, piloté par un pilote israélien. Or, Israël ne produit pas d'hélicoptères. Ce sont les États-Unis qui les leur envoie, tout en sachant très bien que ces hélicoptères seront utilisés à des fins telle celle-là. les États-Unis fournissent des armes à Israël, bien qu'ils soient parfaitement au courant du fait que ces armes seront utilisées à de telles fins par Israël, et non pour assurer sa défense, au titre de laquelle elles ont pourtant été exportées. »

Jusqu'à un certain point, Chomsky a raison. Ce qui manque à son analyse, c'est le fait qu'il ne fait pas la moindre allusion aux demandes émanant du Congrès – demandes orchestrées par l'Aipac, le lobby pro-israélien officiellement enregistré aux États-Unis – afin de s'assurer que ceux-ci fournissent bien à Israël ces hélicoptères, dont Israël pourra faire l'usage que ses généraux jugeront approprié. (De fait, il n'y a pas la moindre allusion à l'Aipac dans les nombreux ouvrages consacrés par Chomsky au conflit israélo-palestinien, ce qui tient de l'exploit !) L'impression que le public anglais de Chomsky retira de cette conférence, ce fut la conclusion que l'assassinat de Cheïkh Yassine avait reçu le feu vert de Washington…

Tandis que le recours répété aux hélicoptères contre la résistance et la population civile palestiniennes était un des aspects parmi les plus criminels de la réponse apportée par Israël à l'Intifada, l'absolution des Israéliens pour leur utilisation devenait une sorte d'obsession chez Chomsky, comme le montrent son introduction à The New Intifada [23] et (sans doute a fortiori) son ouvrage Middle East Illusions.

« Le 1er octobre [au début de l'Intifada d'al-Aqçâ], les hélicoptères militaires israéliens ou, plus précisément, les hélicoptères militaires américains pilotés par des Israéliens, firent monter l'escalade en flèche, avec la mort de deux Palestiniens à Gaza… La livraison ininterrompue d'hélicoptères d'assaut par les États-Unis à Israël, tout en sachant que ces armes étaient utilisées contre les civils palestiniens, ainsi que le silence des médias consensuels, ne sont qu'une illustration de notre piètre attachement au principe selon lequel nous ne croirions pas en la violence. Encore une fois, cela impartit deux tâches aux citoyens honnêtes : la première (la plus importante) – faire quelque chose à ce sujet ; la seconde – essayer de percer à jour pour quelle(s) raison(s) une telle politique est-elle menée [24] ? »

Que faire ? Voilà ce que Chomsky, encore une fois, ne dit pas. Mais il tente de nous dire le « pourquoi »… :

« En l'occurrence, les raisons fondamentales ne sont pas réellement controversées… On sait depuis longtemps que la région du Golfe renferme les principaux gisements énergétiques du monde… » [25].

Chomsky consacre ensuite deux pages à nous expliquer l'importance du pétrole du Moyen-Orient et les efforts déployés par les États-Unis pour s'en assurer le contrôle. Il s'agit là, en l'occurrence, de l'explication de base qu'il n'a cessé de répéter et de republier, presque littéralement, depuis des années. Ce que cela a à voir avec les Palestiniens, qui n'ont pas une goutte de pétrole, ou avec la manière dont un Etat croupion palestinien mettrait en danger les intérêts des États-Unis dans cette région du monde, voilà ce à quoi il n'est pas répondu. Mais, après ces deux pages, le lecteur aura oublié que la question ait même simplement été soulevée… Dans son explication, Chomsky ne fait pas la moindre allusion au lobby pro-israélien, ni non plus, d'ailleurs, à de quelconques groupes de pression intérieurs aux États-Unis…

Chomsky reconnaît certes que « des secteurs majeurs du capitalisme américain, dont certains éléments puissants ayant des intérêts au Moyen-Orient [entendre : les grandes compagnies pétrolières !] ont fait leur une « solution à deux États », en partant du principe que :

« Les tendances nationalistes radicales suscitées par la non-solution du problème palestinien seraient réduites par l'instauration d'un mini-état palestinien, qui serait contenu grâce à une alliance militaire jordano-israélienne (éventuellement tacite), survivrait en fonction du bon plaisir de ses voisins bien plus puissant que lui et serait financé par les forces les plus conservatrices et pro-américaines du monde arabe… Tel serait, de fait, le résultat vraisemblable d'une « solution à deux États ». [26] »

Un tel résultat aurait peu d'effets sur la politique régionale arabe, en dehors de celui de démoraliser les sympathisants du combat des Palestiniens dans les pays voisins et dans l'ensemble du monde, ce qui serait une évolution qui servirait, à l'évidence, les intérêts américains. Toutefois, cela entraverait l'expansion israélienne, chose cruciale pour Israël, mais de peu d'importance aux yeux de Washington. Par ailleurs, Chomsky ne voit pas cette contradiction, pourtant flagrante, dans son argumentation : si le soutien à Israël était effectivement fondé (comme il l'affirme) sur son rôle de protection des ressources stratégiques américaines – à savoir le pétrole – pourquoi ladite position ne jouit-elle donc pas, par conséquent, du soutien des grands trusts pétroliers ayant des « intérêts dans cette région » ?

Il est intéressant de se reporter aux écrits antérieurs de Chomsky, afin de suivre l'évolution de sa position. Le paragraphe suivant de Peace in the Middle East, publié en 1974 et réédité avec des compléments en 2003, ne se distingue pas vraiment de la bouillie libérale que Chomsky étrille par ailleurs si souvent…

« Je n'entrevois aucune manière, pour les Américains, de contribuer à la recherche active de la paix. Il s'agit là du travail du peuple de l'ancienne Palestine lui-même. Mais il est concevable que les Américains puissent apporter quelque contribution à une recherche passive de la paix en fournissant des canaux de communication, en élargissant la portée des discussions et en explorant des questions fondamentales de diverses manières qui ne sont pas aussi facilement à la portée de ceux dont les vies elles-mêmes sont directement menacées, dans l'immédiat. » [27]

Les lecteurs noteront, au milieu du caractère extrêmement vague de ce paragraphe, de quelle manière la suggestion, par Chomsky, que « la recherche active de la paix » doit être laissée « au peuple de l'ancienne Palestine » est le reflet d'une phrase que nous avons entendue souvent dans la bouche de Clinton et, depuis lors, de Georges le Second et de Colin Powell, à savoir, nommément : « laisser les négociations aux parties concernées ».

Ces propos ont été publiés un an après la guerre d'Octobre 1973, à une époque où les États-Unis étaient en train d'augmenter massivement leur aide, tant économique que militaire, à Israël – fait que Chomsky souligne, dans d'autres textes. Soulever une telle question dans un tel contexte, toutefois, n'était manifestement pas pour lui à l'ordre du jour, à l'époque.

Il est raisonnable de conclure, à ce stade, que la manière qu'a Chomsky de tourner autour de la question de l'aide états-unienne, son opposition aux désinvestissements et aux sanctions, et au fait qu'Israël soit tenu pour redevable, peuvent être attribuée plus à sa perspective sioniste, quelle que soit la manière dont il la définisse, qu'à son approche générale des événements historiques. Toutefois, cela ne s'arrête pas là : l'examen d'un échantillon de ses prodigieuses productions sur le conflit israélo-palestinien révèlera des omissions historiques critiques et des points aveugles, des événements malencontreusement mal interprétés et une tendance à répéter ses erreurs, au point qu'elles sont devenues des « faits non-controversés » pour des générations successives de militants, qui les répètent, tels des dauphins dressés. En somme, ce que Chomsky leur a légué, c'est un scénario profondément gauchi, qu'il a réussi à leur fourguer et à leur refourguer en le leur faisant prendre pour la réalité.

Les conséquences sont évidentes.

Ceux qui se sont fiés à l'interprétation chomskyenne des relations états-uno-israéliennes dans leur action en faveur de la cause palestinienne se sont retrouvés totalement impuissants sur le plan fonctionnel. Il n'existe tout simplement aucune preuve qu'une quelconque activité qu'ils aient entreprise ait mis le moindre frein à la détérioration ininterrompue de la situation des Palestiniens. J'inclus à ceci, spécifiquement, les mouvements anti-guerre et les mouvements de solidarité ainsi que leurs porte-parole en vue, qui ont adopté les formulations de Chomsky en bloc. La part de responsabilité, dans leur échec, qui devrait être déposée aux pieds de Chomsky peut faire l'objet d'un débat. Le rôle majeur joué par Chomsky dans cet échec est néanmoins incontestable. Par ailleurs, Chomsky a rendu un inestimable service à tous ceux qui, au sein du mouvement de solidarité, avaient pour principale (et souvent unique) préoccupation de protéger Israël contre tout blâme et toute sanction, et on sait combien ils sont nombreux.

Suite de cette étude
- 2ème partie : « Contrairement aux théories de Chomsky, les États-Unis n'ont aucun intérêt à soutenir Israël »
- 3ème partie : à paraître

Jeffrey Blankfort
Journaliste juif états-unien, co-fondateur du Labor Committee of the Middle East. Ancien directeur du Middle East Labor Bulletin.



Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier.

[1] Noam Chomsky interviewed by Tim Halle, 1999.

[2] Peace in the Middle East, Vintage, 1974 p. 49-51.

[3] Mick Hartley, January 10, 2004.

[4] « Occupied Territory : Congress, the Lobby and Jewish Responsibility », City Lights Review, San Francisco, 1992, The Israel Lobby and the Left : Uneasy Questions, Left Curve, Oakland, 2003.

[5] Safundi, Znet, May 10, 2004.

[6] Ha'aretz, August 24, 2004.

[7] www.jihadunspun.org, Dec. 25, 2004.

[8] Pirates and Emperors, South End Press. Cambridge, 2002.

[9] E-mail, 26 novembre 2004.

[10] Washington Post, 26 novembre 2003.

[11] Harvard Crimson, 2 décembre 2003.

[12] Cornell Daily Sun, 12 avril 2004.

[13] Znet, 26 juillet 2004.

[14] Znet, 26 août 2004.

[15] Ibid.

[16] E-mail, 26 novembre 2004.

[17] Leila Hull, HRW, e-mail, 27 novembre 2004.

[18] E-mail, 25 novembre 2004.

[19] E-mail, 26 novembre 2004.

[20] Znet, 2 avril 2002.

[21] The Fateful Triangle, South End, Boston, 1983, pp. 1-2.

[22] The New Intifada, Verso, London-New York, 2001 p. 18-19.

[23] Ibid, p. 6.

[24] Middle East Illusions, Rowman and Littlefield, Lanham, MD, 2003, p.207.

[25] Middle East Illusions, p. 209 Fateful Triangle, pp. 17 ff.

[26] The Fateful Triangle, pp 43-44.

[27] Peace in the Middle East, p. 56.

Dimanche 30 Juillet 2006
Jeffrey Blankfort

http://www.voltairenet.org/article142491.html http://www.voltairenet.org/article142491.html
Contrairement aux théories de Chomsky, les États-Unis n'ont aucun intérêt à soutenir Israël

Nous publions aujourd'hui la seconde partie de l'étude de Jeffrey Blankfort sur les ambiguité de Noam Chomsky. Après avoir montré l'engagement du maître pour soutenir les investissements en israël et pour accréditer la trompeuse théorie du gardien des puits de pétrole, il démonte deux autres dogmes. D'une part, loin d'être un atout stratégique pour les États-Unis, comme le prétend Chomsky, Israël est un handicap. D'autre part, ce n'est pas Washington qui empêche la solution du conflit israélo-palestinien, mais bien Israël qui veut à la fois être un État juif et l'unique État en Palestine.


Contrairement aux théories de Chomsky, les États-Unis n'ont aucun intérêt à soutenir Israël
par Jeffrey Blankfort





Pour consulter la première partie de cette étude : cliquez ici : « Le contrôle des dégâts : Noam Chomsky et le conflit israélo-israélien »

Jusqu'ici, j'ai traité largement des opinions exprimées par Chomsky (dans la presse ou lors de conférences). Ses travaux universitaires, malheureusement, présentent les mêmes failles. Elles ont été décrites succinctement par Bruce Sharp sur un site ouèbe qui examine ses écrits antérieurs sur le génocide au Cambodge. Chomsky, écrit Sharp,

« n'évalue pas toutes les sources avant de déterminer lesquelles résistent à un examen sérieux. En lieu et place, il examine une poignée de récits, jusqu'à ce qu'il en trouve un qui corresponde à son idée préétablie de ce que doit être la vérité ; il n'extrapole pas ses théories de données vérifiées et avérées. En lieu et place, il réunit (ce qu'il appelle) des « preuves » de manière sélective, et uniquement des « preuves » qui étaient ses théories. Tout le reste, il le laisse tomber. » [1]

« Les omissions de Chomsky », écrit Sharp, « découlent précisément du même type de biais irréfléchi qu'il passe son temps à moquer dans la presse consensuelle. Les événements censés corroborer sa théorie sont tenus de remplir des conditions de crédibilité bien inférieures à celles (impossibles) auxquelles sont soumis les événements qui la démentiraient. » [2]

Ces reproches ne sont pas adressés au seul Chomsky, bien entendu. Mais, étant donnés son prestige et sa crédibilité d'universitaire, ils sont particulièrement graves, le concernant. Ce que Sharp a diagnostiqué fait de Chomsky moins un historien qu'un procureur général.

Il est certain que les questions relatives à l'action visant à garantir une solution juste du conflit israélo-palestinien sont complexes et controversées. Mais elles n'en doivent pas moins, au contraire, être examinées et débattues sérieusement et honnêtement. Tout le monde toutefois, ne participe pas à ce débat sur un pied d'égalité avec tous les autres. Il revient en particulier aux Palestiniens eux-mêmes de trancher la question du droit au retour des réfugiés palestiniens, et non aux Israéliens, ni à Washington, ni au « consensus international » si cher à Chomsky…

Un autre problème intimement lié à celui que nous venons d'évoquer – à savoir : celui du choix : « un seul État contre deux États » – est plus complexe encore. À son sujet, les Palestiniens eux-mêmes sont partagés. Bien que je sois partisan de la solution à un seul État, je n'ai pas l'intention de développer in extenso mon argumentation en sa faveur ici ; je me contenterai de l'exposer brièvement afin de donner au lecteur la présentation qu'en fait Chomsky. Toutefois, la prépondérance du discours sioniste étant ce qu'elle est, ni l'une ni l'autre de ces deux problématiques [la question des réfugiés et celle de savoir si'il faut un Éta binational ou deux États mononationaux.] n'a la capacité de mobiliser un nombre significatif d'États-uniens pour leur cause respective, mis à part ceux qui ont un intérêt personnel dans la solution qui sera éventuellement apportée à l'une ou à l'autre.

Deux questions, en revanche, ont cette capacité mobilisatrice. Elles sont d'ailleurs intimement liées entre elles. Ces deux questions, les voici :

1) La nécessité de fermer le robinet qui fait se déverser en Israël un flot continu de dollars provenant des contribuables états-uniens. Au vu des coupes budgétaires drastiques affectant la santé, l'éducation et les retraites, dans l'ensemble des États-Unis, il existe déjà un public tout trouvé qui serait sensible à la nécessité de mettre un terme à cette aide, qui a franchi récemment le seuil des 100 milliards de dollars. Cette mesure devrait impliquer l'arrêt des investissements tant publics que privés en Israël, dans des compagnies israéliennes, ou dans des compagnies états-uniennes faisant des affaires en Israël (ce qui a déjà été entrepris, de manière certes extrêmement limitée). Autrement dit : il s'agit d'imposer ces fameuses sanctions, que Chomsky déplore tellement ;

2) Dénoncer et contrer la mainmise du lobby pro-israélien sur le Congrès ainsi que son contrôle sur la politique moyen-orientale des États-Unis, dont tous les observateurs politiques à Washington et ailleurs dans le monde reconnaissent qu'il s'agit d'une donnée objective. Oups : « tous les observateurs », sauf, bien sûr, Chomsky !

Certes, à l'occasion, celui-ci mentionne bien que la majorité des États-uniens sont plus que réticents en ce qui concerne l'aide militaire prodiguée à Israël par leur pays, mais sans plus. La fixation que fait Chomsky sur les pilotes israéliens aux commandes d'hélicoptères – certes, mais d'hélicoptères « américains » – , en plus de reléguer la puissance de déflagration de la question des aides et du lobby dans les marges du discours politique, est un élément fondamental pour sa pensée, en ceci qu'elle sape les fondements mêmes de son analyse, selon laquelle :

1) Israël serait essentiellement un pays client des États-Unis, lequel État client ne serait soutenu par Washington que sur la base de ses « services », de sa nature d'« atout stratégique » [3] et de « flic en patrouille » [4] [5] pour les intérêts états-uniens au Moyen-Orient, mais aussi ailleurs dans le monde ;

2) L'attitude « réjectionniste » des États-Unis, adoptée par les gouvernements états-uniens successifs, qui s'opposent à la création d'un État palestinien, serait l'obstacle essentiel bloquant la mise en application d'une « solution à deux États ». De surcroît, Chomsky voudrait nous faire croire que la politique états-unienne, en dépit d'occasionnelles apparences du contraire, soutiendrait « l'intégration progressive des territoires occupés à l'intérieur d'Israël » [6] ;
3) Enfin, l'influence du lobby pro-israélien serait « exagérée » par ses détracteurs, et elle serait plus un facteur qui ferait occasionnellement pencher de tel ou tel côté le fléau de la balance, qu'un facteur décisif et totalement indépendant de la conjoncture… De plus, ceci ouvrirait le débat concernant la capacité d'une pression idéologique de trouver une traduction concrète – en comparaison avec le pouvoir réel [7].

Sur ces trois points, innombrables sont les preuves contraires apportées par des universitaires incontestés, spécialistes de la question. Preuves contraires dont Chomsky a manifestement connaissance (d'ailleurs, il les cite, quand cela le sert…), mais qu'il choisit délibérément d'ignorer. Dans les limites qui sont celles de cet article, je n'en évoquerai que quelques-unes.
La théorie fumeuse de l'« atout stratégique »

L'argument de Chomsky, selon qui le soutien américain à Israël serait motivé par la valeur d'« atout stratégique » qui serait propre à ce pays a été explicité avec une particulière clarté par Chomsky, en 1983, dans son ouvrage Le Triangle fatal, et il a été repris par lui dans ses interviews et ses articles jusqu'au moment où l'URSS cessa de représenter une menace, et où il dut trouver de nouvelles justifications.

Depuis la fin des années 1950, le gouvernement états-unien a été amené à soutenir de plus en plus la thèse selon laquelle un Israël puissant représenterait un « atout stratégique » pour les États-Unis, en leur servant de rempart contre les menaces représentées par les mouvements nationalistes arabes radicaux, susceptibles d'obtenir le soutien de l'URSS [8].

La pauvreté des « preuves » que Chomsky invoque à l'appui de cette (hypo)thèse aurait dû depuis fort longtemps faire se lever bien des sourcils… Un élément qu'il ne cesse d'invoquer, c'est un Mémorandum du Conseil national de Sécurité, de janvier 1958, lequel, d'après Chomsky, avait « conclu qu'un corollaire logique de [notre] opposition au nationalisme arabe croissant » consisterait à « soutenir Israël, en tant qu'unique puissance pro-occidentale à subsister au Moyen-Orient ». [9] Sur un point d'une telle importance, on s'attendrait tout de même à ce qu'il soit en mesure de nous ressortir quelque chose de plus frais… Or, il se trouve que cette même année 1958, en réplique à l'insurrection anti-britannique victorieuse en Irak et aux trouble nationalistes au Liban, Eisenhower expédia les Marines dans ces deux pays, afin d'y défendre des intérêts états-uniens prétendument menacés. Apparemment, le recours à des troupes israéliennes n'a jamais été envisagé ?…

Les seuls « services » rendus par Israël, auxquels Chomsky fait allusion, furent la défaite de l'Égypte en 1967 [10], défaite motivée à l'évidence par les intérêts propres à Israël, ainsi que le rôle qu'Israël aurait joué afin de dissuader le gouvernement syrien de venir en aide aux Palestiniens confrontés aux massacres du roi de Jordanie, en septembre 1970. Et c'est tout !… Dans ce dernier cas, Israël n'a nullement eu besoin des États-Unis pour mettre son armée en état d'alerte afin de contrer ce qui a été improprement considéré (pas par Chomsky, soyons juste…) comme une tentative de prise de contrôle du pouvoir en Jordanie par l'OLP [11].

Ce que Chomsky et ceux qui répètent ses analyses tels des perroquets ignorent (ce qui n'a rien d'étonnant, car il n'en parle jamais !), ce sont d'autres facteurs, qui ont joué un rôle dans la déroute de l'OLP en Jordanie, notamment les dissensions internes, le refus de l'armée de l'air syrienne – alors sous le commandement de Hafez al-Assad (pas particulièrement un ami de l'OLP…) – de lui accorder une couverture aérienne et l'avantage stratégique dont jouissait l'armée jordanienne, très majoritairement composée de Bédouins.

C'est Henry Kissinger qui exagéra le rôle d'Israël dans l'issue de cette confrontation, tout comme il exagéra son potentiel d'« atout » américain dans la Guerre froide [12] et – ironiquement – c'est donc la position de Kissinger que Chomsky a ainsi sanctuarisée, en l'élevant au statut de « fait » historique !

Un autre facteur, dans l'argumentation « atout historique » est généralement négligé, comme le fait observer Camille Mansour :

« Ces luttes d'influence, se produisant dans l'entourage géographique d'Israël, sont souvent liées (et, dans le cas de la crise jordanienne, elles l'étaient assurément) au conflit israélo-arabe lui-même : pour les États-uniens, Israël était dans la situation paradoxale de représenter un atout, en réduisant les menaces pesant sur lui-même et en même temps sur les intérêts américains – menace, toutefois, dont Israël était susceptible d'être lui-même à l'origine, en raison de l'état de belligérance avec les Arabes qui le caractérise. » [13]

Cette opinion fut confirmée, par la suite, par Stephen Hillman, ancien membre de la Commission sénatoriale (états-unienne) des relations extérieures, qui écrivit :

« Le service qu'Israël est censé fournir aux États-Unis – en faisant obstacle à la pénétration soviétique au Moyen-Orient – est un service rendu nécessaire au premier chef par l'existence même d'Israël, mais sans lequel les Arabes seraient beaucoup moins réceptifs à l'influence soviétique… Il est exact qu'Israël fournit aux États-Unis une information militaire et des renseignements précieux, et il est concevable… que les États-Unis puissent avoir besoin de bases navales ou aériennes sur le territoire israélien. Ces atouts, en eux-mêmes… ne semblent toutefois pas suffire à justifier le fait que les États-Unis aient dépensé, depuis la fondation d'Israël en 1948 jusqu'à nos jours – en 1980 – presque 31 milliards de dollars en aide militaire et plus de 5,5 milliards de dollars en soutien économique, ce qui fait d'Israël – de très loin – le premier bénéficiaire des aides économiques extérieures accordées par les États-Unis » [14]

Chomsky était tout à fait au courant des travaux de Tillman, qu'il cite fréquemment dans son Triangle fatal. Mais la citation ci-dessus, curieusement, n'y figure pas. Plus à son goût, sans doute, il lui préféra un commentaire de l'ex-sénateur Henry « Scoop » Jackson, démocrate, de l'État de Washington, que Chomsky intégra au Triangle fatal, et qu'il reprit, depuis lors, dans tous ses ouvrages, interviews et conférences sur le conflit israélo-palestinien. D'après ce Jackson,

La tâche impartie à Israël consistait à « inhiber et contenir les éléments irresponsables et radicaux dans certains pays arabes… lesquels, s'ils avaient été laissés libres d'agir à leur guise, auraient représenté une grave menace pour nos principaux approvisionnements pétroliers dans le Golfe persique ». [15]. Il faisait ainsi allusion à l'« alliance tacite entre Israël, l'Iran (du temps du Shah) et l'Arabie saoudite », bien qu'il n'existe aucune preuve que l'un quelconque de ces trois pays ait jamais joué un tel rôle. La première administration Bush ayant considéré que les ressources pétrolières de cette région étaient menacées par l'invasion du Koweït par l'Irak, en 1991, elle agit d'elle-même, et fit tout son possible afin de dissuader Israël de participer aux opérations. Mais cela ne dissuade nullement Chomsky de continuer à nous raconter sempiternellement le même conte pour enfants…

La raison pour laquelle Chomsky est persuadé que nous devons accorder foi à l'opinion de Jackson, c'est le fait qu'il s'agissait de « l'expert le plus en vue, au Sénat américain, sur la question pétrolière », écrit-il dans son Triangle fatal, à la page 535, ainsi que « l'expert du Sénat en matières moyen-orientale et pétrolière », dans Vers une nouvelle guerre froide [Toward a New Cold War], à la page 315, ou encore du « spécialiste le plus en vue au Sénat en matière de Moyen-Orient et de questions pétrolières » (dans The New Intifada, ainsi que dans Middle East Illusions, page 179), d'« éminent spécialiste ès questions pétrolières », dans Deterring Democracy, page 55) ; de « spécialiste le plus en vue au Sénat dans les questions du Moyen-Orient et du pétrole » (dans Pirates and Emperors, page 165) et enfin de « personnage influent concerné par le Moyen-Orient » (dans Hegemony or Survival, page 165).

Si j'insiste sur les descriptions élogieuses données de Jackson par Chomsky, c'est parce qu'elles sont très caractéristiques, de par leur nature trompeuse. La seule chose qui aurait à la rigueur pu faire passer Jackson pour un expert en matière de pétrole, c'est peut-être le fait qu'il ait dirigé une enquête sur les pratiques pétrolières aux États-Unis, à l'époque où il était président de la Commission de l'Intérieur (= Commission de l'Environnement Ndt.) au Sénat.

Mis à part le fait d'être connu comme le « sénateur nommé par Boeing » en reconnaissance des nombreux contrats qu'il a obtenu pour cette firme tandis qu'il présidait la Commission des Armées du Sénat, le principal legs de Jackson est sans doute sa participation à la rédaction de l'amendement Jackson–Vanik, lequel conditionnait le succès des négociations entre l'URSS et les États-Unis (en vue de la fin de la Guerre froide) à l'ouverture par l'URSS des portes à l'émigration juive. On comprendra que cela ait fait de lui le chouchou du lobby pro-israélien et des juifs américains, de manière générale, qui lui assurèrent 523 778 dollars (soit 24,9 %) en contributions de campagnes électorales, durant cinq ans. [16] Faucon farouchement opposé à toute détente et partisans acharné de la Guerre froide, il fut « pratiquement le dernier démocrate, au Sénat, à soutenir… la guerre [au Vietnam] » [17]. Plus récemment, il a été célébré en tant que patron, au Congrès, des néocons ayant donné à Richard Perle le signal du départ sur sa piste vers l'enfer.

Grâce au soutien à la fois d'Israël et du complexe militaro-industriel états-unien, les efforts de Jackson ne passèrent pas inaperçus auprès du très influent Jinsa [Jewish Institute for Security Affairs], principal promoteur de l'intégration entre les industries états-unienne et israélienne de l'armement, depuis 1976. C'est, là encore, un élément clé du lobby israélien que Chomsky n'a jamais cité. En 1982, cet institut créa un prix, intitulé Prix Henry M. « Scoop » Jackson Distinguished Service Award [Prix « pour service rendu »], que Jackson fut le premier à se voir décerner. Le dernier impétrant en date n'étant autre que son protégé, Richard Perle.

Eût Chomsky indiqué les orientations du faucon pro-israélien Jackson, cela aurait certainement soulevé des questions au sujet de la crédibilité de ce sénateur, au cas où cela ne l'aurait pas totalement discrédité…
Mis à part une petite poignée d'admirateurs loyalistes qui semblent déterminés à faire écho au moindre de ses propos, la vision qu'a Chomsky des relations états-uno-israéliennes n'a pas le même succès auprès de ses collègues universitaires, y compris auprès de ceux, parmi eux, qui partagent pourtant sa vision du monde. Tout en veillant à ne pas citer nommément Chomsky, c'est bien à la théorie de celui-ci que faisait par exemple allusion le professeur Ian Lustick, interviewé en 2001 par Shibley Talhomi :

« Les États-Unis sont assez puissants et assez riches pour pouvoir traiter une crise majeure, quand il s'en produit, comme l'invasion du Koweït par l'Irak, qui fut manifestement une crise d'une extraordinaire gravité. Mais la grosse question, concernant ce qui concerne les motifs des États-Unis, au plan intérieur, a trait aux raisons de l'engagement américain en faveur d'Israël. C'est véritablement cela, la question essentielle. Et vous avez, à ce sujet, plusieurs explications en concurrence les unes avec les autres. Très longtemps, il y a eu une opinion selon laquelle l'engagement américain en faveur d'Israël était un corollaire des intérêts stratégiques des États-Unis, à savoir qu'essentiellement, les États-Unis voyaient dans Israël un instrument au service de leurs intérêts stratégiques et, plus largement, un instrument leur servant à contenir l'URSS durant la Guerre froide et depuis lors, à assurer la régularité de leurs approvisionnements pétroliers, à réduire le terrorisme, etc… »

En cette matière, la vérité, c'est que cette théorie ne tient pas, car si Israël, dans certains cas, a été stratégiquement très utile (pour les États-Unis), il n'a pas été considéré stratégiquement important dans d'autres cas. Mais il y a sans doute quelque chose de plus important encore : durant la plus grande partie de la Guerre froide, les bureaucrates – les bureaucraties de l'exécutif, de la Défense, des Affaires étrangères…) n'ont pas considéré qu'Israël fût un atout stratégique, et certains, parmi eux, virent même en lui un handicap. On le voit, cet argument ne fait donc pas l'affaire… [18]

Que cet argument ait été valide, ou non, que durant la Guerre froide les États-Unis aient pu voir en Israël un allié fiable contre des régimes soutenus par l'URSS dans certains pays arabes ; cet argument s'est évanoui aussi rapidement que l'URSS elle-même. Quand Afif Safiyéh, délégué de la Palestine au Royaume-Uni et auprès du Saint-Siège s'est rendu aux États-Unis, juste après l'effondrement de l'URSS, il a été surpris de constater :

« que, dans les cercles pro-israéliens… la préoccupation dominante concernait la perte d'un « ennemi », avec ce que cela pouvait comporter pour la « raison d'être » (en français dans le texte, ndt) et pour l'utilité d'Israël pour la politique étrangère états-unienne, en tant que bastion stratégique destiné à contenir l'expansionnisme soviétique. C'est précisément à cette période que la construction idéologique d'une menace planétaire de remplacement – le péril islamique – débuta. » [19]

L'effondrement de l'URSS força non seulement le lobby pro-israélien, mais Chomsky lui-même, tout aussi bien, à rechercher fiévreusement une nouvelle raison afin de justifier la poursuite du soutien états-unien – le lobby, pour le perpétuer, et Chomsky pour le justifier – et de la relation privilégiée états-uno-israélienne.

Chomsky trouva cette nouvelle raison dans une déclaration d'un ancien chef des services israéliens de renseignement, Shlomo Gazit. L'argument de la guerre froide, sur lequel Chomsky se fondait jusqu'alors, voici que Chomsky le trouvait soudain « hautement trompeur », lui préférant « l'analyse… faite par Gazit », lequel écrivit, après l'effondrement de l'Union soviétique, que :

« La principale mission d'Israël n'a absolument pas changé, et elle reste d'une importance cruciale. Sa situation, au centre du Moyen-Orient arabo-musulman, prédestine Israël à être un gardien dévoué de la stabilité dans tous les pays qui l'entourent. Son rôle est de protéger les régimes en place, c'est-à-dire de prévenir ou d'arrêter les processus de radicalisation et de bloquer l'expansion du zèle religieux fondamentaliste ». [20]

« Ce à quoi nous pouvons ajouter », écrit Chomsky dans la préface à la nouvelle édition de son Triangle fatal, « qu'Israël fait le sale boulot dont les États-Unis ne veulent à aucun prix se charger eux-mêmes, en raison de l'opposition populaire et d'autres inconvénients. » [21]

Chomsky écrit ceci comme si nous étions encore dans les années 1970 ou 1980 ; il n'y a apparemment aucune limite au « sale boulot » dont les États-Unis sont disposés à se charger par eux-mêmes, par les temps qui courent ! De la part de Gazit, on devait bien entendu s'attendre à ce qu'il évoque un bon prétexte pour maintenir l'aide états-unienne à Israël. Mais : la stabilité ? ! ? A défaut d'autre chose, la présence d'Israël dans la région a toujours représenté un facteur de déstabilisation et à deux reprises, en 1967, puis, à nouveau, en 1973, cette déstabilisation fut à deux doigts de déclencher une guerre nucléaire (et elle a bel et bien causé un embargo pétrolier arabe aux conséquences économiques extrêmement coûteuses). Aux premiers jours de la guerre d'Octobre, quand il s'avéra que l'armée israélienne risquait d'être débordée, le ministre israélien de la Défense Moshé Dayan paniqua, a-t-on rapporté, et il aurait brandi la menace d'utiliser des armes nucléaires israéliennes contre l'Égypte si les États-Unis ne mettaient pas immédiatement en place un pont aérien afin d'acheminer en Israël des armes conventionnelles. L'administration Nixon répondit promptement à cette demande [Stephen Green, Living by the Sword : Israel and the US in the Middle East, Amana, Brattleboro, VT, 1988, p. 91. Seymour Hersh, The Sampson Option, pp. 225ff, Avner Cohen, New York Times, Oct. 6, 2003.]].

Comme le fait observer Camille Mansour : « En demandant des armes à Washington de manière aussi pressante, le gouvernement israélien ne se comportait nullement en atout stratégique des États-Unis, mais bien plutôt en protégé craignant – sans doute de manière exagérée, mais tout de même – pour sa propre survie. » [22]

Il convient de relever qu'il a fallu attendre 1978, c'est-à-dire l'accession au pouvoir de Menahem Begin (élu Premier ministre) pour voir Israël se vendre en tant qu'« atout pour les États-Unis ». Dans une interview publiée dans le numéro de janvier 1991 du Journal of Palestine Studies, le général israélien à la retraite (aujourd'hui disparu) Matti Peled disait : « L'argument selon lequel Israël serait un atout stratégique pour les États-Unis, pour lesquels il servirait de porte-avion stratégique, n'a jamais été autre chose que le pur produit de l'imagination israélienne. Cette idée fut avancée pour la première fois par le Premier ministre Begin afin de justifier les prêts considérables accordés à Israël afin de lui permettre d'acheter des systèmes d'armement américains… La crise du Koweït a démontré que cet argument ne tenait absolument pas… » « Les contrats d'armement ont été utiles aux États-Unis », a-t-il conclu, « en ceci qu'ils ont été à l'origine de ventes d'armes encore plus importantes aux pays arabes alliés des États-Unis. »

En 1986, ainsi que les quatre rééditions successives, jusqu'en 2003, de l'ouvrage populaire de Chomsky, Pirats and Emperors, comportaient une théorie à base d'« atout stratégique » qui apparaissait bodybuildée aux stéroïdes… Dans l'une de ces cinq références à un Israël rendant ce type de service, il écrit :

« Les États-Unis ont toujours cherché à maintenir la confrontation militaire et à s'assurer qu'Israël demeurait bien un « atout stratégique » pour eux. De ce point de vue, il faut qu'Israël soit hautement militarisé, technologiquement avancé, et il faut qu'il soit un État paria, très éloigné de l'indépendance économique, mis à part sa production en matière de hautes technologies (souvent en coordination avec les États-Unis), terriblement dépendant des États-Unis et, partant, satisfaisant leurs besoins, à l'instar de « flic de service » et en tant qu'État mercenaire, employé à d'autres fins américaines, ailleurs dans le monde. [23] »

Chomsky n'aurait pas pu être plus dans l'erreur. Grâce au soutien politique des États-Unis, Israël serait purement et simplement un « pays paria » ? Mais Israël jouit du statut de partenaire privilégié au sein de l'Union européenne, son premier partenaire commercial, et son industrie de l'armement, en dépit de son intégration progressive dans son homologue états-unienne, est l'une des plus importantes au monde, en concurrence avec les armes des États-Unis sur le marché mondial. Israël est aussi un des centres majeurs pour les industries états-uniennes des hautes technologies. Israël est donc très loin, on le voit, d'être l'otage des exigences états-uniennes, même si cette catégorisation est bien ce que Chomsky tente, à l'évidence, de suggérer. De plus, si les militaires et les fabricants d'armes israéliens ont effectivement servi les intérêts états-uniens en Amérique latine et en Afrique, des années 1960 au début des années 1980, ils l'ont fait en servant d'abord leurs intérêts propres, et il se trouve, tout simplement, que cela s'est avéré mutuellement profitable.

La soi-disant utilité d'Israël pour les États-Unis a été niée, sous d'autres point de vue. Harold Brown était secrétaire à la Défense sous Jimmy Carter. Son homologue israélien ayant suggéré que les deux pays établissent des plans afin de viser l'Union soviétique, en cas de guerre, Brown dit alors à Seimour Hersh que l'administration Carter

« ne souhaitait pas être impliquée dans un conflit israélo-soviétique. L'idée selon laquelle Israël représenterait un atout stratégique me semble totalement folle. Les Israéliens diraient : « Laissez-nous vous aider », puis vous finiriez par devenir leur instrument. Les Israéliens ont leurs propres impératifs de sécurité, de même que nous, nous avons les nôtres. Ils ne sont pas identiques. » [24]

Le professeur Cheryl Rubenberg a défié l'attitude mentale de Chomsky, sous un angle différent :

« Les contraintes qui pèsent sur la diplomatie américaine au Moyen-Orient, en raison de la relation (spéciale) états-uno-israélienne, ont obéré la capacité de Washington d'obtenir des relations pragmatiques, stables et constructives avec les pays arabes, (pourtant) un préalable à la réalisation pleine et entière des intérêts régionaux des États-Unis… Même les régimes arabes qui ont entretenu des relations étroites avec Washington, en dépit de l'union (fusionnelle) entre les États-Unis et Israël, ont été contraints à ne pas normaliser trop ouvertement ces liens par peur de l'opposition interne qu'une affiliation desdits régimes envers l'économie américaine n'aurait pas manqué de susciter… »
Les intérêts états-uniens, tant du point de vue des grandes firmes que du commerce extérieur, au Moyen-Orient ont été obérés encore par d'autres facteurs… Pour ne citer qu'un exemple parmi d'autres : en raison de la pression que les organisations pro-israéliennes étaient en mesure d'exercer sur le Congrès, un ensemble de lois anti-boycott ont été adoptées (par les États-Unis) qui limitent sévèrement le « business » états-unien dans le monde arabe. En conséquence, les firmes états-uniennes et l'économie des États-Unis subissent des pertes annuelles estimées à 1 milliard de dollars. [25]

Cette législation anti-boycott a été utilisée avec succès afin de poursuivre des entreprises états-uniennes au fil des années, et elle est aujourd'hui mobilisée par les membres pro-israéliens du Congrès afin de tuer dans l'œuf les initiatives des militants états-uniens quand ils mettent en place des campagnes de boycott des produits israéliens. Dois-je préciser quel camp choisit Chomsky, dans ces polémiques ?

De plus, Rubenberg, soulignant un aspect souvent évoqué par d'autres auteurs, pose la question suivante : « Comment Israël, voué à mener des politiques qui garantissent, a priori, la perpétuation de l'instabilité régionale (au Moyen-Orient) pourrait-il être considéré comme un « atout pour les intérêts des États-Unis » ? » [26]

En ce qui concerne l'ère post-soviétique, Chomsky aurait pu solliciter le soutien du pilier néocon Douglas Feith, pour illustrer sa cause. En effet, à quelques variantes près, ces lignes du vice-secrétaire d'État à la Défense, publiées par la revue juridique Harvard Law Review au printemps 2004 auraient pu être écrites par Chomsky lui-même :
« Pour toutes sortes de raisons, Israël demeure stratégiquement pertinent, même après l'effondrement de l'Union soviétique… C'est la géographie même de cet État qui garantit la permanence de son importance pour les États-Unis, même sans présence soviétique. (En effet), le Moyen-Orient reste important, pour les États-Unis, en tant que première source des importations pétrolières américaines…
Israël a toujours été un allié loyal des États-Unis et, grâce à sa puissance, Israël a toujours représenté une Force [la majuscule est dans l'original, ndt] de stabilisation dans une région par ailleurs volatile. Bien que l'existence même d'Israël ait déclenché de nombreux conflits au Moyen-Orient, du point de vue du gouvernement américain, la destruction d'Israël, la seule démocratie de la région, est stratégiquement inenvisageable. Opérant sur la base du principe qu'Israël est là pour y rester et qu'il doit perdurer, l'aide américaine à ce pays a rapporté aux États-Unis d'énormes dividendes stratégiques. En créant un déséquilibre des forces favorable à Israël, cette aide [américaine] a dissuadé de nombreuses agressions militaires arabes et a évité des situations – à savoir : une guerre totale entre Israël et ses voisins – dans lesquelles les États-Unis auraient sans doute été contraints à déployer des troupes au Moyen-Orient… »

Ce dernier paragraphe est très intéressant, vous ne trouvez pas ? Non seulement Feith surenchérit sur les propos d'Hillman, de Mansour et de Rutenberg, que nous avons déjà cité, selon lesquels l'existence (même) d'Israël est la (principale) source d'instabilité régionale (au Moyen-Orient), mais il suggère l'idée qu'Israël a été justement récompensé d'avoir éviter une énième guerre, que sa simple présence n'aurait pas manqué de provoquer ! Si ça, ça n'est pas de la tchuzpah ? ! ? [27]
La théorie « réjectionniste »

« Dans le monde réel », écrit Chomsky, « le premier obstacle devant la « vision en émergence » [à savoir : l'offre faite par la Ligue arabe d'une paix globale et de la reconnaissance d'Israël en échange du retrait des troupes israéliennes des territoires « palestiniens » occupés] était et demeure le réjectionnisme unilatéral des États-Unis ». [28] [Par ce terme, Chomsky voudrait suggérer que les États-Unis « rejetteraient » par principe l'idée de la création d'un État palestinien. Ndt]

Chomsky voudrait nous faire croire que ce seraient au premier chef les États-Unis (et non Israël) qui feraient obstacle à un règlement pacifique (à défaut de juste) du conflit israélo-palestinien. Il omet, toutefois, dans tous ses écrits prolifiques, de nous expliquer pourquoi cette solution interfèrerait négativement (en la gênant) avec la puissance états-unienne au Moyen-Orient plutôt que de la renforcer, dès lors que l'État palestinien évoqué (comme Chomsky le reconnaît fréquemment par ailleurs) serait très faible et dépendrait dans une très grande mesure d'Israël, des États-Unis et des autres pays arabes, ne serait-ce que pour survivre économiquement ?

En répétant ce néologisme encore et toujours (parfois à plusieurs reprises sur une même page), Chomsky a réussi à obtenir le résultat que la qualification de « réjectionniste » colle aux États-Unis comme un morceau de sparadrap dont ils n'arriveraient plus à se débarrasser. Mais la seule chose qu'en réalité, il soit parvenu à faire, c'est créer sa propre définition (très personnelle) de ce terme, qui n'est qu'un « épouvantail » de plus, des entrailles duquel Chomsky est en mesure de nous extraire à pleines poignées le rembourrage, en nous donnant à accroire qu'il s'agirait de la réalité… Cette manip a requis de sa part quelque habile tripatouillage et l'ignorance impardonnable d'une information historique facilement accessible, qui est que, depuis Richard Nixon, tous les présidents états-uniens ont essayé (en vain) d'obtenir d'Israël qu'il se retire des territoires occupés en 1967. Comme nous le savons, aujourd'hui, après toute cette série d'échecs, les efforts de la Maison-Blanche à cet effet se réduisent à un suintement de compte-gouttes.

Ces « plans de paix » (puisque c'est ainsi qu'on les avait baptisés) états-uniens n'auraient pas été mis en œuvre au bénéfice des Palestiniens, mais afin de pacifier la région, au profit des intérêts états-uniens, régionaux et mondiaux, affectés négativement par la poursuite de l'occupation israélienne, telle que nous l'avons décrite plus haut. En vertu de ces « plans », les Palestiniens vivant en Cisjordanie se seraient vraisemblablement retrouvés, une nouvelle fois, sous souveraineté jordanienne, et les Palestiniens vivant dans la bande de Gaza – sous souveraineté égyptienne. Mis à part Camp David, dont Israël est ressorti grand gagnant, tous ces plans ont été voués à l'échec :

« Mais qu'est-il donc arrivé à tous ces gentils plans ? » a demandé de manière rhétorique le journaliste et pacifiste israélien Uri Avnery, avant de répondre lui-même : « Les gouvernements israéliens (successifs) ont mobilisé le pouvoir collectif des juifs états-uniens – lesquels dominent le Congrès et les médias des États-Unis dans une large mesure – contre eux. Confrontés à cette opposition vigoureuse, tous les présidents – sans exception : les grands présidents et les présidents minables, qu'ils aient été footballeur ou star de Western – ont reculé, l'un après l'autre. » [29]

L'origine de ce qualificatif - « réjectionniste » - mérite d'être connue. Chomsky l'a tiré de ce que les partisans d'Israël – dont Chomsky lui-même – qualifiaient, dans les années 1970 de « front du refus » palestinien. C'est le terme qu'ils utilisaient pour qualifier ces organisations de la résistance palestinienne, comme le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), le Front Démocratique pour la Libération de la Palestine (FDLP) et d'autres groupes moins nombreux, qui rejetaient l'existence d'Israël en tant qu'État juif et qui prônaient la création d'un État démocratique et laïque s'étendant sur toute la Palestine historique. On le sait, c'est là une position à laquelle Chomsky était – et demeure – fondamentalement opposé.

En 1975, Chomsky considérait que la possibilité d'« un État démocratique unitaire et laïque sur le territoire de la Palestine mandataire… était un exercice de style futile. Il est curieux que cet objectif soit défendu sous une forme ou sous une autre par les plus extrêmes des antagonistes : l'OLP et les éléments expansionnistes en Israël. Mais les documents de la première (l'OLP) montrent que ce qu'elle a en tête, c'est un Etat arabe qui garantirait aux juifs leurs droits civiques, tandis que les déclarations des partisans d'un Grand Israël ne laissent que peu de doute sur le fait que leurs idées empruntent une voie parallèle à celles des premiers : il suffit de substituer « juifs » à « arabes ». » [30]

Le combat des Palestiniens, en fait, n'est devenu légitime aux yeux de Chomsky qu'après que ceux-ci aient accepté l'exigence états-uno-israélienne que l'OLP reconnaisse la légitimité d'Israël à l'intérieur de ses frontières de 1967. Le fait qu'il assimile le désir des Palestiniens de recouvrer leur patrie perdue au programme des colonisateurs israéliens les plus extrémistes en dit long, également. Un autre morceau du puzzle vient rejoindre sa place. Déjà, en 1974, il avait été extrêmement explicite :

« Les groupes palestiniens qui se sont renforcés ces dernières années arguent du fait que cette injustice pourrait être corrigée grâce à la création d'un État laïque et démocratique sur l'ensemble de la Palestine. Toutefois, ils reconnaissent franchement – de fait, ils y insistent, même – que cela requerrait l'élimination des « institutions politiques, militaires, sociales, syndicales et culturelles » d'Israël, ce qui nécessiterait une lutte armée, qui ne manquerait pas d'avoir pour effet… l'unification de tous les éléments de la société israélienne, pour s'opposer au combat armé visant ses institutions.

Même si, contrairement à la réalité des faits, les moyens proposés pouvaient réussir – je répète et je souligne « même si, contrairement à la réalité des faits » – ces moyens impliqueraient la destruction par la force d'une société unie, de son peuple et de ses institutions – ce qui est une conséquence intolérable pour l'opinion civilisée, qu'elle soit ou non de gauche. »

Apparemment, pour Chomsky, l'« opinion civilisée » excluait la totalité du monde arabe et la plus grande partie du tiers-monde, qui avaient représenté suffisamment de monde pour que l'Assemblée générale de l'Onu qualifie à une majorité écrasante le sionisme de forme de racisme, en 1975. Son « opinion civilisée » n'a pas non plus vu dans l'expulsion des Palestiniens « une conséquence intolérable » de la création d'Israël en tant qu'État juif…

Mais voilà que, dans un effort visant à le faire apparaître équitable, Chomsky établit une équivalence entre le rejet d'un État palestinien avec le rejet d'un État israélien juif, et qu'il déclare « rejectionnistes » les États-Unis, en se fondant sur le fait qu'ils n'ont pas préconisé la création d'un État palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ceci lui permet d'ignorer l'objectif des États-Unis, à savoir : obtenir d'Israël qu'il se retire jusqu'à ses frontières d'avant 1967, de manière à améliorer les relations des États-Unis avec la région du Moyen-Orient et à renforcer la stabilité de leurs approvisionnements pétroliers.

Non seulement Chomsky fait des États-Unis des « rejectionnistes » : de plus, il classe la résolution 242 dans la même catégorie. Tout en reconnaissant que cette résolution, adoptée cinq mois après la guerre de 1967, entendait restaurer le statu quo préexistant, « il est important de garder présent à l'esprit le fait que la 242 est une résolution strictement rejectionniste – j'utilise ici ce terme dans son acception neutre, pour faire référence au rejet des droits nationaux de l'un ou de l'autre des groupes antagonistes dans l'ancienne Palestine, et non pas uniquement au rejet des seuls droits des juifs, qui est son usage raciste conventionnel. » [31]

Le recours par Chomsky au terme « raciste » particulièrement provocateur ici, toutefois, sert à maquiller le fait que, du point de vue des Palestiniens, c'était Chomsky, qui était le rejectionniste. Au début des années 1970, le mouvement national palestinien n'appelait nullement à un État séparé en Cisjordanie et à Gaza. Il appelait bel et bien, en revanche, au retour sur les territoires dont 750 000 d'entre eux avaient été expulsés ou dont ils avaient dû s'enfuir, seulement une vingtaine d'années auparavant. Ce n'est pas avant que l'OLP n'ait laissé tomber sa revendication de ses droits nationaux dans la totalité de ce qui avait été la Palestine, en faveur d'une entité croupion au-delà de la Ligne verte (la frontière de 1967) que les droits nationaux des Palestiniens – ou plutôt, ce qu'il en restait – devinrent « casher » aux yeux de Chomsky.

Suite de cette étude
Troisième et dernière partie à paraître prochainement sur Voltairenet.org

Jeffrey Blankfort
Journaliste juif états-unien, co-fondateur du Labor Committee of the Middle East. Ancien directeur du Middle East Labor Bulletin.




Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier.

[1] http://www.mekong.net/cambodia/arch.... May 25, 1995…

[2] ibid., May 27, 1995.

[3] Fateful Triangle, p. 17 ff…

[4] « cop on the beat ».

[5] Pirates and Emperors, p. 117.

[6] Fateful Triangle, p. xii.

[7] Left Hook, Feb, 4, 2004.

[8] The Fateful Triangle, p.20.

[9] Ibid., p. 21 ; MEI, p. 176.

[10] À une époque, il convient de le rappeler, où le principal fournisseur d'armes à Israël était… la France (et non les États-Unis !

[11] Ibid, p.21, Hegemony or Survival, Henry Holt, New York, p. 264.

[12] Camille Mansour, Beyond Alliance : Israel and US Foreign Policy, Columbia University, New York, 1994, p. 103-104.

[13] Ibid., p. 103-104.

[14] Seth Tillman, The United States and the Middle East, Indiana Univ., Bloomington, 1982, pp. 52-53.

[15] Fateful Triangle, p. 535.

[16] A.F.K. Organski, The $36 Billion Bargain, Columbia Univ., New York, 1990, p. 228.

[17] Jim Lobe, « Chicken Hawks as Cheer Leaders », Foreign Policy In Focus, www.fpif.org, 2002.

[18] Harry Kreisler, US Foreign Policy and the Search for Peace in the Middle East : Ian Lustick in Conversation with Shibley Telhami, Anwar Sadat Chair for Peace and Development, University of Maryland, College Park ; Nov. 8, 2001.

[19] Rome and its Belligerent Sparta, www.bethlehemmedia.net/features.htm.

[20] Fateful Triangle, p. xii ; Middle East Illusions, p. 177.

[21] Ibid., p. xiii.

[22] Mansour, op. cit., p. 111.

[23] Pirates and Emperors, op. cit.

[24] Hersh, op.cit., p. 270.

[25] Cheryl Rubenberg, Israel and the American National Interest, Univ. of Illinois. Urbana and Chicago, 1986, pp.6-7.

[26] Ibid., p. 330.

[27] Tchuzpah : culot monstre, en hébreu.

[28] Middle East Illusions, p. 229.

[29] Ha'aretz, March 6, 1991.

[30] Towards a New Cold War, Pantheon, New York, 1982, p. 231.

[31] The New Intifada, p. 10.

Lundi 21 Août 2006
Jeffrey Blankfort

http://www.voltairenet.org/article143143.html http://www.voltairenet.org/article143143.html
 

Le contrôle des dégâts:Chomsky et le conflit israélo-israéli

Revenir en haut 

Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE :: SOCIETE-SOCIETY :: DEBATS ET OPINIONS/DISCUSSIONS AND VIEWS-
Sauter vers: