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Dossier spécial « Club de Paris »
Le Club de Paris chahuté pour ses 50 ans(PNG)
par CADTM France
19 juillet 2006
A l’occasion du cinquantenaire du Club de Paris, le CADTM s’est mobilisé pour mettre à jour l’action discrète de ce
regroupement de 19 pays riches créanciers qui se réunit environ chaque mois, dans les locaux du ministère français de l’économie à Bercy. Ce Club a pour but de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale des pays du Sud et de trouver une issue la plus favorable possible aux pays créanciers [1]. Notre combat pour libérer le tiers-monde de la dette et des politiques néolibérales nous conduit donc à nous opposer radicalement à ce Club un peu trop sûr de lui. Retour sur un printemps mouvementé...
16 mai 2006 — La première réunion du Club de Paris ayant eu lieu le 16 mai 1956, le CADTM a choisi ce jour-là pour organiser une série d’activités dans le quartier de Bercy. Tout d’abord, grâce à la Batucada et à la présence des Clowns amis du CADTM, une mobilisation bruyante, rythmée et dynamique a eu lieu devant les locaux du ministère, plusieurs dizaines de personnes posant devant un gâteau d’anniversaire et une pancarte « 50 ans de Club de Paris = 50 ans de trop ! Stop à la dette ! ». L’album photos ainsi confectionné est une preuve éclatante que l’image du Club de Paris dans l’opinion publique est loin d’être idyllique [2]... Puis nous avons gagné la péniche Alternat amarrée quai de Bercy pour un débat public sur le bilan du Club, avant de finir en musique avec un concert de Rocé et un DJ set de DJ Momo (Big Cheese), devant une centaine de personnes motivées et sensibilisées.
1er juin 2006 — Le Monde diplomatique publie un bilan du Club de Paris signé Damien Millet et Eric Toussaint, sous le titre « Des créanciers discrets, unis et tout-puissants ».
12-14 juin 2006 — Pour sa part, le Club de Paris a choisi le 14 juin pour célébrer son 50e anniversaire. Cette semaine-là va être l’occasion d’une mobilisation médiatique conséquente.
Dès le 12 juin, une dépêche de l’AFP, signée Marie Wolfrom, allume les projecteurs.
Confronté aux défis des pays émergents, le Club de Paris fête ses 50 ans (AVANT-PAPIER)
PARIS, 12 juin 2006 (AFP) - Le Club de Paris fête mercredi son 50e anniversaire à un moment où il voit sa pertinence remise en question par la montée en puissance des pays émergents, désormais à même de rembourser leurs dettes et même parfois de se muer à leur tour en créancier concurrent. Créé presque fortuitement en 1956 lors d’une réunion à Paris de pays créanciers de l’Argentine, le Club de Paris rassemble les grands prêteurs de la planète, de l’Allemagne à la Suisse en passant par les Etats-Unis ou le Japon. Les 19 membres de cette
« non-institution » - comme la définit son actuel président le Français Xavier Musca - qui ne possède ni statuts ni personnalité morale, se retrouvent 10 à 11 fois par an. En cinquante ans, ce sont ainsi quelque 400 accords qui ont été conclus pour un peu plus de 500 milliards de dollars. Ce demi-siècle d’activité n’a pas été sans heurts. Tout comme ses partenaires, le FMI et la Banque Mondiale (BM), le Club de Paris a souvent été critiqué pour sa « toute puissance », son « opacité » ou le caractère jugé « politique » de certaines de ses décisions. Les organisations non gouvernementales, tel le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM), avaient ainsi accueilli avec indignation sa décision de simplement rééchelonner la dette des pays victimes du Tsunami au lieu de l’annuler au moins pour partie. Peu auparavant, l’Irak avait lui obtenu un allègement massif de sa dette, amputée de 80% de son montant. Outre ces reproches récurrents, les grands créanciers du Nord se trouvent désormais confrontés aux défis posés par la montée en puissance des pays émergents.
Plutôt que de solliciter auprès des membres du Club de Paris des prêts, systématiquement conditionnés à l’application d’un programme du FMI, de plus en plus de pays préfèrent recourir aux marchés financiers, via des émissions obligataires. D’autres se tournent vers de nouveaux pays prêts à ouvrir leur bourse, tels le Brésil ou la Chine, très présente notamment en Afrique. Problème : les pays riches et les organisations multilatérales, qui se voient ainsi contournées, redoutent une nouvelle spirale. Lors d’une réunion samedi en Russie, les pays du G8 ont appelé les émergents « à une coordination renforcée (...) pour éviter que ne s’accumulent des niveaux insupportables de dette dans les pays à faible revenu ». Parallèlement, les annulations de dettes en faveur des pays les plus pauvres et les remboursements anticipés de pays émergents en meilleure santé financière se multiplient. Profitant de la manne pétrolière, l’Algérie et la Russie ont par exemple obtenu récemment de pouvoir rembourser au Club de Paris une partie de leur dette, privant de ce fait leurs créanciers du paiement des intérêts. Du coup, la question de l’utilité du Club ou du FMI se pose de plus en plus, estime Jérôme Sgard, chercheur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Dans la mesure où il n’y a plus tellement de crises et plus tellement de pays en défaut, ils perdent l’un et l’autre une bonne partie de leur fond de commerce, explique-t-il. Tout en jugeant sain que les institutions soient mortelles - car « lorsque vous savez que vous pouvez disparaître vous vous efforcez d’être utile » -
Xavier Musca juge que le Club de Paris a encore un rôle à jouer pour assurer la transparence et le traitement équitable sur la dette. Outre la célébration de son cinquantenaire, le Club se penchera cette semaine sur l’annulation de la dette du Cameroun dans le cadre de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) ainsi que sur une nouvelle demande de remboursement anticipé de la Russie. Le CADTM, lui, demande la « suppression pure et simple » du Club, « pour parvenir enfin à l’annulation totale de la dette » des pays du Sud.
Le Figaro du 12 juin et Les Echos du 13 juin consacrent un long article au Club de Paris, dans lequel ils donnent très partiellement la position du CADTM.
Le 14 juin, Libération publie une pleine page sur le Club de Paris, sous le titre « Cinquante ans d’ardoises pour le Club de Paris » [3], avec un surtitre intéressant : « L’utilité de ce négociateur entre pays créditeurs et débiteurs de plus en plus discutée. » L’article de Christian Losson insiste sur le secret dans lequel s’est muré le Club.
« Avant d’ouvrir, sous la pression des sociétés civiles, un site Internet au contenu... inaccessible si l’on n’a pas bac + 12. ‘Cela reste un cartel opaque des pays créanciers, souffle Damien Millet, président du Comité d’annulation de la dette du tiers-monde, et qui devrait disparaître.’ Surtout, de plus en plus d’ONG et de gouvernements de pays débiteurs dénoncent les conditions (orthodoxie budgétaire, libéralisation, etc.) imposées par le FMI pour passer devant le Club de Paris. ‘Le Club de Paris n’a en rien contribué au règlement durable du problème de la dette du tiers-monde’, résume de son côté Marta Ruiz, du réseau CNCD, une ONG de solidarité. »
La conclusion tombe comme un couperet : « Par ailleurs, de plus en plus de pays émergents producteurs de matières premières (Russie, Algérie, etc.) remboursent leur dette par anticipation. Privant les créanciers d’une partie du paiement des intérêts. D’autres pays du Sud optent pour les marchés financiers, via des émissions obligataires ou les mannes de gros bailleurs, telle la Chine. Le Club sera-t-il à la retraite anticipée ? La même question se pose pour le FMI... »
Un autre article [4] présente le Club vu du Sud, faisant écho à la position du réseau CADTM au Mali : « c’est peu dire que le Club de Paris n’a rien de populaire. Posez la question au Comité d’annulation de la dette du Mali, par exemple. Cela donne, comme le souffle Aminata Barry, sa présidente : ‘Le Club de Paris ? On suit à la trace ce qui s’y négocie, les magnifiques effets d’annonce après le G8 qui claironnait la fin de la dette, etc. Résultat ? Ben, on lâche toujours 100 millions d’euros en remboursements et le pays paie toujours plus qu’il ne reçoit de remises de dette. A l’arrivée, la dette a augmenté de 53 % depuis le lancement du processus pays pauvres très endettés, en 1999.’ Selon elle, le Club de Paris fait partie d’un tout. ‘C’est le bras armé de la fausse compassion.’ Où, pour avoir droit à des réductions de dette, il faut mettre la main dans un
rouleau compresseur de ‘bonnes gouvernances’. Un haut responsable du ministère des Finances malien : ‘C’est simple, en fait. On impose la privatisation, du rail à l’eau ; les ONG nous mettent des bornes-fontaines dans les rues. On limite les salaires des fonctionnaires ; les parents doivent payer pour scolariser leurs enfants.’ Et, sur fond de léthargie et de corruption généralisée, le mal-développement prospère. »L’article du CADTM intitulé « Club de Paris : un scandale institutionnel » est même relayé sur le site de Libération.
14 juin 2006, 14h — Plusieurs associations européennes organisent un match de football inéquitable devant Bercy et rendent public, à cette occasion, un texte critique sur le Club de Paris. Le CADTM en est bien sûr signataire.
Déclaration de la société civile sur le cinquantenaire du Club de Paris : ni légitime, ni soutenable.
Depuis 30 ans au moins, une grande partie du monde en développement croule sous une masse de dettes extérieures qui - parmi tant d’autres pressions et injustices - étouffe toute opportunité de croissance et de réduction de la pauvreté. Contrairement à ce qu’ils clament haut et fort, les gouvernements créditeurs ne se sont jamais systématiquement occupés de cette crise continuelle. Les Etats les plus riches ont au contraire imposé - par le biais du FMI, de la Banque Mondiale et du Club de Paris - un état d’urgence et d’insoutenabilité prolongé.
Toute sortie définitive du cercle vicieux de l’endettement s’en est par conséquent trouvée constamment et délibérément entravée, au détriment des pays débiteurs, maintenus sous domination dans un véritable état de dépendance. Le nombre de négociations que de nombreux pays ont dû endurer tout au long de ces années parle de lui-même : on compte jusqu’à 14 visites pour le Sénégal, 11 pour la République Démocratique du Congo, 9 pour la Côte d’Ivoire et 8 pour le Gabon. De plus, la kyrielle de restructurations effectuées pose le problème majeur de la traçabilité des crédits. En effet, des prêts qui ont souvent été odieux ou illégitimes sont consolidés et ré-étiquetés, à la suite de quoi il devient extrêmement difficile de localiser leur véritable origine. Le Club de Paris est un cartel de créanciers officiels dont le rôle consiste à maximiser d’un bout à l’autre les rendements de leurs prêts. Depuis ses 5 décennies d’existence, le Club s’est révélé être un instrument extrêmement efficace de restructurations et reprises habiles des crédits accordés par les agences d’aide et - plus important - par les agences de crédit export.
En privilégiant les intérêts des créanciers, le Club n’a rien fait pour garantir un environnement juste et transparent ou assurer des résultats durables permettant une sortie définitive de la crise de la dette.
Cette « non-institution », comme elle aime à se faire appeler, est un exemple flagrant de méthodes et de règles non démocratiques. Elle n’est composée que de créanciers, et prend ses décisions à l’unanimité, ce qui permet à n’importe lequel de ses membres de conserver ses conditions les moins favorables en exerçant son droit de veto. Elle concentre toute son attention sur la capacité de paiement des débiteurs, déterminée selon des calculs internes (et hautement secrets). Tout cela prouve l’absence absolue de méthodes réellement responsables, ouvertes et transparentes. De plus, la nature arbitraire évidente de ses pratiques, qui dissimulent des décisions d’ordre géopolitique derrière de soi-disant méthodes « techniques » adaptées à chaque pays, est totalement inacceptable, et souligne une fois encore le manque de crédibilité qui caractérise cette entité. Les différences de traitement envers des pays comme le Nigeria (annulation de 60 %), la Serbie Monténégro (67 %), la Pologne (50 %) et l’Irak (80 %) - et ce au cours des seules dernières années - révèlent un niveau de parti pris politique défiant tout sens commun de la justice et de l’équité.
Sam 29 Juil - 7:48 par Tite Prout