Qu’est-ce que le Vôdu ? Par l’anthropologue et prêtre vodu Basile Goudabla KLIGUEH
22/05/2006
Dans l’angoisse existentielle qui prend emprise sur le monde contemporain en quête d’«autres choses», de modèles alternatifs, d’une sortie du quantitatif, du nucléaire, du militaire, de la compétition suicidaire, de la boulimie consumériste et de l’image de soi sans soi, nombreux sont les sociologues, anthropologues, politiques et citoyens de la planète, qui jettent des sondes en direction de visions du monde différentes. Quitte à repenser la modernité, l’individu, le matériel, les relations entre choses, humains, énergies. Parallèlement resurgissent les questions de qui sommes nous, d’où venons nous, Africain et Afrodescendants se prennent à revisiter ce qui leur revient de leurs civilisations anciennes, au centre desquelles se trouvent leurs spiritualités.
Le Vôdu trouve ainsi une nouvelle audience, après les désastreux effets des représentations mercantiles hollywoodiennes, et en phase avec une redécouverte de la diversité des manières de faire, de vivre, croire, de penser, de poncer et de protéger le vivant. Les religiosités dominantes étant suspectées d’intelligence avec un matérialisme qui épuise la planète, ses ressources, matraque l’humain dans des formes plus ou moins larvées d’esclavage, perdent du terrain au profit des initiations africaines, du chamanisme, de bouddhisme et autres.
Le Vôdu rappelé en recours face aux désagrégations existentielles reste pourtant mal connu à preuve les approximations des définitions officielles qui pullulent dans les dictionnaires accessibles au grand public. Afrikara donne la parole à un spécialiste, prêtre vodu, docteur en Anthropologie sociale appliquée [Sorbonne], Basile Goudabla KLIGUEH par ailleurs auteur de l’ouvrage de référence : «Le Vodu à travers son encyclopédie la géomancie AFA» [Editions Afridic, 2005]. Extrait d’une conférence donnée à la Grande Loge Nationale française province de Bretagne en 2003. Texte transmis par l’auteur.
Une définition de Vodu
L'étymologie populaire constitue la façon dont les Vieux et les informateurs expliquent les noms sur le terrain : les noms surtout propres sont expliqués en les décomposant en les racines qui les composent. Tous les chercheurs utilisent cette méthode dans leurs différentes démarches. Selon l'étymologie populaire, le mot vodu signifie le monde des invisibles.
En effet, le mot vodu est composé de "Evo" et de "Edu". Dans la langue de Afà (géomancie divinatoire et encyclopédie du Vodu), " Evo " signifie invisible, inconnaissable ; " Edu " signifie monde, avec l'idée de voyage et de message. En réalité la sémantique populaire dit que Vodu est la contraction de la phrase " Evowo fé Edu ", le monde des invisibles.
Pour ceux qui ont toujours compris le Vodu comme " un mélange de sorcellerie et de magie " (Hachette 1999, p. 1955), cette définition du Vodu leur paraît déconcertante. Mais le principe du Vodu nous montre que derrière la matière inerte le Vodouisant perçoit un invisible.
Le principe du Vodu
Dans tout acte vodu, l'on procède du psychisme vers le physique, de l'invisible pour éclairer le visible. Toute cérémonie vodu est un drame rituel qui fait des suggestions subtiles au psychisme qui, à son tour, réagit sur le corps physique par somatisation.
En effet pour le vodouisant, le monde où nous vivons se compose d'un côté visible et d'un côté invisible ; pour un esprit scientifique, je dirais un côté psychique et un côté physique. Tout ce qui est vrai dans le visible ou le physique se réalise d'abord dans l'invisible ou le psychisme. Le visible n'est que le reflet de l'invisible et le psychisme agit lourdement sur le physique.
Selon les mythes allégoriques de Afà (géomancie divinatoire et encyclopédie du Vodu), il existerait un monde supraterrestre appelé " Fétomé " (nous y reviendrons) qui représente le psychisme collectif ou encore la mémoire de Mawu (être suprême, voir plus loin). Dans ce monde supraterrestre le " monde à devenir " se fabrique. Au niveau de l'humain, ce monde supraterrestre se situe à l'intérieur de son psychisme. Ainsi les cinq sens de l'humain constituent une espèce de réceptacle par lesquels les drames rituels vodu envoient des messages au psychisme. La matière n'étant que la reproduction de l'invisible, le corps humain ne représente que le reflet du psychisme.
Alors après avoir reçu le message par le biais des cinq sens, le psychisme l'intègre et le reproduit ensuite dans le corps physique : c'est la somatisation.
On me dira qu'il faut la présence ou le contact entre l'émetteur et le récepteur du message pour parler des cinq sens. C'est une évidence. Mais le Vodouisant utilise nombre de substituts pour imprégner le psychisme du récepteur. Certains émetteurs ont tellement développé leur propre psychisme au point de communiquer directement avec un autre psychisme ; nous avons ici le principe de communication de la haute sorcellerie. Je reconnais ici que le mot sorcellerie est communément utilisé comme étant du domaine du charme et des maléfices (Hachette 1999, p, 1762), mais dans la pratique, être " Azétô " (l'équivalent de sorcier en évé et en fon) ne veut pas forcément dire faire du tort aux autres.
En effet le Vodouisant définit la sorcellerie comme étant la capacité de l'individu à entrer en contact avec le psychisme collectif ou individuel. Alors quand quelqu'un pénètre dans votre psychisme, il y dépose ce qu'il veut. Vous prendrez conscience de son message par les cinq sens, c'est-à-dire par somatisation.
Au fait ! la sorcellerie que l'on appelle " magie noire " résulte seulement du choix de l'opérateur. Car l'" antisorcier " procédera de la même manière pour guérir la personne envoûtée. Entre le sorcier et l'anti-sorcier, qui n'est pas sorcier ?
En définitive, la réalité du Vodu se trouve dans le psychisme et nous nous en rendons compte par la somatisation ou la matérialisation dans le visible.
Le monde du Vodu
Besoin n'est plus de définir le mot vodu. I1 nous faut alors montrer comment le monde des invisibles se conçoit sur le plan matériel. D'où vient le Vodu ?
Dans l'état actuel des recherches, personne ne peut prétendre dire, avec preuves scientifiques, l'origine première du Vodu.
Cependant, nous connaissons le Vodu en Occident par le biais des Antilles et particulièrement de Haïti. Le peuple qui est aujourd'hui le dernier dépositaire du Vodu avant que cela n'atteigne Haïti est, sans aucun doute, les Adza-tado, sur la côte ouest-africaine. C'est un peuple qui s'étend sur le littoral, du Bénin (ancien Dahomey), du Togo et du Ghana et regroupe les Fon, les Evé, les Watsi, les Minà, les Gùn et autres croisements de ces peuples. Quand on leur demande d'où vient le Vodu, ils font référence à une origine mythique qui se trouverait à l'Est. On fait aussi le Vodu dans le sud du Nigeria, mais sous le vocable de Orisha.
Le Vodu que je vous présente ici est celui des Adza-tado d'où il a fait sa dernière migration pour atteindre le Nouveau Monde par le biais de l'esclavage. Comprendre le Vodu consiste d'abord à saisir l'incarnation matérielle de l'invisible, puis les liens entre la nature, l'homme et l'Etre suprême et enfin la symbolisation de la vie.
L’Incarnation de l’invisible
Je voudrais dire la matérialisation du monde des invisibles. I1 n'existe pas une théorie mais des théories sur la cosmogonie africaine. Nous avons la thèse de B. Maupoil, celle de A. de Surgy et celle de R.Brand, par exemple. Quelles que soient leurs différences, tous les auteurs se mettent d'accord sur l'existence de deux mondes parallèles : l'un visible et l'autre invisible.
Je ne veux pas présenter ici une nouvelle théorie sur la cosmogonie africaine mais seulement décrire ce que la pratique révèle de l'action du monde des invisibles sur le monde du visible.
La pratique montre que le Vodu gravite sur trois paliers dans une espèce d'incarnation d'un monde supraterrestre dans le monde physiquement terrestre. Ces trois paliers se soutiennent, s'interpénètrent et s'expliquent les uns par les autres. Ces trois paliers hiérarchiques se nomment : Mawu, Fétomé et Agbégbomé.
Que signifie Mawu (lire Maou) ?
Selon l'étymologie populaire, Mawu (en évé), est la contraction de " Améa éwu ", c'est-à-dire " cet être surpasse ". Maahù (en fon) vient de " Mèdé ma hù ", " personne ne peut le surpasser ". En évé ou en fon, nous arrivons à la même traduction : Etre suprême.
R. Brand n'accepte pas que Mawu ou Maahù soit un Etre suprême en Vodu, bien que la traduction littérale l'affirme. Hugo Zöller, journaliste allemand, le rapportait déjà à la fin du 19 siècle. B. Maupoil et A. de Surgy accordent à Mawu la traduction d'Etre suprême. Outre ces témoignages, la pratique aussi confirme que Mawu est un Etre suprême. En effet, quand le Vodouisant veut mettre l'Etre suprême en mouvement, il décline le nom Mawu de la façon suivante : " Mawu Ségbo Lisa, Ata kokodabi bé dzè na vônô ", ce qui signifie : "Etre suprême, vieille âme aux multiples couleurs (manifestations ou matérialisations), père tout puissant et vivant éternellement". Voilà comment le Vodouisant invoque Mawu dans ses prières.
Les Adza-tado n'ont aucune représentation iconographique de Mawu. Ils demeurent plutôt convaincus de sa présence derrière chaque manifestation terrestre. Mais avant d'arriver sur terre, chaque manifestation se conçoit à Fètomé.
Qu'est-ce que Fètomé ?
Fètomé est le deuxième palier du monde du Vodu. C'est aussi un monde invisible. On y voit des formes se manifester. Tout semble faire croire que Fètomé est à la fois un monde supraterrestre et aussi la pensée de Mawu.
En effet, toutes les allégories de Afà commencent toujours par : " A Fètomé tel être a fait ci ou a fait ça... ". A Fètomé, " Amétô Lisa "(un autre nom de Mawu) communique directement avec chacun de ses enfants qui sont ses différentes manifestations.
"Amétô Lisa" est le nom de l'Etre suprême " qu'affectionnent les allégories de Afà. Ce mot composé signifie : Père aux multiples manifestations ou couleurs.
Autant les allégories donnent des images bien précises des enfants, autant aucune ne donne de forme au père. Chaque enfant de Amétô Lisa est un enfant unique dans son espèce mais androgyne. Cette situation pousse à penser que Fètomé représente la pensée ou la mémoire de Mawu où celui-ci donne les formes au monde en devenir.
Quand chaque prototype arrive à terme, Mawu le fait matérialiser, l'expulse vers le dehors qui est Agbégbomé. En entrant à Agbégbomé, chaque créature se découple en mâle et femelle, offrant ainsi la possibilité de procréation.
Ce passage de Fétomé à Agbégbomé se signale clairement dans les deux exemples qui suivent :
-Selon le signe de Afà, Di-mèdzi, " quand le palmier à huile dans son voyage d'incarnation arrive au portail de Agbégbomé (monde matériel) chez " Edu-Légba " (gardien extérieur collectif), celui-ci lui fait une consultation ; il en est toujours de la sorte pour chaque incarnation. I1 est révélé au palmier à huile de faire le commerce pour réussir sa vie terrestre. Mais pour cela, il doit faire un rituel pour conjurer le côté sorcier que comporte son destin. Le palmier à huile fait les rituels requis et connaît une longévité remplie de richesse sur terre.
-" Woli wo lété " (autre signe de Afà) raconte dans son allégorie que " quand le Boa était arrivé au portail chez Edu-Légba, il refusa de faire les rituels, à cause de son orgueil. C'est pour ce refus congénital que chaque fois que le Boa avale sa proie, il doit attendre sur place le pourrissement total de sa proie avant de continuer son chemin. En conclusion, pour avoir refusé de faire le rituel de passage de Fètomé à Agbégbomé, le Boa, après chaque repas doit attendre ; et dans cette attente, n'importe quoi peut lui arriver. La vie à Agbégbomé est-elle donc aléatoire ?
Qu'est-ce que Agbégbomé ?
Nous sommes sur le troisième palier du monde logique du Vodu, allant vers le bas, le monde terrestre.
" Agbé " veut dire vie matérielle. " Gbomé " signifie cercle, assemblée, peuple ou monde. " Agbégbomé " signifie donc le monde de vie matérielle.
On dit aussi " Kodzogbé ". " Kodzo " signifie épreuve ou jugement. " Kodzogbé ", venant de " Kodzo fé agbé ", nous donne en définitive la vie des épreuves.
Pour le Vodouisant, Mawu n'a pas de forme mais il est en même temps un père aux multiples manifestations (Amétô Lisa). De ce fait, le Vodouisant voit Mawu derrière ou dans chaque manifestation terrestre. L'Etre suprême se manifeste d'abord à travers les quatre éléments qui permettent l'existence de la vie : le feu, l'air, l'eau et la terre.
L'air prend la forme de Afà, le verbe de Mawu. Afà, dans la réalité se présente sous forme d'un système de divination qui permet de tracer le destin de l'individu et surtout de communiquer avec le monde des invisibles. Un verbe qui relie et qui s'incarne (voir plus loin).
Le feu est symbolisé par une divinité appelée Xébiéso, la divinité de la foudre. Elle transmute l'air en eau, l'impureté en pureté. Elle symbolise aussi l'alchimie des réalisations qu'il faut savoir préserver.
L'eau se retrouve dans la divinité "Edà ou Mamiwata". C'est le serpent ou la divinité de la richesse, de la fécondité et de la procréation..
La terre se présente sous les traits de la divinité "Sakpatè ou Sakpata", divinité de la variole. Elle représente le symbole de la jalousie, de la dualité et de la complémentarité. Elle fait entrevoir aussi les preuves terrestres.
A partir de ces quatre matérialisations de l'Etre suprême, toutes les représentations de Mawu deviennent possibles. Alors, vous pouvez honorer l'Etre suprême selon la matière qui vous convient. C'est peut-être ici que l'on a pensé à tort à l'animisme et au polythéisme de l'Africain. Or, nous l'avons vu, la matière n'est qu'un piètre réceptacle. D'ailleurs l'être humain ne serait-il pas un substitut presque parfait de l'Etre suprême ?
Mer 24 Mai - 0:28 par mihou