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 Entretien avec Malek Chebel : L'islam côté Lumières

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mihou
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mihou


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08052006
MessageEntretien avec Malek Chebel : L'islam côté Lumières

Entretien avec Malek Chebel : L'islam côté Lumières

Personne ne connaît mieux que lui l'art d'aimer en islam. Après un best-seller encyclopédique sur le sujet, Malek Chebel est de retour avec un « Dictionnaire amoureux de l'islam » (Plon). Un ouvrage qui risque de faire du bruit au moment même où les crispations religieuses n'ont jamais été aussi ostensibles

propos recueillis par Christophe Ono-dit-Biot

Un « Dictionnaire amoureux de l'islam » publié dans une maison d'édition sise place Saint-Sulpice, voilà le genre d'association qui doit enchanter le souriant Malek Chebel. A 50 ans, ce quadruple docteur en psychopathologie clinique et psychanalyse, anthropologie, histoire des religions et sciences politiques, né en Algérie, membre actif du groupe des sages auprès de la Commission européenne et auteur d'une vingtaine d'ouvrages, est aussi l'homme du sexe en islam. Sa première thèse ? « Le tabou de la virginité au Maghreb ». Son best-seller ? Une « Encyclopédie de l'amour en islam » (Payot). Ephèbes et courtisanes, délices du sérail et perversions privées, rien n'est tabou pour cet érudit. Une liberté de ton et d'expression qui lui occasionna à ses débuts des conférences houleuses, parfois terminées à coups de poing quand il s'agissait d'évoquer par exemple, sur les bancs de la Sorbonne, la question de l'homosexualité dans le monde arabe.

Que lui vaudra aujourd'hui ce « dictionnaire », vagabondage amoureux à travers les plis et replis d'une merveilleuse civilisation que les crimes des encartés du djihadisme international ont tendance à nous faire oublier ? Certainement un grand nombre de lecteurs fascinés par cette somme de plus de 300 entrées qui réenchante l'islam, sa doctrine, ses pratiques et ses fantasmes.

Au moment où l'islam paraît plus crispé que jamais, rencontre avec le fer de lance d'un islam décomplexé qui, par amour du Coran, l'a presque appris par coeur, et pour lequel Schéhérazade est aussi importante que les soixante-dix vierges du paradis d'Allah.

LE POINT : « Bayadère », « Extase », « Danse du ventre » et « Baraka »... Vous vouliez rassurer les Occidentaux après le 11 septembre ?

MALEK CHEBEL : Pas seulement les Occidentaux, mais aussi les Orientaux, que je trouve, passez-moi le jeu de mots, un peu « désorientés ». Je voulais leur rappeler que, même si, depuis plusieurs siècles, on a perdu le fil d'un islam ouvert et tolérant, c'est quand même aussi cette religion qui a produit des gens comme Averroès ou une architecture comme celle d'Andalousie, que c'est l'islam qui a inventé le système universitaire - de Bagdad et Cordoue - ainsi que l'hôpital - en arabe « bamaristan » - bien avant l'Europe, puisqu'on en trouvait un près du palais d'Haroun al-Rachid, à Bagdad... Souligner aussi le fait qu'à en juger par la place de la calligraphie, du hammam, de l'art de la parfumerie et de celui d'accommoder les plats l'islam s'est longtemps préoccupé de beauté et de sensualité. D'ailleurs, selon moi, tout ce savoir, cette curiosité, cette envie d'aller de l'avant reposent encore dans les strates de l'inconscient collectif musulman : il s'agit juste de les réveiller...

LE POINT : Et on peut dire que vous n'y allez pas de main morte : « Excision », « Libre-pensée », « Femmes du Prophète » et « Crimes d'honneur »... Ça risque de décoiffer de l'autre côté de la Méditerranée...

M. CHEBEL : Peut-être, mais le but d'un intellectuel, c'est, comme disait Rilke, de « faire bouger la mer gelée en nous ». Alors j'essaie de le faire. Je milite pour un islam authentique, donc moderne, parce que, depuis toujours, l'islam porte la modernité en lui. Quand les chrétiens arrivent en Orient au moment des croisades, ils viennent combattre des « infidèles » et découvrent une civilisation beaucoup plus raffinée que la leur, qui leur a en outre apporté beaucoup plus qu'eux n'ont apporté à cette civilisation. Quand vous lisez les travaux des savants musulmans d'Andalousie, vous êtes sidérés par cette modernité. J'essaie de m'en inspirer et de montrer qu'il est encore possible de parler d'un islam autre que celui des fondamentalistes et de l'ayatollah Khomeyni.

LE POINT : C'est pourtant plutôt cette vision-là qui domine actuellement, non ? Quand on lit votre dictionnaire, on a l'impression que la vôtre est un peu caduque...

M. CHEBEL : C'est parce que l'islam est en crise. Ça a commencé après la chute de Grenade, en 1492, et ça s'est aggravé à la chute de l'Empire ottoman, après laquelle l'Europe n'a cessé de prendre de l'avance. Ensuite, il y a eu les grandes vagues de colonisation par les puissances occidentales, et la colonisation, il faut bien l'avouer, ça n'a jamais favorisé la renaissance intellectuelle des colonisés. A cela il faut ajouter les problèmes que rencontre le monde arabo-islamique dans la gestion économique de ses richesses. Il y a un grand dénivelé économique entre les riches et les pauvres, aggravé par l'absence de légitimité démocratique des régimes politiques. Du coup, les pauvres se sentent exclus à la fois des richesses et de l'espoir d'y accéder. Ils finissent donc par s'accrocher au discours des fondamentalistes, qui n'est selon moi qu'un discours de compensation. Pour eux, l'islam s'apparente à une religion-business, à un outil que les uns et les autres utilisent pour arriver au pouvoir, gagner de l'argent, voire obtenir des diplômes, comme tous ces types qui, dès qu'ils sont interviewés par les médias, se prétendent « sociologues des religions »... L'islam campe sur des positions défensives, voire agressives, parce qu'il se cherche sans se trouver. Du coup, il s'arc-boute sur des certitudes qui n'ont d'ailleurs rien à voir avec la doctrine.

LE POINT : Vous voulez dire que les prédicateurs fondamentalistes connaissent mal la doctrine ?

M. CHEBEL : Non, ils la connaissent très bien, mais ils l'interprètent de façon à contrôler les masses, à des fins de pouvoir temporel. Avec mon dictionnaire, j'ai voulu introduire un peu de fluidité et de souplesse dans cette interprétation. J'essaie de rouvrir, comme on dit dans la tradition, « les portes de la compréhension ».

LE POINT : Je croyais que c'était hérétique d'interpréter le Coran ?

M. CHEBEL : Comme je l'expliquais dans la préface que j'ai faite à la traduction du Coran d'Edouard Montet (Payot), et comme je le redis dans le dictionnaire, s'il y a un seul mot arabe indispensable en islam, c'est celui d'« ijtihad ». Ça veut dire l'« effort de compréhension », et par extension l'interprétation des textes canoniques de l'islam, leur adaptation à la marche du temps. Quand l'islam est dans un contexte de progrès, l'« ijtihad » est progressiste ; quand les crises se multiplient, l'« ijtihad » se replie sur des interprétations plus consensuelles. Le problème, c'est qu'au IXe siècle califes et grands théologiens ont considéré que le Coran était totalement expliqué et ont fait arrêter tout travail d'exégèse. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, quand quelqu'un veut se lancer dans un travail de réinterprétation du Coran, il prend le risque d'être taxé d'hérétique ou de perturbateur.

LE POINT : Par exemple, sur la question du voile ? Vous y consacrez un long article, où vous expliquez qu'on ne peut pas savoir vraiment de quoi parle exactement le Coran...

M. CHEBEL : C'est vrai. D'une part, il en parle peu, puisque sur les 6 000 versets coraniques il ne s'agit que de deux versets et demi, trois en comptant large... A titre de comparaison, il y en a 5 000 sur Allah, 500 sur le Prophète et 200 sur la guerre. Et de quoi parlent ces trois versets ? D'un « djilbab », un mot dont on ne connaît pas la signification exacte ! Est-ce un fichu, une mante ? Même l'iconographie ne peut pas nous aider, puisque nous n'en avons pas de l'époque du Coran, et que, sur les premières représentations qu'on a, on voit les femmes tantôt non voilées, tantôt voilées... Mais en tout cas jamais intégralement ! Car si le « fichu » a toujours existé en Orient, puisque Byzantines et Coptes le portaient, le voile intégral, type tchador ou burka, est une innovation du XIXe siècle correspondant à une conception politique du voile... Ce que je trouve aberrant, c'est qu'en France on est en train de le remettre au moment où dans beaucoup de pays arabes, malgré la pression des discours fondamentalistes, on essaie de l'enlever. Jusqu'au Qatar, où 200 familles ont demandé à leurs filles de ne plus porter le voile à l'école musulmane...

LE POINT : Pourtant, vous écrivez que rien n'est plus difficile que de parler de laïcité avec les musulmans...

M. CHEBEL : Oui, parce qu'ils ont cristallisé autour du terme l'idée d'une agression du monde chrétien contre le leur. Le mot « laïque » prend même dans la bouche de certains prédicateurs un sens péjoratif, comme une insulte. Ça n'a pourtant pas toujours été le cas. Au temps de l'âge d'or de l'islam, même si on ne parlait pas de laïcité au sens théorique, on vivait dans une laïcité de fait. Dans l'Andalousie musulmane, chantée par les poètes comme « le paradis d'Allah retrouvé sur la terre », on pouvait entendre l'appel à la prière et continuer à vaquer à ses occupations sans pour autant être traité de païen ou d'hérétique. Ce qui me fait penser que quand le libre arbitre, la liberté d'expression et de conscience seront réaffirmés dans le monde arabo-islamique, quand la redistribution des richesses sera équitable et que les masses populaires seront intéressées à un projet de société plus égalitaire, la laïcité se fera d'elle-même. Et non par la violence, qui a, comme dans la Turquie d'Atatürk ou la Tunisie de Bourguiba, contribué à faire augmenter, par contre-coup, la fréquentation des mosquées.

LE POINT : Reste le tabou sexuel. Pourquoi l'islam a-t-il tant de problèmes avec le sexe ?

M. CHEBEL : Parce que les hommes ont privatisé le sexe et qu'on a laissé faire les rétrogrades. Mais c'est absurde, parce que l'islam est à l'origine une religion sensuelle, qui recommande à l'homme de vivre pleinement sa vie terrestre. Il y a même des textes qui expliquent que l'amour divin passe par l'amour charnel, et quand on demandait au Prophète ce qu'il avait aimé de ce monde il répondait : « Les femmes, les parfums et la prière. » La tradition rappelle qu'il avait neuf femmes dans son harem et qu'il passa vingt-neuf nuits consécutives avec son épouse copte Marya ! D'ailleurs, toute la civilisation musulmane repose sur le fait que la sexualité - dans le cadre du mariage, bien sûr - est un bienfait de Dieu. Si l'on a construit des hammams, c'est avant tout pour que la femme et l'homme se préparent pour l'intimité !

LE POINT : Justement, il y a quelque chose de très difficile à comprendre : puisque le Prophète lui-même avait visiblement un rapport tout à fait apaisé aux femmes, comment un musulman censé suivre son modèle peut-il avoir une conception aussi « inégalitaire » du rapport homme-femme ?

M. CHEBEL : C'est vrai qu'avant d'avoir été un sexe coupable le sexe féminin en islam a été libéré. La preuve même en étant Khadidja, la première femme du Prophète, qui était plus âgée que lui, veuve et femme d'affaires. C'est d'ailleurs elle qui l'a engagé comme caravanier ! ... Mais pour savoir ça, il faut être un musulman cultivé. Le Coran, qui est parole de Dieu, ne donne finalement guère d'éléments sur la vie du Prophète. C'est un texte abstrait, que d'ailleurs bien des musulmans ne comprennent pas et se contentent d'apprendre phonétiquement, comme le latin de la messe dans les campagnes d'antan...

LE POINT : Ce qui explique peut-être certaines hésitations sur le sens exact du terme « djihad » ou sur celui de la fameuse récompense « sexuelle » qui attend le martyr au paradis et qui fait que les kamikazes se protègent le sexe avant l'explosion... Vous n'avez pas voulu trancher sur ce point...

M. CHEBEL : Je ne peux pas trancher. Je n'ai pas fait un essai, mais un dictionnaire, alors je donne les deux sens en m'appuyant sur la tradition. Mais c'est vrai que, derrière l'idée de « guerre sainte », comme le Prophète le dit lui-même dans un célèbre haddith, il y a aussi la notion de dépassement de soi (« djihad al-akbar »). C'est comme pour les « houris », ces soixante-dix vierges qui attendent l'homme pieux au paradis : ne sont-elles pas aussi à prendre au sens symbolique ? Ça relève de la foi de chacun et ça, je ne veux pas m'en mêler.

LE POINT : Quoi qu'il en soit, votre dictionnaire reste un formidable plaidoyer pour un islam des Lumières. Le fondamentalisme ambiant n'est donc qu'une mauvaise passe ?

M. CHEBEL : Je vous l'ai dit : les fondamentalistes profitent de la crise économique qui affecte le monde musulman. Ils ont investi les mosquées, alors ils ont de l'audience, et grâce à la manne financière dont ils disposent ils ont pu constituer un filet social excellent pour venir en aide aux pauvres des banlieues miséreuses qu'ils ont infiltrées. Il est là, le malaise de l'islam. Si on veut les battre, il faut être aussi bons qu'eux sur ce terrain. Ce que je crois, c'est qu'à plus ou moins long terme, si le monde islamique ne veut pas être la brebis galeuse de l'ensemble des civilisations, s'il ne veut pas être étiqueté « axe du mal » par des forces qui ont besoin d'un bouc émissaire, il est obligé de procéder à une mutation. Et, avant tout, il devra répondre à un certain nombre de questions dont pour l'instant il ne veut pas s'occuper : le désir des jeunes, l'égalité homme-femme, et surtout l'émergence de l'individu par rapport à la communauté
Malek Chebel

Malek Chebel est né en 1953 à Skikda (Algérie). Marié, trois enfants. Anthropologue et psychanalyste, spécialiste du monde arabe et de l'islam. A exercé dans plusieurs universités, dont Paris-IV Sorbonne, Marrakech, Tunis, Berkeley et Stanford, à San Francisco, à l'Ucla et Rockefeller University, à Chicago. A préfacé le Coran, traduction d'Edouard Montet (Payot Poche 2001), et publié de nombreux ouvrages, dont :

- Le corps en islam » (PUF, 1984),

- L'esprit de sérail. Mythes et pratiques sexuels au Maghreb » (Payot Poche, 1995),

- Encyclopédie de l'amour en islam » (Payot, 1995).

A paraître le 25 février 2004 :

- Manifeste pour un islam des Lumières ; 27 propositions pour faire bouger l'islam » (Hachette Littératures).
Dictionnaire amoureux de l'islam » (Plon, 717 pages, 25 euro).

© le point 12/02/04 - N°1639 - Page 98 - 2364 mots
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