La France, terre de djihad
A force de prêcher contre la laïcité et la démocratie, certains imams radicaux incitent leurs fidèles aux dérives les plus extrêmes.
Christophe Deloire
La mosquée Omar est l'une des plus étranges de France. Le lieu tient à la fois du château hanté et de la forteresse de verre. A l'intérieur et sur le trottoir, il se passe des scènes curieuses. Comme si un mauvais sort s'acharnait sur le bâtiment blanc de deux étages, situé à l'angle de deux rues du 11e arrondissement de Paris, non loin du quartier populaire de Belleville.
En ce vendredi de ramadan, le 14 octobre, les fidèles ne se tiennent pas tous dans la salle de prière. Des haut-parleurs transmettent le prêche de l'imam à tous ceux qui sont restés dehors, des centaines à avoir déroulé leur tapis ou leur carton de prière sur le trottoir. A l'heure précise de la prière, la chaussée de la rue Morand se remplit sur 150 mètres d'une foule orientée vers La Mecque. Dans le bar d'en face, Le Fidèle, un café sans alcool où l'on se déchausse à cette heure pour entrer, les fidèles en rang s'inclinent du côté de la vitrine.
Un bénévole tout de blanc vêtu est chargé par l'imam de la mosquée Omar de réguler la circulation et le passage des piétons. Il y va de l'image de ce lieu de culte, dont l'histoire a connu bien des affres. Car la méditation n'y est pas toujours sereine. Le 3 octobre, un Français d'origine algérienne, Brahim, a eu un malaise dans la mosquée. Quatre hommes ont tenté de le réanimer, avec des méthodes brutales. Le jeune homme de 29 ans étant pris de convulsions, les quatre crurent déceler la main du diable derrière sa défaillance. Pour chasser le « démon en lui » et le « désenvoûter », l'un est monté sur son corps, en plaçant un pied sur sa gorge et l'autre sur son ventre. Il lui a brisé le larynx, tandis qu'un autre fidèle récitait des versets du Coran.
« C'est un problème, mais il y a des problèmes partout », note le bénévole de la mosquée. Dans un ouvrage vendu dans les librairies à proximité, « La protection de l'homme des djinns et de Satan », on peut lire la manière dont le cheikh ibn Taymiyya dit avoir soigné un épileptique : « J'ai tenu un bâton, je le frappais aux veines de son cou jusqu'à ce que mes mains deviennent fatiguées. » Les quatre hommes ont-ils pris au pied de la lettre ce genre de prescription ? L'épileptique de la parabole guérit, Brahim est mort. Sa dépouille portait des traces de coups. Un juge a mis les quatre en examen pour « homicide involontaire ».
Les vautours du radicalisme tournent autour de la mosquée Omar. En juillet, la police menait à bien une « opération de prévention du terrorisme » et arrêtait un Algérien de 35 ans qui avait appelé au djihad à proximité de la mosquée. En 2002 déjà, d'anciens fidèles avaient effectué des stages de préparation au djihad. Des habitués de la mosquée Omar se sont illustrés dans la chronique mondiale de l'islamisme. L'un a été détenu à Guantanamo, un deuxième retrouvé mort sous les bombes en Afghanistan, un troisième interpellé en Australie, où il procédait à des repérages terroristes. Enfin, si l'on remonte un peu plus dans le temps, un islamiste qui préparait un attentat pendant la Coupe du monde de football en France avait fait de la mosquée son quartier général. Dans les années 80, deux des auteurs de la série d'attentats à Paris avaient été recrutés ici.
L'imam de la mosquée Omar est en fait Hamadi Hammami, président de Foi et Pratique, une association qui représente en France le Tabligh. De source policière, Hammami, membre du conseil d'administration du Conseil français du culte musulman (CFCM), prêche sans violence, ce qui n'empêche pas certaines ouailles de dériver. Mouvement piétiste fondé en 1927 dans le nord de l'Inde, le Tabligh n'a rien d'une succursale d'AlQaeda mais tient plutôt, selon les spécialistes, de la secte. L'initiation sous forme d'un stage provoque un repli à l'écart de la société. Le Tabligh, qui contrôle plus d'une centaine de lieux de culte en France, enseignait par exemple cette prescription avant que survienne le 11 septembre 2001 : « Le bon musulman doit parler peu pendant sa restauration, car s'il se tait il fait comme les juifs, et s'il parle trop il agit comme les Français. Il est important de se démarquer de ces deux communautés. »
Après les attentats de New York et de Washington, les prêches se sont modérés un peu partout, à l'exception, peut-être, de la mouvance Kaplan, qui a pour but de restaurer le califat en Turquie. Des imams kaplangi sont régulièrement expulsés de France (voir encadré). Il reste toutefois des idéologues prompts à surfer sur les fantasmes. Comme cet imam radical qui, le 1er avril, déclarait que « les juifs sont à l'origine de tous les problèmes des musulmans [...], tous les médias sont contrôlés par des juifs ». Le 27 mai, ce berger déclarait à ses brebis : « Soyez patients, l'islam, les musulmans et Allah finiront par l'emporter. »
Même si les prédicateurs sont obligés d'en rabattre, notamment quand la brigade criminelle, informée par les RG parisiens, convoque les excessifs pour procéder à des « rappels à la loi », les idéologies radicales se diffusent par les sites Internet et de petits groupes qui essaiment. Les salafistes, par exemple. Selon les Renseignements généraux, ces militants qui souhaitent ressembler le plus possible à ce que fut le prophète Mahomet au VIIe siècle sont environ 5 000 sur le territoire français, et ils contrôlent une quarantaine de mosquées.
Le sociologue Farhad Khosrokhavar a effectué pour le compte des RG une étude sur ces jeunes en rupture qui, par « rancoeur sociale », veulent « croiser le fer avec la société, avec la République ». Pour eux, les grandes organisations qui ont négocié avec l'Etat la constitution du CFCM sont composées de « vendus », le prédicateur suisse Tariq Ramadan, dont on ne compte plus les apparitions à la télévision, est un « vendu », et les « tablighi » sont aussi « vendus ». Pas vendu, en revanche, l'imam salafiste de Vénissieux Abdelkader Bouziane, expulsé en 2004 après avoir suggéré que battre sa femme pouvait relever du devoir marital. Certes, selon lui, un tel acte était interdit dans le Code pénal, « oui, mais pas dans le Coran ». La cour d'appel de Lyon vient de condamner cet homme de 53 ans à six mois de prison avec sursis.
Les salafistes ne sont pas les seuls à prôner des règles contraires aux principes de la République. Ainsi, le leader du Conseil européen pour la fatwa et la recherche, le cheikh Youssouf al-Qaradawi, réputé référence spirituelle de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), énonce des fatwas dont certaines peuvent sembler étranges. Dans un recueil préfacé par l'intellectuel Tariq Ramadan et dont la couverture est constellée d'étoiles jaunes sur fond bleu lui donnant l'apparence d'une brochure officielle de l'Union européenne, Qaradawi précise que la femme n'est autorisée à se couper les cheveux sans la permission de son mari que si la coupe est imperceptible. Tout changement d'aspect « nécessite une entente préalable entre les époux avant son exécution ». Par ailleurs, selon le prédicateur inspiré par la doctrine des Frères musulmans, « l'époux a le droit d'interdire à sa femme de rendre visite à une femme précise, musulmane ou non, s'il craint que cela porte tort ou préjudice à son épouse ou à ses enfants, ou à sa vie conjugale ». Nous sommes loin de l'égalité entre les hommes et les femmes...
Que pensent les radicaux de la France ? Le 16 septembre, un responsable religieux radical d'origine turque se livrait à une diatribe contre la France, « qui n'est ni le pays des droits de l'homme ni une démocratie ». Pour lui, « en France, la vérité ne se trouve pas dans les droits de l'homme, mais dans l'islam, et on n'a jamais fermé une église en Turquie ». Un imam salafiste de la région parisienne prétend souvent que « la France est un Etat impie qui veut faire disparaître progressivement les principes de l'islam ». D'ailleurs, selon ce prêcheur peu modéré, « le libéralisme occidental est à l'origine de toutes les perversions ».
Aux exclus, en butte à une société prétendument pourrie, injuste, discriminante, en un mot coupable, ces doctrinaires de l'islam radical suggèrent de s'exclure encore un peu plus, comme s'il s'agissait d'un moyen de prendre en main leur destin. Le 9 septembre, un imam radical appelait ses ouailles à s'en tenir à de « bonnes fréquentations », à savoir « qu'il faut uniquement choisir ses relations parmi les personnes qui craignent Allah ». Le 11 février 2005, un autre s'était montré encore plus incisif, en appelant son auditoire à « ne pas côtoyer les koufars » (mécréants, musulmans ou pas) et à « ne même pas leur rendre visite à l'hôpital ». En résumé, éviter tout contact avec les impuretés françaises et occidentales.
En bonne place dans les librairies radicales, les ouvrages de Mohamed Yacine Kassab, publiés aux éditions La Lanterne, permettent de se faire une idée des schémas extrémistes. Dans son livre « Les divisions musulmanes face à l'hégémonie occidentale », paru en février 2005, l'auteur vilipende « une humanité en partie dépravée où l'argent a été promu au rang de déité universelle ».
Yacine Kassab procède à un renversement de perspective souvent paranoïaque. Selon lui, les talibans sont de simples « étudiants en théologie » qui « possèdent une conscience humaine bien plus élevée que celle de leurs bourreaux ». En revanche, pour lui, l'enfer occidental est « un milieu où nombre de pratiques criminogènes sont autorisées et où même l'inceste et la pédophilie sont regardés avec avidité et commis sournoisement par un nombre de plus en plus croissant de ceux qui prétendent incarner la morale du genre humain ».
Par nature, dans l'esprit sectaire des radicaux, le bien est musulman et le mal mécréant. Yacine Kassab écrit que, « de la même façon qu'il ne saurait exister de musulman athée, communiste ou libre-penseur », il ne saurait y avoir de « musulman tueur d'enfants, égorgeur et violeur de femmes ainsi qu'assassin de gens innocents ». Tous les musulmans sont innocents, tous les coupables sont chrétiens ou juifs. Le monde est simple. Dans cette perspective, l'islam de France, « la tentative de remodeler l'islam à la mode de chez nous », n'est qu'une tentative de l'Occident immoral d'entraîner « les musulmans à sa suite à la dérive »
Mohamed Latrèche
Président du très radical Parti des musulmans de France, qui fédère environ 150 partisans, Latrèche s'en est pris en mai au chef de l'Etat : « M. Chirac, vous avez humilié les jeunes filles voilées, nous vous détestons parce que vous nous détestez. Si vous aviez la force de Bush, vous auriez fait ce qu'il a fait aux musulmans. »
Youssouf al-Qaradawi
Ce cheikh présente une émission sur Al-Jazira et délivre des fatwas supposées valables pour l'Europe. Echantillon : « Vous devez continuer à combattre les juifs. Ils se défendront, mais vous finirez par les avoir. Car le juif se cachera derrière une pierre ou un arbre et la pierre ou l'arbre dira : "Ô serviteur d'Allah, il y a un juif derrière moi, viens et tue-le." C'est à ce prix que la résurrection surviendra. »
Lun 8 Mai - 11:07 par mihou