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 Rwanda

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brigitte
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brigitte


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Date d'inscription : 24/11/2005

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07122005
MessageRwanda

Rwanda : les faux réconciliés du génocide
LE MONDE | 06.12.05 | 15h22 • Mis à jour le 06.12.05 | 16h12
KIGALI ENVOYÉE SPÉCIALE


C'est dimanche à Kimironko, un quartier de l'est de Kigali. Comme chaque semaine, jusque dans les collines les plus reculées du Rwanda, la rumeur publique diffuse l'information du lieu et de l'heure. Tous les habitants de la commune sont tenus d'assister à la gacaca (prononcer gatchatcha) : littéralement, au "tribunal sur gazon".


L'Etat rwandais a réinventé cette justice populaire traditionnelle pour juger les auteurs du génocide. A la manière des anciens qui résolvaient leurs conflits en palabrant sous l'arbre avant d'aller boire ensemble de la bière de banane, les gacaca actuelles confient le soin de juger les tueurs à la population, via des juges élus parmi elle. Les relations de voisinage rendent difficile le mensonge et incitent aux aveux.

Ce dimanche, à Kimironko, c'est à 15 heures, sur le terrain vague qui fait face au bureau du district. On attend. En Afrique, l'horaire a la patience d'attendre ceux qui tardent à l'honorer. D'un pas nonchalant, des habitants surgissent de toutes parts au compte-gouttes et s'installent sur l'herbe. A 16 h 30, ils finissent par être deux cents. Leur groupe coloré domine les collines à perte de vue. Une brise apporte des odeurs de menthe.

Des tables et quelques bancs sont installés au milieu du champ jonché de pins et d'eucalyptus. Sans se presser, les habitants prennent place où ils peuvent. Face à eux, derrière les tables, s'asseyent les 9 inyangamugayo : les "hommes intègres" (4 femmes et 5 hommes) élus par la population locale, généralement parce qu'ils sont sages et lettrés. Ils portent en bandoulière des écharpes aux couleurs du Rwanda : bleu, vert, jaune.

Une minute de silence est d'abord observée en hommage "à nos frères, soeurs et parents victimes du génocide". Puis un premier accusé émerge de la foule et se présente devant les "hommes intègres". C'est un ancien prisonnier, en liberté conditionnelle depuis deux mois. Il tourne vers l'assemblée son regard tourmenté et reste là, debout, entre les juges et la petite foule sagement réunie. "A tous, je demande pardon, commence-t-il. Je vais vous dire ce que j'ai fait."

C'était ici même, à l'endroit précis où se tient la gacaca. "L'attaque" avait commencé, ordonnée par on ne sait qui. Des Tutsis tentaient de s'échapper. L'accusé ne s'encombre pas de mots : "Il y avait une maman qui s'enfuyait. Alors on est tous allés vers elle et on lui a coupé la tête."

Murmure dans l'assemblée. L'accusé reprend, impassible : "Il y avait aussi un bébé mort. Je me suis approché pour le voir mais ce n'est pas moi qui l'ai tué. Voilà tout ce que j'ai fait."

Un doigt se lève dans la foule silencieuse. L'un des "hommes intègres" lui donne la parole. "Tu n'es pas clair. L'enfant mort, tu ne l'as pas achevé ? Et la maman, c'est toi qui l'as tuée ?

— Je n'ai pas tué l'enfant. Pour ce qui est de la maman, je lui ai donné un coup de machette sur le cou. Mais c'est un autre qui a fini de lui couper la tête.

— Houh ! murmure l'assemblée, aussitôt interrompue par un "homme intègre" :

— Ne le huez pas, ordonne celui-ci. Nous notons toutes ses paroles. S'il se contredit, ce sera dans son dossier.

— Vous laissez les tueurs en liberté, s'indigne une femme à voix haute. Ce n'est pas une justice !

— Tu te promènes toujours avec ta machette ? ironise un autre.

— Non, répond l'accusé, inquiet.

— Quelles armes avais-tu avec toi ?

— Une machette et un marteau.

— Tu n'es pas clair. Tu es connu ici. Beaucoup de gens t'ont vu avec ta machette pleine de sang frais. Tu n'as pas pu tuer seulement cette maman. Dis-nous combien de Tutsis tu as tués, et qui.

— Je vous dis que j'ai pourchassé, tué, pillé. D'ailleurs, l'un des tueurs qui m'accompagnaient est ici, dans l'assemblée." Le tueur désigné se montre ouvertement au public, dans le silence. "C'est bon, tu viendras témoigner plus tard", lui dit l'"homme intègre".)

"Tu ne dis pas la vérité ! lance à l'accusé un autre homme dans la foule.

— Si j'oublie des choses, répond celui-ci d'un ton monocorde, vous pouvez me le dire."

L'accusé signe sa déposition et regagne les rangs, dans la foule mélangée des rescapés et des bourreaux. Aucune présence policière. Personne n'a l'idée de le lyncher ni même de l'interpeller. Il sera jugé plus tard, lors d'une prochaine gacaca, lorsque la phase dite de "collecte d'informations" sera achevée.

Ce dimanche, d'autres accusés viennent se présenter. La nuit tombe. Peu à peu, l'assemblée perd de sa densité. Par petits groupes, les habitants de la commune se dispersent pour regagner leur maison. Leur tranquillité est inouïe.

La gacaca, en apparence, est un exemple de civilisation avancée : pas de vengeance ni de rage, mais une parole calme en guise de catharsis. L'écrivain Jean Hatzfeld s'est interrogé sans fin sur la résignation des victimes comme sur l'impassibilité des tueurs, "leur déconnexion du monde qu'ils ont ensanglanté".

Formellement, la politique de "réconciliation nationale" imposée par le régime autoritaire rwandais a bien refermé le couvercle. L'ethnie n'est plus mentionnée sur la carte d'identité. Les mots "hutu" et "tutsi" sont même bannis du vocabulaire. A leur sortie de prison, les anciens tueurs retournent dans leur village comme si de rien n'était, cultivant les champs et se rendant à l'église avec les rescapés, dont ils ont parfois décimé une partie de la famille.

C'est compter sans les erreurs judiciaires que les "hommes intègres", juges non professionnels, n'ont pas les moyens d'éviter. C'est compter sans cette tradition rwandaise de soumission et d'obéissance qui laisse la population à la merci d'un nouveau caprice idéologique de ses gouvernants. C'est compter, enfin, sans ce très vieux dicton rwandais : "Je sais que tu me hais, mais je ne te le dis pas. Tu sais que je le sais, mais tu ne me le dis pas."

Les rescapés se résignent. "Quand on a violé ta mère et découpé ton frère sous tes yeux, dit l'un d'eux, il n'y a pas de pardon possible. La haine est là. Et, pourtant, il faut bien vivre ensemble. Que pouvons-nous faire d'autre ? Nous sommes fatigués. Il faut en finir."

Tous se savent unis par ce destin : condamnés à vivre ensemble dans les limites étroites d'un pays de 8 millions d'habitants et de 26 338 kilomètres carrés, où les Tutsis et les Hutus, majoritairement catholiques, sont aussi humainement liés que géographiquement imbriqués. Où des rescapés sont encore menacés, parfois assassinés par d'anciens prisonniers revenus sur leur colline. Combien de générations faudra-t-il pour effacer la haine, la peur et la possibilité que tout recommence ?

Marion Van Renterghem
Article paru dans l'édition du 07.12.05
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