Source : http://www.lesamisdugrigri.com/journal/no42/no42pg11.html
Livre
Un négrier très "innocent"
Voilà un ouvrage fort intéressant. Admirablement préfacé par le
révisionniste notoire Olivier Pétré-Grenouilleau, qui n'en manque
décidément jamais une pour professer d'abominables contres-vérités
sur l'esclavage. D'accord, on n'apprend rien d'autre que les clichés
racistes habituels et qui malheureusement persistent jusqu'à nos
jours. Mais au moins, on a l'occasion de rentrer dans la tête d'un
acteur de la traite.
On découvre un monstre froid qui passe de la météo à la traite
des "Nègres", comme on parle de la pluie et du beau temps. Le tout
dans un style littéraire assez soutenu. Mais quel crédit accorder à
un document qui décrit la déportation des Nègres comme un club Med
où "le sort [des esclaves] serait infiniment plus heureux que celui
qu'ils avaient chez eux" ? L'historien honnête trouvera beaucoup de
contre-vérités qu'il n'aura aucun mal à réfuter. À condition de
prendre la peine de confronter ce Journal à d'autres documents du
même type ! On aura du mal à imaginer le négrier Plasse faisant
voyager ses captifs sans fers, comme il l'écrit, qu'il les fasse
bien manger et s'amuser comme des fous après avoir fumé la pipe.
Pour comprendre la supercherie, il faut se référer à d'autres
sources et découvrir que le taux de mortalité sur l'Espérance (18,47
%) dépassa largement la moyenne de l'époque (11,2%). Pour se
dédouaner de ce manque à gagner aux yeux de l'armateur, Jean-Pierre
Plasse a bidonné la réalité. Tout au long du récit, il ne ménagera
aucun effort pour "soigner" l'image des Africains "fripons, ivrognes
et cruels". Ce qui ressemble plus vraisemblablement à une révolte
d'esclaves est présentée comme de la piraterie. Il consacre, en
effet, un long développement à sa vengeance contre des Africains qui
avaient tué une partie de l'équipage de deux chaloupes, appartenant
à un précédent négrier hollandais, et maintenu en esclaves les
rescapés.
Or, grâce aux indications de Joseph Inikori, qui s'appuie sur
la "Lloyd's List" de la célèbre compagnie d'assurances, on apprend
que 17,7% de navires négriers perdus l'ont été suite à des
insurrections dues, soit aux révoltes sur le navire, soit à l'aide
de Noirs libres sur les rivages du port de départ. On ne peut pas
nier que des négriers comme Plasse aient bénéficié de la complicité
active d'intermédiaires africains. Mais affirmer que "les vrais
maîtres de l'échange sont les Africains eux-mêmes" relève au mieux
d'une "myopie historique" ; au pire, de négationnisme doublé de
mauvaise foi raciste.
On l'oublie trop souvent : le coup d'envoi de la traite négrière fut
donné 321 ans avant l'expédition de Plasse, par la capture
d'Africains en Mauritanie par les navigateurs portugais Antao
Gonçalves et Nuno Tristao. Était-ce pour lui apprendre à négocier
avec les chefs locaux qu'Elisabeth Iére d'Angleterre a offert en
1517 un vaisseau armé à l'aventurier Hawkins qui s'était illustré
dans la capture de nombreux hommes sur la côte occidentale
d'Afrique ?
GNIMDÉWA ATAKPAMA