Libération, no. 7011
TERRE, jeudi 27 novembre 2003, p. 11
Population. Des experts soulignent le rôle économique vital des 175 millions d'immigrés.
Mouvement de fonds sur la planète
DE FILIPPIS Vittorio
Originaires d'Afrique, d'Amérique latine, d'Asie, ils partent en quête d'un travail dans les pays industrialisés. Le phénomène est vieux comme le monde, mais il ne cesse de s'accroître. Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), la planète compte aujourd'hui quelque 175 millions de personnes qui résident de manière permanente hors de leur pays natal, soit deux fois plus qu'il y a trente-cinq ans. Bien sûr, au-delà de ces chiffres bruts, il y a la tragédie des immigrés clandestins noyés, asphyxiés dans des camions, des enfants mexicains travaillant en Amérique du Nord, du scandale de passeurs et autres cyniques parrains qui «gèrent» quotidiennement un véritable trafic humain à l'échelle planétaire estimé à plus de 15 milliards de dollars par an (12,5 milliards d'euros)... Mais la semaine dernière, lors de l'assemblée annuelle de l'OIM qui a réuni quelque 102 pays, les experts de l'agence onusienne ont fait le même constat que les années précédentes : «Un changement de discours dans la façon d'appréhender l'immigration est de plus en plus évident.»
Vital. A en croire les experts, «les débats stériles» entre les pays du Sud et ceux du Nord tendent à s'estomper avec le temps. Ainsi, selon Gervais Appave, directeur des politiques migratoires de l'OIM, «les pays riches et les pays en développement reconnaissent de plus en plus le rôle vital que les immigrés jouent dans leur économie. Les pays membres de l'OIM n'en sont plus à débattre pour savoir si l'immigration est une bonne ou une mauvaise chose». A l'origine de ce changement de perception ? Bien sûr, il y a sans doute la peur d'une forte dénatalité qui contraint les pays développés à recentrer les débats sur une vision plus économique et moins sécuritaire que par le passé. «Du moins au sein de l'OIM, même si c'est moins évident lorsqu'il s'agit de décrypter certains discours nationaux», précisent les responsables de l'agence internationale.
En fait, ces derniers estiment que l'explication se trouve plutôt du côté des transferts de fonds financiers des immigrés vers leurs pays d'origine. A l'instar de l'OIM, la plupart de ses pays membres se sont intéressés à tous les transferts des immigrés, ceux qui passent par les banques, la poste ou les établissements spécialisés, mais aussi à ceux qui transitent par des réseaux moins formels, via un commerçant, un ami ou simplement un porteur. Résultat ? Tout le monde est d'accord pour dire que ce sont plus de 200 milliards de dollars (165 milliards d'euros) que «rapatrient» chaque année les 175 millions d'immigrés.
Bénéfique. Le fait nouveau réside donc dans la prise de conscience de ces flux et de leur rôle dans le financement des pays en développement. Même s'ils sont destinés presque exclusivement à la consommation, leur effet sur l'économie locale est bénéfique. «Très souvent, il s'agit des premières ressources de devises des pays en développement», explique Gervais Appave. En moyenne, chaque dollar reçu génère trois autres dollars grâce à un effet multiplicateur. Ainsi, l'argent des émigrés est souvent investi dans la construction, ce qui implique des salaires supplémentaires, et donc de nouvelles dépenses de consommation. L'OIM souligne que ces envois de fonds dépassent désormais les montants de l'investissement étrangers en provenance des pays industrialisés ou encore de l'aide publique au développement. Ceux qui «profitent» le plus de ces transferts sont, par exemple, le Mexique, l'Inde, l'Egypte, le Maroc ou la Tunisie. Mais avec moins de 5 % des transferts, les pays de l'Afrique subsaharienne restent marginalisés.
Dernier constat : la fuite des «cerveaux» du Sud vers le Nord est moins évidente que par le passé. Certes, le Nord attire toujours les personnels qualifiés des pays du Sud. Partout, les pays en développement ou en transition subissent un véritable exode de leurs éléments les mieux formés. «Mais on assiste aussi, et c'est nouveau, à un phénomène de retour de ces migrants. Il y a désormais une cohabitation entre fuite des cerveaux et circulation des cerveaux», conclut l'OIM.
Catégorie : Société et tendances
Sujet(s) uniforme(s) : Politique extérieure et relations internationales; Santé publique et condition physique
Sujets - Libération : Développement économique; Expertise; Immigration; Migration; Mouvement de capitaux; ONU; Pays en développement; Pays industrialisés
Type(s) d'article : ARTICLE
Édition : QUOTIDIEN PREMIERE EDITION
Taille : Moyen, 506 mots