Les investisseurs français perdent des positions au Sénégal
CLAUDE FOUQUET
Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, mise toujours sur l'investissement direct étranger pour dynamiser l'économie de son pays.
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À DAKAR.
A mi-parcours de son septennat, célébré la semaine dernière à Dakar, le président sénégalais, Abdoulaye Wade, ne cache pas ses ambitions en matière économique : faire de son pays le premier pôle d'attraction des investissements privés en Afrique de l'Ouest. L'Apix (Agence nationale chargée de la promotion de l'investissement et des grands travaux) revendique une hausse de 40 % des montants d'investissements agréés en 2003, à 90 millions d'euros.
Dans ce contexte, si la France demeure le premier investisseur (avec 58 % du stock d'investissements), Paris voit ses positions attaquées par « une concurrence de plus en plus agressive des sociétés espagnoles et marocaines », explique Pierre Michaux, le président du Club des investisseurs français au Sénégal (Cifas).
Réformes fiscales
Les investisseurs asiatiques semblent également très actifs. Par contre, en dépit des bonnes relations entre Dakar et Washington, le président Wade est formel : « Il n'y a pas de projets de gros investissements américains dans le pays. »
Face à cet intérêt croissant pour le pays, les investisseurs français apparaissent moins combatifs. La présence française dépend avant tout des sociétés implantées de longue date, à l'image de la Société Générale, qui prévoit d'accroître son réseau d'agences. En revanche, les nouveaux investisseurs sont beaucoup plus rares et ne semblent tentés ni par le taux de croissance affiché (6,5 % en 2003) ni par les réformes fiscales mises en place (réduction de l'impôt sur les sociétés de 35 % à 33 %, création d'une contribution globale unique...).
L'entourage du président sénégalais promet de tout faire pour attirer davantage les investisseurs étrangers, gages de créations d'emplois dans un pays où près des deux tiers de l'activité tiennent au secteur « informel » et où le taux de chômage reste particulièrement élevé. Dakar met aussi en avant les « succes-stories » illustrant le niveau de compétences du Sénégal. A commencer par la société PCCI-Sénégal, une société de call-center qui fait du télémarketing exclusivement pour des sociétés françaises (lire ci-dessous). Mais aussi la Safina, première entreprise de production et d'exportation de fruits et légumes du pays, ou bien encore les Ciments du Sahel.
Nouvel aéroport international
A plus long terme, Dakar mise sur la construction programmée du nouvel aéroport international, à une quarantaine de kilomètres de la capitale. « Une zone industrielle sera aussi créée à proximité, atout que ne propose pas l'actuel aéroport Léopold-Sédar-Senghor », argumente l'entourage du président Wade. L'occasion de se doter, à l'horizon 2007 ou 2008, d'une vitrine à la hauteur des ambitions de Dakar.
L'aéroport actuel est de fait bien loin des standards auxquels peuvent s'attendre les investisseurs dans un pays qui ambitionne de « devenir en Afrique de l'Ouest l'équivalent de ce que représente Dubaï pour la région du Golfe ».
CLAUDE FOUQUET
Doc. : news·20040325·EC·04086277
Libération, no. 7090
ECONOMIE, vendredi 27 février 2004, p. 19
La microfinance investit le continent
3,7 millions d'Africains bénéficient à ce jour de ce système.
LOSSON Christian
Que faire quand les grands flux d'investissement désertent les pays les plus pauvres, à commencer par l'Afrique ? Comment mobiliser des fonds quand l'aide publique au développement plafonne bien loin des promesses ? Comment s'organiser en attendant que l'étau de la baisse des prix de produits de base et des subventions agricoles des pays riches (lire ci-contre) se desserre un peu ? La microfinance, à savoir des services financiers aux services des plus démunis (microcrédit, micro-épargne, micro-assurance, etc.), trace une voie de plus en plus empruntée. «La microfinance n'est plus une petite niche pour quelques chanceux, explique Elisabeth Littlefield, du CGAP, organisme chargé de coordonner le travail des agences et des institutions de développement. C'est un nouveau système nerveux central pour les pauvres dans les pays les plus pauvres.» Mark Malloch Brown, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), y voit «la seule bonne idée dans le développement depuis au moins vingt ans. Mais il faut mettre cet idéal romantique en application».
200 dollars. C'est ce qui se passe. Plus de 60 millions de personnes dans le monde bénéficient de la microfinance. «Près de 12 milliards de dollars ont été investis dans le microcrédit par exemple, avec en moyenne des prêts qui s'élèvent à 200 dollars par personne», note Jean-Michel Severino, directeur de l'Agence française pour le développement (AFD). «C'est un levier, soufflait récemment James Wolfensohn, président de la Banque mondiale. Mais il faut encore multiplier les cadres institutionnels (banques, coopératives) pour relayer cela.» De fait, plus de 50 pays ont un cadre législatif encourageant la microfinance. Dans le monde, il existerait 10 000 organismes qui se penchent sur l'accès aux services financiers pour les plus pauvres. Reste que, comme le résume l'Indien Vijay Mahajan, à la tête d'une grosse institution de microfinance (Basixindia, 9 533 villages, 50 millions d'euros investis depuis 1996, 90 % de retour de prêt), «cela ne marche qu'avec les pauvres entrepreneurs, pas avec les plus démunis».
Sécurisation. L'Afrique, dans ce contexte, est-elle condamnée au strapontin du développement ? Pas sûr. Aujourd'hui, la microfinance draine sur le continent beaucoup plus d'habitants que les services financiers des banques «traditionnelles». La Banque centrale d'Afrique de l'Ouest estime ainsi que, en septembre 2003, 3,4 millions de personnes exclues du système bancaire classique bénéficiaient de services de microfinance. Un taux de pénétration de 27 % ! Pas moins de 671 institutions, qui ont entre 50 et 500 000 clients, prêtent à taux réduits ou collectent l'épargne de petits paysans et petits commerçants. «Cela permet une sécurisation de populations modestes ainsi qu'un développement de leurs activités économiques, assure Anne Clerc, de l'AFD. C'est une vraie chance pour l'Afrique.» A défaut d'être une panacée.