La « Traite » est encore là, inscrite dans notre sang qui ne cesse de couler. Là, sous nos yeux. Et s’il y’a un jugement devant l’Histoire1, ce ne sont pas les auxiliaires de l’Abjection qui seront les principaux accusés, mais ceux qui se sont patiemment dotés, matériellement et idéologiquement, des instruments (nous compris) qui ont rendu possible ce « méga-crime ».
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Mais nos tortionnaires exigent de nous, un transfert de culpabilité. Eux, qui mettent 50 ans à juger leurs collabos (quand ils les jugent), les oublient, les font assassiner ou les escamotent dans leurs livres d’histoire qu’ils font lire à nos enfants. Eux, les vrais coupables, qui ont formaté une idéologie risible, si elle n’était si meurtrière, osent nous parler de « culpabilité partagée », « d’entre eux », « d’entre nous » ! De qui se moque t-on ?
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Pourquoi sommes-nous incapables de retrouver notre unité, pour nous redresser « entre nous », ressusciter « entre nous », pour que la Lumière Flamboyante de notre Kémité illumine à la fois nous-mêmes et le monde qui nous a négrifié ? Pourquoi le « entre nous » ne devient-il lisible que lorsqu’il s’agit de nous tromper mutuellement sur la force vivante en nous, de ne la considérer que comme négative, auto-destructrice et non viable ?
*** Si loin, le « pays des morts et des blancs », là où la lumière avale nos vigueurs par dessus bord et trains d’atterrissage étouffants.
Parmi nous, ils sont, eux, les envahisseurs venus d’une autre planète car le cauchemar a déjà commencé.
Et il continue.
Ancêtres communs
« Entre eux », c’est la bêtise que nous avons intégrée. Entre nous, bien sûr.
Combien « d’Antillais » ou « d’Américains » estiment que les Africains les ont « vendus » ? Ce qui reviendrait à conjecturer qu’il existait, préalablement à toute déportation, un peuple originel « antillais » ou « américain » au sein d’une population d’autochtones africains, qui les aurait jalousés au point de les aliéner à des « civilisés » suffisamment régressifs pour acheter des êtres humains. Foutaises, vous en conviendrez.
Ceux qui sont partis, contraints et forcés, ce sont nos ancêtres communs. Partis là-bas, vers le « séjour des morts », en attendant la Résurrection. Nous ne sommes pas plus devenus « français » ou « américains », sauf les jours de conflits mondiaux et de jeux olympiques. Nous avons survécu en croyant les mensonges blancs et sémites pour essayer de faire oublier notre présence d’ombre. Peine perdue, nous le savons à présent.
Mais certains continuent de penser que le Nègre est un loup pour le Nègre et rien d’autre. Ceux qui disent qu’il faut prendre du « recul », que « tout le monde est raciste », que les victimes sont aussi coupables que les bourreaux, que les choses ne sont pas si tranchées.
Combien d’Africains croient qu’ils n’ont jamais été victimes des « razzias négrières » ?
Aveugles et ignorants, traumatisés, ont-ils jamais vu (de leurs propres yeux, vu) une preuve de ce qu’ils croient ?
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Et pourquoi blâmer le Nègre d’avoir, sous l’oppression, « donné » un autre Nègre ? N’est-ce pas humain ? Pourquoi cette absence de fraternité « entre nous », même pour ces faits fâcheux de notre illustre histoire (oui, fameuse, car nous sommes un peuple, plus vieux et plus grand que nos cinq siècles d’esclavage et succédanés), alors que nous sommes prêts à pardonner sans réserve à nos bourreaux d’hier et d’aujourd’hui, entérinant par là même, la pérennité de nos esclavages mental et physique (voir le cas de la « commission vérité et réconciliation » en Afrique du sud qui laisse en liberté le Eichmann de l’apartheid, Wouter Basson, qui se la coule douce dans l’Azanie prétendument multiraciale) ?
Pour comprendre, sans drame existentiel, comment un Nègre peut avoir « vendu » (ou peut vendre) un autre Nègre, il suffit de se reporter aux pages les moins glorieuses de tout peuple humain. Comment se vendent-ils, eux aussi, « entre eux » ?
Entre nous
Le Nègre ne hait pas le Nègre. Face à l’oppression raciale (militaire, culturelle et économique), le Kémite s’est caché du Kémite, oubliant l’immense Puissance que nous sommes. Aujourd’hui il n’est plus temps de se cacher, de se « voiler la face ». Pour nous, il s’agit de défaire les différents liens physiques et mentaux qu’elle nous impose pour nous ré-approprier le monde.
Le choix est le suivant, maintenant, comme hier : collaborer ou résister. Se mépriser ou s’illuminer.
C’est l’heure où Amon-Râ (Aton) lève sa Face Eclatante sur ses enfants.
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Nous sommes-nous vendus « entre nous » ? Non, absolument non !
Pourquoi continuons-nous à nous dissimuler dans les plis du « métissage » ou de « l’intégration/assimilation », alors qu’il nous faudrait sortir de la blanche obscurité pour aller vers la lumière, maintenant et demain ?
Recommander la mémoire pour avancer et non pas l’oubli, « l’amnésie pornographique », pour demeurer ce nègre dont on rit ?
Pour être avec tous, ne faut-il pas d’abord être « entre nous » ?
Pouvoir
Toutes les armes, y compris les leurs, celles qui nous ont fait défaut par le passé, à l’aube du mensonge du « entre eux », sont là, à notre disposition. Je dis bien, toutes : je ne recommande ni le terrorisme, ni la « voyoucratie » de basse banlieue armée de lance-roquettes, mais l’intelligence de notre auto-défense. Les Noirs doivent réapprendre à redevenir une puissance intellectuelle autant que guerrière.
Il ne nous manque plus que le courage. « Entre nous », bien entendu.
Et le plus vite sera le mieux : des évènements récents le commandent d’une manière urgente et sans concessions.
C.K
Bibliographie sommaire sur les razzias négrières
Bwemba Bong : « Quand l’Africain était l’or noir de l’Europe », tome 1, Menaibuc, 2005 (à paraître).
Omotunde Jean Philippe : « La traite négrière européenne : vérités et mensonges », Menaibuc, 2004.
Taubira-Delannon Christiane : « L’esclavage raconté à ma fille », Bibliophane, Daniel Radford, 2002.
Tété Godwin : « La traite et l’esclavage négrier », Dossiers noirs, Agir Ici-survie, L’Harmattan, 1997.
Baba Kaké Ibrahima : « Combats pour l’histoire africaine », Présence africaine, 1982.
Fassassi Assani : « Le péché du Pape contre l’Afrique », Al Qalam éditions, 2002.
Gordon Murray : « L’esclavage dans le monde arabe », Robert Laffont, 1987.