Dieudonné, décodeur du " Code Noir "
Ni pro ni anti-arabe, ni pro ni anti-juif, ni pro ni anticatho. Il
est pro Tiers-monde. Tout bêtement. Dieudonné fait partie de d'une
génération qu'on a du mal à nommer. Une génération métisse : beurs,
blancs, feujs, noirs, jaunes, une nouvelle population française qui
se bat pour la liberté de penser, et qui se refuse à entrer dans les
cases pré fabriquées de cette république qui n'est "une et
indivisible" qu'en théorie. En cette génération, Dieudonné a
grandement confiance, comprend cette rage de se défendre contre les
stéréotypes et pense qu'elle peut sauver les vraies valeurs de la
république.
Quand, dans "Mes excuses", son dernier spectacle, Dieudonné parle de
ses origines africaines, on comprend d'où il vient. Il en parle
vite. A la fin du spectacle il interprète un de ses personnages qui
rentre "au pays" après quelques déceptions. Il fait la rencontre
d'un ancien qui lui rappelle ce que fut l'esclavagisme, le
colonialisme, lui raconte l'histoire d'un homme, attaqué par
l'invasion "blanche" accaparant tout un village, tuant les rebelles,
coursant les insoumis dans la brousse. Touché par une balle, cet
homme continue de courir avec une jambe qui ne veut plus le suivre.
Jambe qui saigne, jambe qui lâche le sang, sang qui s'échappe de la
jambe, sang qui tente de fuir ce corps victime de sa couleur,
apparence qui se sauve de l'image de la destruction d'un peuple.
Etre tourmenté, Dieudonné est à l'image du personnage qu'il
interprète : un homme qui fouille au plus profond de lui-même pour
trouver une once de paix et de sérénité, l'espoir d'un monde
meilleur.
Né en février 1966, d'une mère bretonne et d'un père camerounais, il
passe son enfance en banlieue parisienne où il sera " incarcéré dans
différents établissements scolaires jusqu'au baccalauréat ". Quand
il découvre l'art, c'est une vraie bouffée d'air, une fenêtre qui
s'ouvre sur un autre monde. Son père est expert-comptable. Sa mère,
sociologue, intellectuelle, lui apprend la grande littérature, lui
transmet tout ce savoir qui le fascine. Comme un destin, l'écriture
le happe, l'attire, une évidence.
Rapidement, l'humoriste Elie Seimoun capte, saisit, aime le travail
de Dieudonné. En 1996, ils font leur premier spectacle qui aura pour
titre, "Elie et Dieudonné en garde-à-vue". Puis Dieudonné fait
l'acteur au cinéma et ne lâche plus la plume, écrit, crée,
interprète ses personnages, se met en scène. Son premier spectacle
se nommera "Dieudonné Tout seul".
C'est à ce moment-là qu'on le découvre vraiment, qu'on l'apprécie.
Le petit monde du cinéma, de plus en plus sensible à son talent le
sollicite et le mène à la notoriété.
Par le succès de son spectacle "le divorce de Patrick", joué à
Olympia pendant cinq soirs, Dieudonné reçoit " le grand prix de
l'humour noir" 2003.
Dans sa quête de repères il traque le passé, son passé. Celui,
aussi, du "Code Noir", un recueil de lois qui a réellement existé,
et qui institutionnalisait le caractère de "sous-homme" attribué
sous Louis XIV aux Noirs. C'est en souvenir de ce code-là que
Dieudonné a pris la décision d'en faire un film, "qu'avec des
Noirs", comme il dit. Dans l'émission, "On ne peut pas plaire à tout
le monde" sur France 2, quand Dieudonné joue un personnage qui fait
un salut nazi dans le cadre de son sketch, il ne prend pas
conscience tout de suite que son humour ne va pas passer auprès
d'une catégorie de gens, et n'en mesura pas les proportions que cela
prendra par la suite. Mal perçu, vu comme une provocation raciste,
son geste va provoquer une grosse polémique. On l'attaque en
justice. Dieudonné ne comprend plus rien, on le traite de raciste
alors qu'il a toujours été victime du racisme. Dès ce moment-là, il
tente de comprendre dans quoi il est embarqué et crée en 2004 " Mes
excuses ". Un spectacle en relation avec cette expérience. L'avis
sur son nouveau spectacle est très partagé et suscite un réel
engouement populaire. Il se fait jeter de l'Olympia, attaquer par un
groupe d'extrémistes. Depuis le 21 Avril, il fait salle comble au
théâtre de "la Main d'Or" : le bouche-à-oreille fonctionne, les gens
veulent voir par eux-mêmes, avoir leur propre opinion.
Depuis le début de sa carrière, il a souvent parlé de la religion et
de ses origines. Mais actuellement, les proportions que ça prend
l'ennuient, l'inquiètent. D'ailleurs il va se faire débaptiser, "
pour s'en sortir " par rapport à son éducation catholique.
Profondément athée, humaniste, utopiste, pour lui, l'humour, c'est
de la philosophie. Il ne se sent pas responsable de cette catégorie
d'hommes assez fous pour faire la guerre, se sent avant tout,
citoyen du monde, en avance sur son époque, citoyen du monde qui
subit la folie des communautaristes, des nationalistes, des
sionistes, des islamistes. En ce moment, ce repli communautaire,
cette régression, ce retour à l'ordre moral l'exaspèrent. Son
procès, Dieudonné l'a gagné. Ça l'a rassuré, l'impression d'être
respecté, compris. Il se sent soutenu quand les gens du métier sont
là. Ses projets, faire le Zénith le 28 décembre et réaliser son
film. L'histoire d'un nègre castré… Premier film français sur le
sujet. Le titre ? "Le code Noir", évidemment !
Nora Hamdi
http://www.lesamisdugrigri.com/index01.html