Savoir répondre Manon Cornellier
Édition du mercredi 18 février 2009
Mots clés : Politique étrangère, Stephen Harper, Barack Obama, Gouvernement, États-Unis (pays), Canada (Pays)
C'est un président américain aux idées claires en matière de politique
étrangère qui se présentera à Ottawa demain pour une courte visite de
travail de quelques heures. Un président qui a démontré qu'il
s'agissait pour lui d'une véritable priorité.
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À preuve, Barack Obama n'hésite pas à confier ce dossier à de
gros canons. Il a choisi Hillary Clinton comme secrétaire d'État, une
femme qu'un grand nombre d'Américains auraient choisie comme
présidente. À la conférence sur la sécurité à Munich (où les
conservateurs étaient représentés pour la première fois en la personne
du ministre de la Défense, Peter MacKay, plutôt qu'en celle du ministre
des Affaires étrangères), il a dépêché le vice-président Joe Biden pour
transmettre son message de coopération aux pays présents.
L'administration Obama a fait savoir à maintes reprises qu'elle ne
s'en remettrait pas qu'à la force militaire. La diplomatie va reprendre
ses droits, aux côtés des outils économiques, politiques, juridiques et
culturels, de dire Hillary Clinton. La «puissance intelligente» (smart
power) est le nouveau mot d'ordre.
Mais la promesse d'une présence américaine plus dynamique dans les
institutions multilatérales s'accompagne d'une condition. «L'Amérique
en fera plus. Voilà la bonne nouvelle, a dit Joe Biden la semaine
dernière. La mauvaise nouvelle, cependant, est que l'Amérique demandera
à ses partenaires d'en faire davantage.»
Que répondra le Canada? Impossible de le dire. Stephen Harper doit
faire face au nouveau président sans bénéficier d'une politique
étrangère clairement articulée. Il était d'ailleurs frappant, la
semaine dernière, d'entendre à Ottawa les anciens premiers ministres
Paul Martin et Joe Clark parler de politique étrangère avec profondeur
et cohérence alors qu'on attend toujours l'équivalent de la part du
gouvernement actuel.
***
Au cours des trois dernières années, Stephen Harper a donné la
priorité aux forces armées, qui avaient besoin d'être remises sur pied,
mais il a tout misé sur elles. L'aide au développement a à peine
augmenté et la diplomatie a été émasculée.
Joe Clark l'a relevé. Selon ses calculs basés sur les budgets des
dépenses du gouvernement fédéral, les Affaires étrangères ont vu leur
budget baisser de près de 18 % entre 2007-08 et 2008-09. La Défense a
eu droit à une hausse de 8,4 %. «Cela est simplement pervers au moment
où la diplomatie devient plus importante que jamais», et la négliger
aura un prix, a prédit l'ancien premier ministre. Selon lui,
l'influence du Canada sur la scène internationale a toujours découlé
avant tout de la qualité de son activité diplomatique et non pas de son
poids militaire ou économique.
L'absence de politique étrangère claire et la méfiance du
gouvernement envers la diplomatie ont effectivement un prix: celui de
ne pas être prêt à répondre aux questions et aux attentes américaines.
Cela est particulièrement évident dans le dossier afghan.
Dans une entrevue accordée à la CBC hier, Obama a dit qu'il était
«absolument convaincu qu'on ne peut résoudre le problème de
l'Afghanistan [...] avec seulement des moyens militaires». La
diplomatie et l'aide au développement devront faire partie d'une
stratégie d'ensemble dont, espère-t-il, M. Harper et lui conviendront
de l'importance.
Il est impossible de déduire de ces propos qu'il demandera au
Canada de poursuivre sa mission de combat au-delà de 2011, mais il est
clair qu'il compte toujours sur la collaboration du Canada en
Afghanistan passé cette date. Stephen Harper et ses ministres disent
que la date de retrait des troupes sera respectée. De toute façon, les
experts militaires le répètent, les soldats canadiens sont au bout de
leur rouleau. Mais qu'en est-il du reste des efforts canadiens? Le
gouvernement Harper n'a jamais discuté publiquement de ses intentions
pour l'après-2011. Or c'est justement ce que les Américains veulent
savoir.
La meilleure façon pour le Canada d'éviter des pressions pour une
nouvelle contribution militaire est de prendre les devants avec une
proposition de son cru. Il doit démontrer qu'il peut aider
l'Afghanistan autrement. Diplomatie et reconstruction (ce qui englobe
la formation de la police, la justice, l'éducation, la santé) sont deux
avenues, mais encore faut-il y avoir réfléchi et avoir un plan cohérent
à suggérer. Et encore faut-il croire à la diplomatie.
Stephen Harper a voulu garder le contrôle de la politique étrangère
en nommant toujours des néophytes à la tête du ministère des Affaires
étrangères. Des Peter MacKay, Maxime Bernier et Lawrence Cannon pour
faire face aux Condoleezza Rice et Hillary Clinton... Seul David
Emerson s'est un peu démarqué, mais pour si peu de temps.
Le Canada a désarmé sa diplomatie et se retrouve aujourd'hui mal
équipé pour offrir des solutions qui lui sont propres. Son image a pâli
dans les cercles diplomatiques. L'ancien ministre Emerson avouait, dans
une entrevue à la chaîne CanWest, s'être d'ailleurs fait demander où
était passé le Canada. Un Canada effacé a moins d'influence quand il
est question de changements climatiques, de réforme des institutions
internationales, de relations avec les puissances émergentes, de crise
au Moyen-Orient et ainsi de suite. Et par sa propre faute il risque
maintenant d'être totalement éclipsé devant un gouvernement américain
qui se veut activiste.
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mcornellier@ledevoir.com
Source:. http://www.ledevoir.com/2009/02/18/234483.html?fe=6166&fp=381431&fr=133528