Mama Obama
encourage son petit-fils
Tanguy Berthemet, envoyé spécial à Kolego (Kenya)
08/02/2008 | Mise à jour : 10:49 |
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«Cela
serait très bien pour lui qu'il soit président. Je prie pour lui. Mais
pour moi cela ne changera rien. J'ai beaucoup vécu avant ça, je vivrai
aussi bien après», confie Sara Hussein Obama.
Crédits photo : AP
Sara
Hussein Obama, 85 ans, coulait des jours tranquilles dans l'ouest du
Kenya. Elle est aujourd'hui une star. La grand-mère paternelle de
Barack Obamaa été prise dans la tourmente médiatique des élections
américaines. Mais elle appréhende aussi les conflits ethniques dans son
pays. Rencontrer Mama Sara n'est
pas compliqué. Sa petite maison au toit de tôle a beau être cachée au
bout d'un chemin terreux du Grand-Ouest Kenyan ; en périphérie de
Nyangoma-Kolego, un village si petit que les cartographes l'ont
oublié : demander où loge la vieille dame, c'est déjà la trouver. À des
kilomètres alentour, chacun indique la direction de la fermette de Sara
Hussein Obama. En quelques mois, la grand-mère de Barack Obama, qui
dispute à Hillary Clinton l'investiture du Parti démocrate pour les
présidentielles américaines, est devenue la star locale. Une célébrité
arrivée au lendemain d'une après-midi d'août 2006, où le petit-fils
prodigue fit son retour dans le berceau de la famille. Les habitants se
souviennent d'un passage en coup de vent, pour inaugurer un laboratoire
de chimie de l'école qui porte désormais son nom. Le «labo» n'est qu'un
simple carré de parpaings avec quelques tubes à essais. Pas plus que le
reste du village, il n'a d'eau ni d'électricité. «Le sénateur Obama a
promis de nous aider» , assure Yuanita Obiero, la directrice. Dans
la foulée, des dizaines de journalistes ont fondu sur le village. «Il a
eu de toutes les nationalités, des Américains, des Anglais, des
Belges», compte la vieille dame bien en chair, dont rien ne semble
devoir ternir la bonne humeur. Pour gérer l'afflux de visiteurs, Saïd
Obama, l'oncle du prétendant à la Maison-Blanche, s'est mué en attaché
de presse bénévole. Mais pas plus sa vigilance que les appels de Barack
Obama «à laisser tranquille le village et sa grand-mère» n'ont endigué
l'enthousiasme : le jour du Supermardi des primaires américaines cette
semaine, Kolego était plein. Mama Sara n'en a cure. Elle se refuse à
comprendre les complexes subtilités des primaires américaines. À
l'heure dite néanmoins, elle a écouté les résultats sur son petit
transistor. Et parlé à ses visiteurs. «Je reçois tout le monde, car il
faut être poli» , dit-elle. À peine les étrangers arrivés, elle
cesse de trier les haricots et trottine pour s'installer dans son
salon. Une poule est promptement expulsée des coussins et une couvée de
poussins délogée de sous la table. La vieille dame n'a eu qu'une
poignée de rencontres avec son illustre descendant. Ses murs sont
néanmoins constellés d'affiches électorales et de photos, dont celle du
jeune Barack, en 1987, lors de son premier séjour kenyan. L'étudiant
voulait se recueillir, au fond du jardin, sur les tombes de son
grand-père et de Barack Hussein, ce père qu'il n'a qu'à peine connu.
«Le père de Barack fut le premier à se rendre aux USA. C'était aussi un
brillant étudiant», explique Mama. De sa voix voilée par 85 années
d'efforts, elle raconte, malgré la malaria qui la taraude, sa vie dans
les champs, le lever matinal, la traite, la culture des haricots et du
maïs, ses huit enfants. La disparition de son mari, la mort de Barack
Hussein dans un accident en 1982. Les visites de Barack junior, comme
celle où il lui présenta sa future épouse. Aujourd'hui que son
petit concourt à la présidence, elle l'encourage, sans rien en
attendre. «Cela serait très bien pour lui qu'il soit président. Je prie
pour lui. Mais pour moi cela ne changera rien. J'ai beaucoup vécu avant
ça, je vivrai aussi bien après», philosophe-t-elle, en attendant un
coup de téléphone. «Il n'en donne pas beaucoup, car il est très occupé
par la campagne», relève-t-elle. Le jour où il donnera de ses
nouvelles, le sénateur devra passer par Saïd. «Barack et moi, on ne se
comprend pas. Il ne parle pas la bonne langue», dit-elle dans un
sourire, en langue luo. Pour l'heure, elle ne sait qu'une chose : que
Barack soit président ou pas, elle ne retournera pas à Washington. «Il
y fait trop froid», dit-elle vivement. Un souvenir visiblement plus
marquant de ses deux séjours aux États-Unis que la poignée de main
échangée avec George W. Bush. Les soucis de Mama Sara sont
ailleurs. Alors que depuis un mois le Kenya vit au rythme des luttes
postélectorales entre les Kikuyus, le groupe du président Kibaki, et
les autres ethnies, notamment les Luos soutenant le principal opposant,
Raila Odinga, elle avoue sa peur pour son pays. «Il y a eu beaucoup de
tueries», dit-elle. Elle refuse de parler plus avant de politique, de
soutenir Raila Odinga ouvertement face aux journalistes. «Après, il le
raconte dans le journal et cela fait des problèmes.» Après des mois
d'entretiens, Mama Sara n'a plus rien d'une novice en politique. Elle
sait le sujet sensible. Elle n'ignore sans doute pas la plaisanterie
qui tourne dans l'Ouest kenyan : les États-Unis auront-ils un président
luo avant le Kenya ? Dans les rues de Kolego, la brillante
destinée de l'enfant du pays suscite des espoirs. Chacun veut se
trouver un lien avec les Obama. Comme Wilson Otieng, un étudiant, ils
sont sûrs que Barack n'oubliera pas ses origines : «Pour la politique
au Kenya, il ne pourra rien faire, car il sera président des
États-Unis, explique-t-il doctement. Mais il nous aidera
économiquement.» En un mot, Wilson, comme tous les jeunes du village,
ne rêve plus que de visa pour l'Amérique. Sur le bord de la route
poudreuse, poussant un vélo chargé d'un invraisemblable tas de bois, le
vieux Yosef Amolo est plus prosaïque. «Si Barack pouvait faire
goudronner la route, cela serait déjà bien. On demandera à Mama Sara.»
http://www.lefigaro.fr/elections-americaines-2008/2008/02/08/01017-20080208ARTFIG00454-mama-obamaencourage-son-petit-fils-.php