Marine Le Pen et Tariq Ramadan débattent sur l’immigration Par Ian Hamel (Journaliste) 11H22 14/01/2008
La
fille du chef du Front national, Marine Le Pen, et l’islamologue suisse
Tariq Ramadan s’affrontent lundi soir à Paris sur le thème très porteur
de l’immigration. Mais que peut-il sortir sérieusement d’un tel débat?
C’est le club privé The Kitson,
réservé à des journalistes et à des professionnels de la communication
et du marketing, qui organise ce soir à Paris ce duel entre ces deux
personnalités controversées.
Impossible d’y assister, les 40 places disponibles ont été prises
d’assaut dès l’annonce de cette confrontation, a priori très
alléchante. A mon extrême droite, Marine Le Pen, numéro deux du FN, et
possible candidate à la future élection présidentielle. Face à elle,
l’inclassable Tariq Ramadan, actuellement enseignant en
Grande-Bretagne. Il est l’un des intellectuels musulmans les plus
connus en Europe. Et surtout le seul à oser vouloir concilier Frères musulmans (confrérie fondée par son grand-père Hassan Al-Banna) et Forum social européen.
Le thème de la soirée est prometteur: l’immigration et, en
particulier, les tests ADN que l’on veut imposer aux nouveaux arrivants
en France. Seulement voilà, si le sujet constitue le fonds de commerce
du Front national, Tariq Ramadan n’est absolument pas un spécialiste
des questions d’immigration.
Mise en scène caricaturaleInterviewée par le site bakchich.info,
Marine Le Pen l’a elle-même reconnu: on n’a jamais entendu Tariq
Ramadan "parler de politique d’immigration". Alors pourquoi s’adresser
à un enseignant suisse, qui n’aspire pas à jouer un rôle politique en
France, et qui ne fréquente surtout pas les banlieues?
Il existe pourtant suffisamment d’excellents experts (musulmans ou
non) des politiques migratoires capables de tailler en pièces les
arguments populistes de la fille de Jean-Marie Le Pen, et de dénoncer
sa manipulation des chiffres.
Ce lundi matin, sur le site Oumma.com, le politologue Vincent Geisser, auteur de "Marianne et Allah", se montre très négatif sur la valeur d’un tel échange:
"Nous sommes en présence d’une mise en scène
caricaturale du débat démocratique, une sorte de combat de coqs, où
l’on oppose le supposé “radical musulman“ (Tariq Ramadan) à la
“radicale national-populiste“ (Marine Le Pen)."
L’intitulé de l’article ("Le beau et la Bête. Pourquoi le FN a-t-il
intérêt à débattre avec Tariq Ramadan?") montre clairement les
préférences de Vincent Geisser.
Le politologue pense aussi que Ramadan risque de heurter la mémoire
des Moujahids algériens et des enfants de Moujahids. Jean-Marie Le Pen
ayant été l’"artisan boucher" de la répression coloniale en Algérie. Et
Marine n’a jamais désavoué les actes de son père.
Face à face Sarkozy-RamadanEn fait, ce débat Marine Le Pen-Tariq Ramadan relève de la même
logique que le face-à-face entre Nicolas Sarkozy et Tariq Ramadan sur
France 2 en novembre 2003 dans l’émission "100 minutes pour convaincre".
Alors que le ministre de l’Intérieur venait de donner naissance au
Conseil français du culte musulman (CFCM), il décidait de ne pas
débattre avec son président, Dalil Boubakeur, de la grande mosquée de
Paris, mais avec le Suisse Tariq Ramadan, présenté comme un
"épouvantail islamiste"...
Nicolas Sarkozy était sorti vainqueur de cette mise en scène
audiovisuelle. Lundi soir, Tariq Ramadan aura également du mal à
envoyer dans les cordes Marine Le Pen. Contrairement à Philippe de
Villiers, obsédé par la lutte contre l’islamisation de sa chère France,
la numéro deux du FN développe un discours très ambigu sur ce sujet.
Pour Marine Le Pen, la problématique est simple: ne pas finir dans
la naphtaline. Depuis l’échec de son père à la présidentielle, les
états d’âme du FN n’intéressent plus grand monde. Pire encore, sur le
thème de l’immigration, l’extrême droite s’est largement fait piquer
son programme par le gouvernement.
Les motivations de Tariq Ramadan sont plus complexes. N’a-t-il pas
beaucoup à perdre dans ce débat, à commencer par le risque de brouiller
encore davantage son image? Mais ne vaut-il pas mieux pour lui que l’on
dise du mal plutôt que de tomber dans l'oubli? Même Bernard-Henri Lévy
et Alain Finkielkraut ne pensent plus à le diaboliser lors de leurs
passages sur les chaînes de télévision.
Déjà, résidant à Londres et n'ayant plus d’activités en Suisse,
Tariq Ramadan s’était précipité en 2007 pour répondre à l’appel au
débat de Christoph Blocher, alors ministre de la Justice et de la
Police et leader de l’Union démocratique du centre (UDC), le parti le
plus à droite de l’échiquier politique helvétique. Sur son site, Ramadan se justifie:
"Je n’ai eu de cesse de répéter que la grande faiblesse
des partis dits de la droite classique ou de gauche était de ne pas
affronter les thèses de l’extrême droite de façon claire et d’être
incapables de délégitimer ses arguments. Le débat critique est
nécessaire, contre Marine le Pen, comme j’ai eu à le faire contre
l’extrême droite suisse en rencontrant et en m’opposant à l’ancien
Conseiller Fédéral Christophe Blocher."
Sponsorisée par les grands crûs du Médoc Pour l’anecdote, l’islamologue avait omis de signaler ce face-à-face
avec Marine Le Pen dans l’agenda de son site Internet. Bakchich.info,
qui a, le premier, révélé l’information, soulignait, peu
charitablement, que la soirée était parrainée par les "Grands crus du
Médoc".
Tariq Ramadan s’est fendu d’un communiqué de presse vengeur, constatant que:
"Le vent de la diabolisation et des mensonges répétés
n’a pas déserté certains esprits retors qui, à défaut d’avoir appris à
écouter, nous prouvent qu’ils peinent à réfléchir."
Lundi soir, quelle stratégie les deux adversaires vont-ils adopter?
Celle de s’entre-déchirer ou préfèreront-ils s’entendre pour casser du
sucre sur le dos de Nicolas Sarkozy?
- débat
- immigration
- Le Pen
- ramadan