Franc-Maçonnerie et Francafrique : Faut-il être frère pour être Président en Afrique Centrale ?
12/08/2005
Bongo, Biya, Sassou Nguesso, Idriss Deby, et tout récemment Bozizé sont de notoriété publique de ces présidents africains qui en nombre croissant sont affiliés à une loge maçonnique française, souvent la Grande Loge Nationale [GLN]. Cette tendance semble aller de pair avec leur longévité pour d’aucuns, le président gabonais étant le doyen des présidents africains, quand au chef d’état camerounais il est aux rênes depuis près d’un quart de siècle …
Bien que la question soit rarement évoquée par les élites africaines comme il se devrait de toutes tendances sociales ou politiques lourdes questionnant l’existence collective, et pour cause, les populations africaines ont enregistré le pli maçonnique des hautes sphères et en débattent à mots plus ou mois couverts. Une presse minoritaire, quelques fora de discussions, des petites gens et citoyens en dehors du microcosme lumineux assimilent désormais à une mafia internationale cette fraternité qui représente, sur son expérience africaine un crime et une forme de protection criminelle au bénéfice des agents pathogènes des sociétés africaines contemporaines. Ce sentiment collectif monte dans les couches sociales intermédiaires, en alimentant la propension à la corruption «puisque ça ne marche que comme cela» et les fantasmes politiques jusqu’à une hostilité avouée à «la secte maçonnique».
L’initiation récente du président Bozizé par son frère aîné Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville a alimenté quelques pages de journaux en Centrafrique et dans l’espace francophone, et désormais même les profanes pourraient avoir les détails de cette «affaire», c’est dire le degré de publicité des recrutements, adhésions et de la présence maçonnique en Afrique noire francophone. Une concurrence vive aurait d’ailleurs à cet égard opposé les voisins et frères maçons Bongo et Sassou Nguesso pour l’affiliation à leurs loges respectives. Le président gabonais, initié à l’origine au Grand Orient de France [GO] serait passé à la GLN, avant de créer sa propre loge en 1975, le Grand Rite Equatorial récemment baptisé Grand Rite Symbolique. Quant au président Sassou, lui aussi issu de la GLN, il a également créé sa propre obédience comme son homologue et beau-fils gabonais. La création d'une loge nationale requiert le parrainage d'une loge à l'étranger, dans le cas des pays d’Afrique noire ex colonies francophones, la tutelle est généralement française... Françafricaine.
En effet la franc-maçonnerie française s’installe en Afrique en 1781 à Saint Louis, elle recrute essentiellement dans les milieux de colons, militaires, fonctionnaires, administrateurs blancs. Impliquée dans le processus de décolonisation, elle va essaimer dans le reste de l’Afrique jusqu’à prendre dans les année 90 une stature quasi officielle de passage obligé pour tous les hommes politiques et élites économiques, sociales, médias des pays d’Afrique noire. L’Afrique centrale en est une illustration parfaite, une espèce de colonie maçonnique.
Le Cameroun, malgré semble t-il la discrétion de son président, cité régulièrement comme franc-maçon est du point de vue de l’élite une Grande loge en lui-même, comptant environ une cinq centaine de frères. «Dans le gouvernement, je ne vois pas un seul ministre RDPC qui ne soit pas maçon», confiait un homme politique camerounais au journal français l’express [12/04/2004]. La tendance à l’initiation des hautes personnalités qui confine à l’embrigadement à intérêts réciproques est tout aussi patente au Congo Brazzaville ou Gabon où on évalue à peu près à 800 le nombre de maçons pour 1 millions d’habitants ! L’existence de loges nationales dirigées par des présidents de république, par ailleurs adeptes de plusieurs cultes traditionnels, renforce le processus de sélection des élites par le tamis maçonnique et le maillage resserré des sociétés.
La question posée par ces réseaux maçonniques offrant des protections internationales et démultipliant le potentiel d’accumulation [détournements astronomiques] individuel des élites africaines est cruciale. Et même si aucune personnalité ni structure citoyenne n’ose l’aborder, elle ne pourra pas indéfiniment être exclue du débat politique. Les affaires ELF, les cotisations faramineuses payées par les dignitaires africains sur deniers publics, la structure réseautique de cette fraternité est un appareil, un système huilé et redoutable de prédation africaine. Il n’y a pas de secteurs stratégiques, privatisation des grandes entreprises d’état, gestion des hydrocarbures, déterritorialisation des capitaux et gestion des fortunes des ploutocraties africaines, nominations, crimes françafricains, trucages des élections… qui échappent à l’influence de la franc-maçonnerie. Ce nom aujourd’hui évoque davantage les obscurantismes et prévarications africaines qu’autre chose, après avoir évoqué le colonialisme dont les avocats féroces, de «l’abolitionniste» Victor Schoelcher à Jules Ferry étaient des maçons convaincus !
Le réseau des réseaux, en connectant les présidences africaines, les élites africaines assujetties à leurs rituels, à leurs hiérarchies, à leur domination symbolique et spirituelle, crée des autoroutes de la prédation et du pillage de l’Afrique. Toujours sous les vernis défraîchis des Lumières, de l’élitisme, de la fraternité, de la tolérance, de l’universel, termes piégés que les moutons des démocratures gobent avec fierté et annônent machinalement, se passant se faisant pour cultivés…
En mettant en relation des systèmes et réseaux internationaux où se retrouvent des experts en prédation, avocats et cadres juristes pour tripatouiller des constitutions, légaliser les pillages des ressources, consultants en communication pour éconduire les masses ou au moins faire circuler entre des mains choisies de colossales commissions et honoraires, la franc-maçonnerie, tout au moins cette partie de la franc-maçonnerie au cœur de la françafrique pose un problème démocratique, un problème de survie économique, un problème fondamental. Des questions similaires sont posées en France sur sa dimension exclusivement affairiste, sur la fin de son rôle idéologique historique, sur ses dérives mafieuses, sur sa culture du secret, meilleur abri pour les criminels en cols blancs.
Au nom de quelle raison supérieure les élites africaines seraient t-elles sélectionnées sur la base de leur appartenance à la franc-maçonnerie ? A partir du moment où la présence de frères dans les sphères du pouvoir est aussi prégnante que révélée au Cameroun, au Gabon, au Congo par exemple, le Tchad, le Togo, le Niger, le Burkina Faso sont tout aussi concernés, elle devient de fait une question publique sur laquelle un minimum de transparence est nécessaire.
La Franc-Maçonnerie contemporaine confirmera probablement le mépris racial que les humanistes européens ont toujours eu pour les Noirs et Africains, qu’il s’agisse de Voltaire plaidant l’inégalité des races, Renan leur hiérarchie, Hegel ne voyant en Afrique qu’un continent en dehors de mouvement historique incapable même de comprendre l’idée de Dieu, qu’il s’agisse de Ferry pontifiant sur le fait que les droits de l’homme n’avaient pas été inventé pour les nègres d’Afrique, et que dire encore de Hugo… Un tel mépris ne gêne pas les hautes sphères africaines qui s’accommodent volontiers de leur humiliation permanente, cela les grandit probablement en indice de fortunes privées indues. Qu’en est-il de la masse des peuples ?
Sources : L’Express, 12/04/04 entre autres articles sur la Franc-Maçonnerie en Afrique
Agni Blé