LE BLOG DE CLAUDE
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25 septembreLettre ouverte à M.Nicolas Sarkozy à propos du général Dumas et
du soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de
l'Homme.
Monsieur le Président de la République,
J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur un compatriote
injustement oublié par la République : le général Alexandre Dumas-Davy de La
Pailleterie, né esclave à Saint-Domingue (aujourd’hui république d’Haïti), héros
de la Révolution, défenseur des droits de l’Homme, père de l’écrivain français
le plus lu dans le monde. En un mot, un Français modèle, mais aussi un modèle
d’intégration.
Le futur général, engagé comme simple cavalier dans les
dragons de la Reine sous le pseudonyme d’Alexandre Dumas, rencontra le 15 août
1789, dans la cour du château de Villers-Cotterêts, à l’endroit même où François
1er, deux cent cinquante ans plus tôt, avait officialisé l’usage de la langue
française, une jeune fille qui devint une épouse exemplaire, puis une veuve
courageuse, attachée à défendre la mémoire de son mari. C’est elle qui, sans
moyens, éleva le second Alexandre Dumas. Ce nom fut en effet repris par le fils
du général. Devenu écrivain, il transposa les exploits de son père dans des
centaines de romans et en particulier dans les Trois Mousquetaires, où à travers
d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis, transparaissent assez clairement les
figures du général et de ses trois compagnons des dragons de la Reine : Carrière
de Beaumont, Piston et Espagne. Que serait l’identité française sans les Trois
Mousquetaires ? Que peut-elle être sans le général Dumas ?
Il fut le premier
Français d’origine afro-antillaise à accéder en 1793 au grade de général dans
l’armée dont vous êtes le chef, Monsieur le Président de la République, et qui
se dit aujourd’hui soucieuse d’ouvrir davantage la carrière d’officier à la
diversité. N’avons-nous pas là un modèle idéal ?
Le général Dumas s’illustra
glorieusement pendant les guerres de la Révolution, créant les chasseurs alpins
alors que le gouvernement l’avait placé à la tête des quarante cinq mille hommes
de l’Armée des Alpes, reprenant le Petit-Saint-Bernard et le Mont-Cenis aux
Austro-Sardes, démissionnant avec honneur de son poste de général en chef de
l’armée de l’Ouest pour ne pas devoir massacrer des civils vendéens, défendant
seul le drapeau tricolore sur le pont de Brixen contre un régiment de cavalerie
autrichien. L’ennemi l’avait surnommé le « diable noir ». Mais pour ses hommes,
c’était un dieu. Pour son ami Bonaparte, c’était l’ « Horatius Coclès du Tyrol
». Dumas accompagna l’armée d’Égypte en 1798 avec le titre de commandant de la
cavalerie d’Orient. Mais une brouille avec Napoléon et une longue captivité en
Italie mirent un terme à cette carrière particulièrement exemplaire. Dumas
scella son sort en refusant d‘accompagner l’armée chargée de rétablir
l’esclavage à Saint-Domingue à la fin de l’année 1801. Il fut rayé des cadres et
mourut sans récompense au début de l’année 1806, miné par le chagrin que lui
causait le fait de n’avoir pas eu l’honneur, comme ses trois compagnons devenus
généraux, de participer à la charge de cavalerie d’Austerlitz.
Voici ce que dit de lui l’écrivain Anatole France : « Le plus
grand des Dumas, c’est le fils de la négresse, c’est le général Alexandre Dumas
de La Pailleterie, le vainqueur du Saint-Bernard et du Mont-Cenis, le héros de
Brixen. Il offrit soixante fois sa vie à la France, fut admiré de Bonaparte et
mourut pauvre. Une pareille existence est un chef-d'oeuvre auquel il n'y a rien
à comparer».
En 1838, l’écrivain Alexandre Dumas avait demandé qu’une statue
de son père fût érigée à Paris, un monument financé notamment grâce à une
souscription faite auprès de tous les « hommes de couleur » du monde entier.
L’écrivain, qui se considérait comme Franco-Haïtien, souhaitait qu’une copie fût
offerte en grande pompe à la République d’Haïti. Il avait même prévu
d’accompagner jusqu’à Port-au-Prince cette statue de son père sur un bateau de
guerre que lui aurait fourni le gouvernement français. Son vœu fut partiellement
exaucé au siècle suivant. À l’occasion du centenaire de la mort du général, une
statue fut en effet érigée sur la place du Général-Catroux, pour figurer aux
côtés de la statue du fils du général et de son petit-fils (l’auteur de La dame
aux Camélias). La place, qui portait le nom de Malesherbes, fut rebaptisée place
des Trois-Dumas. Mais cette statue étant à la gloire d’un «sang-mêlé» l’occupant
nazi, en 1942, jugea bon, dans sa logique raciste, de la faire disparaître.
En 2001, le président Chirac décida de transférer au Panthéon
les cendres de l’écrivain Alexandre Dumas, ce qui fut fait le 30 novembre de
l’année suivante. J’avais profité de l’occasion pour rappeler, à travers un
livre, Alexandre Dumas, le dragon de la Reine, l’importance du général et
l’injustice faite à sa mémoire. M. le Président Poncelet me fit ouvrir les
portes du Sénat pour rendre un hommage officiel au père alors même que le fils
entrait au Panthéon.
Comme vous le savez, l’esclavage a été rétabli dans les
colonies françaises le 20 mai 1802, le lendemain du jour où fut créé l’ordre de
la Légion d’Honneur. Deux cents ans plus tard, alors que la République
s’enorgueillissait du bicentenaire de la Légion d’Honneur (tout en passant
naturellement sous silence le bicentenaire du rétablissement de l’esclavage) il
me semblait légitime que le général Dumas – privé de récompense à cause de ses
origines et de sa couleur de peau - fût enfin honoré à titre posthume en étant
élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’Honneur. Cela supposait
seulement de changer quelques textes et cela ne coûtait rien. J’adressai une
demande dans ce sens à M. Jacques Chirac, votre prédécesseur. Ma démarche se
solda par un refus. Parallèlement, j’alertai les élus parisiens sur la nécessité
de remettre en place la statue abattue par les nazis, dont personne ne se
souciait plus depuis soixante ans. Un vote unanime intervint dans ce sens en
juin 2002 à la demande de M. Philippe Seguin, actuel Premier président de la
Cour des Comptes. M. Christophe Girard, adjoint au maire de Paris chargé de la
Culture, déclara à cette occasion qu’il fallait « réparer une diversion de
l’histoire ». Le conseil de Paris avait bien décidé de remettre la statue en
place, mais aucun crédit n’avait été voté. Le célèbre sculpteur sénégalais
Ousmane Sow, après avoir lu mon ouvrage, avait pourtant préparé un projet et
suggéré un achat de son œuvre par la ville. J’organisai un déjeuner, le 6 juin
2004, pour que l’artiste rencontre madame Pau Langevin, conseillère du maire de
Paris devenue député. Rien ne bougea. L’année suivante, je réussis à convaincre
Christophe Girard de faire voter les crédits nécessaires pour qu’une nouvelle
statue soit érigée, le moule de la précédente étant détruit. La ville de Paris
mit alors en place un concours et Ousmane Sow présenta naturellement son projet
qui, fort curieusement, n’a toujours pas été retenu.
En 2006, la République
française aurait dû rendre un hommage exceptionnel au général Alexandre Dumas
dont c’était le bicentenaire de la mort. Au lieu de cela, et malgré mes
protestations indignées, relayées par une question écrite du sénateur Piras au
ministre de la Culture, ce bicentenaire ne fut même pas mentionné au calendrier
des commémorations nationales !
En 1906, pourtant, la République avait
célébré le héros de Brixen. Heureusement, le département de la Savoie et les
chasseurs alpins sauvèrent l’honneur de la France en organisant, à ma demande,
des manifestations au Petit-Saint-Bernard.
Je m’étonne, Monsieur le Président de la République, d’une
telle amnésie à l’heure où il me semble urgent de rassembler tous les Français
autour de leurs figures emblématiques, sans distinction de couleur, d’origine ou
de religion.
Récemment, un de mes lecteurs de Montceau-les-Mines, ancien
combattant AFN, m’a adressé un courrier touchant qui exprime, j’en suis sûr,
l’opinion de la majorité de nos compatriotes. « Je viens de lire votre ouvrage
et je suis bouleversé, m’écrit cet homme. Le sort réservé au général Dumas et le
peu d’intérêt de la France à la réhabilitation de sa mémoire me choquent
profondément. J’ai lu sur la toile que vous aviez demandé au président Chirac
que le général Dumas soit élevé à titre posthume grand croix de la Légion
d’Honneur, ce que j’approuve sans réserve… Je me permets de suggérer que cette
initiative soit reconduite auprès de l’actuel Président de la République,
Nicolas Sarkozy. La France en sortirait grandie. »
Ce lecteur a parfaitement
raison et sa lettre m’encourage à vous écrire aujourd’hui.
Nous allons bientôt célébrer le soixantième anniversaire de la
déclaration universelle des droits de l’Homme. Les droits de l’Homme, une idée
française. Le général Dumas, opposé à la peine de mort, respectueux des civils
et des prisonniers de guerre, et surnommé de ce fait par certains guillotineurs
de 1793 « Monsieur de l’Humanité » en est l’une des plus glorieuses
illustrations.
C’est pourquoi j’ai l’honneur de vous demander, Monsieur le
Président de la République, de contribuer à rendre au général Dumas la place qui
lui est due dans l’histoire de notre nation et dans la mémoire de nos
compatriotes.
Je propose que, pour ouvrir solennellement l’année du
soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme, la
statue abattue par les nazis soit solennellement remise à sa place dès cet hiver
à Paris, place du général-Catroux, face au consulat d’Haïti, au cours d’une
cérémonie à laquelle serait associée la mairie de Paris et qui serait placée
sous votre haut patronage.
Devant les troupes assemblées – en particulier la
Garde républicaine, dernier régiment de cavalerie de l’armée française et le 13e
bataillon de Chasseurs alpins – en présence des enfants des écoles qui auraient
congé ce jour-là, en présence aussi de tous ceux qui sont attachés à la
diversité et aux droits de l’Homme, le Président de la République, en dévoilant
sa statue, élèverait à titre posthume le général Alexandre Dumas à la dignité de
grand-croix de l’ordre national de la Légion d’Honneur.
Conformément à la
volonté de l’écrivain Alexandre Dumas, fils du général, une copie de la statue
érigée à Paris serait offerte à la République d’Haïti.
Accomplissant la
volonté de l’auteur des Trois Mousquetaires, vous pourriez vous-même, Monsieur
le Président de la République, accompagner cette statue jusqu’à Port-au-Prince
sur le pont d’un de nos bateaux de guerre qui, pour l’occasion, transporterait
aussi des milliers d’exemplaires des œuvres d’Alexandre Dumas afin de les offrir
aux enfants déshérités des bidonvilles. Mon ami René Préval, votre homologue
haïtien, accepterait avec joie, j’en suis certain, cette initiative de
rapprochement. Vous seriez le premier chef de l’État de l’histoire de France à
vous rendre dans l’ancienne colonie où notre pays a déporté un million
d’Africains, une ancienne colonie qui s’est révoltée contre l’esclavage et son
rétablissement, donnant ainsi une portée universelle à la déclaration des droits
de l’Homme de 1789; une ancienne colonie qui est devenue indépendante, mais qui
n’a jamais renoncé, malgré des blessures encore vives, à parler notre langue,
celle d’Alexandre Dumas.