Les accords secrets avec l’Afrique: encore d'époque? Par David Servenay (Rue89) 01H52 26/07/2007
Rue89
dévoile certains aspects d'accords de défense liant la France à
plusieurs pays. Sarkozy va-t-il changer de politique africaine? Ce fut le débat escamoté de la campagne présidentielle:
qu’allait faire le nouvel élu en matière de politique africaine?
L’observateur crut un instant que la candidate du Parti socialiste
allait innover, en publiant son projet pour l’Afrique.
Las, dès la publication de ce texte dans Témoignage Chrétien, Ségolène
Royal prit ses distances avec des propositions jugées trop audacieuses.
Son équipe argua même que le texte publié dans l’hebdomadaire n’avait
jamais reçu l’aval de la candidate! Argument démenti par la rédaction
de l'hebdomadaire.
Quelques jours plus tard, alors qu'elle présentait son projet en
matière de défense, les propositions de réformer les accords de défense
et de soumettre la décision des opérations extérieures de l’armée au
contrôle du Parlement avaient subitement disparu. Jamais, par la suite,
Ségolène Royal n’expliqua cette volte-face aussi rapide que
spectaculaire. Peut-être avait-elle compris qu’il est délicat d’ouvrir
la boîte de Pandore africaine…
Quant à Nicolas Sarkozy, il se montra en la matière d’un
conformisme étonnant pour un candidat censé incarner la rupture. Dans
son discours de campagne sur la politique internationale, pas la moindre proposition de réforme sur la sphère africaine. Il y aurait pourtant matière à innover.
Des accords très secrets Premier constat: la France maintient de nombreux accords de défense avec les pays du pré carré. Ces accords sont classés en différentes catégories,
du simple échange de lettres à l’accord de défense secret, en passant
par les différentes formes de convention technique, d’accord de
coopération ou d’assistance militaire. En 2000, l’Assemblée nationale
se penchait pour la première fois sur cette jungle juridique, aussi
complexe qu’opaque.
Sept pays du "champ" maintenaient alors en vigueur le cadre
juridique défini entre 1959 et 1961: accord spécial de défense avec le
Cameroun, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire (plus une convention
relative au maintien de l’ordre), le Gabon (plus convention maintien de
l’ordre), le Sénégal, le Tchad (convention spéciale de maintien de
l’ordre, secrète) et le Togo (accord de défense, secret).
Que disent ces textes? Essentiellement deux choses: d’abord, il
s’agit, à l’époque des indépendances, de donner les moyens à ces
nouveaux Etats de former une armée capable de résister aux pressions de
la guerre froide. Effectifs, formation et fourniture d’armes: tout est
prévu. L’autre volet, secret, consiste à maintenir le lien de sujétion
entre l’ex-puissance coloniale et ses "amis" africains. Notamment en
matière de "maintien de l’ordre".
Un espion et un juriste Un ancien chef du service Afrique du Sdece, les services secrets
extérieurs, l’a parfaitement résumé dans "Ministre" de l'Afrique
(Seuil), ses mémoires publiées en 2004: "Nos objectifs prioritaires,
explique alors Maurice Robert, étaient par conséquent, d’une part,
d’empêcher l’extension de la subversion et de la pénétration
communistes, en particulier dans les pays d’Afrique noire française
limitrophes de la Guinée: le Mali, le Sénégal et la Côte-d’Ivoire,
d’autre part, de veiller à ce que les Américains n’empiétassent pas,
notamment au plan économique, sur notre zone d’influence."
Pour ce faire, cet excellent ami de Jacques Foccart, le Monsieur
Afrique du général De Gaulle, invente une structure baptisée PLR, Poste
de liaison et de renseignement, présente dans chacune des quatorze
capitales du pré carré. Le PLR est un homme du Sdece, dont le rôle est
à la fois de former les services secrets locaux et de surveiller les
activités du Président local auquel il a accès 24 heures sur 24.
Cet espion est secondé par un autre conseiller occulte, lui aussi
affecté directement auprès du président de la République
"indépendante". Juriste de haut vol, souvent magistrat ou conseiller
d’Etat, sa tâche est, en cas de crise, d’assister techniquement le
pouvoir en matière de réforme constitutionnelle. Au besoin, il fait
évoluer le système administratif pour écraser dans l’œuf toutes
velléités d’opposition politique un peu trop active. Les nombreuses
réformes institutionnelles du Gabon ou du Sénégal, pour prendre deux
exemples fort éloignés, en témoignent. Dans tous les cas, le droit est
au service de la force.
Intervention à volonté Revenons au maintien de l’ordre. Comme tous les observateurs du
monde africain, le général De Gaulle considère que les anciennes
colonies ne sont pas tout à fait mûres pour la démocratie. Le chef de
l’Etat invente donc avec l’équipe Foccart un dispositif d’aide
d’urgence, en cas de menace putschiste intempestive. C’est là
l’essentiel des clauses secrètes des accords de défense: pouvoir, en
toutes circonstances, sauver le Président adoubé par l’Elysée. Ce texte
–fort simple– provient des archives de l’Ecole supérieure de guerre
(ESG), tel qu’il était enseigné aux officiers stagiaires en 1967.
Intitulé "Accords et conventions de maintien de l’ordre dans les Etats Africains et Malgaches", il détaille par le menu le processus d’intervention de l’armée française en cas de menace, intérieure ou extérieure.
Premier point: la France "peut" intervenir, mais n’a aucune
obligation de le faire. C’est à la libre discrétion du président de la
République française, seul décisionnaire sur ce sujet. La demande passe
par l’ambassadeur de France. Deuxième point: c’est le "chef de l’Etat"
africain qui formule sa demande "dans une situation particulièrement
grave". Laquelle situation n’est pas plus détaillée: il n’est pas fait
mention d’agression extérieure ou de menace quelconque. Les termes
restent suffisamment vagues pour justifier toute demande.
Troisième point: le commandement des troupes locales et l’usage du
feu sont immédiatement transférés à l’officier français envoyé sur
place. Ce dernier aspect est loin d’être anecdotique. Il permet de
comprendre la plupart des dérapages ayant lieu en Afrique, du putsch de
février 1964 au Gabon aux tirs aveugles dans la foule ivoirienne en
novembre 2004, en passant par la féroce répression des émeutes de
Port-Gentil (Gabon) en 1990. Ce texte encadre strictement ces
opérations et il est très clair: les commandants français ont toute
latitude pour "rétablir et maintenir l’ordre". Toutefois, il prévoit un
garde-fou avec la référence à "l’autorité civile locale, seule
habilitée à prescrire l’usage des armes".
Texte et gadgets Les politiques français ignorent-ils ces dispositions? A lire
les derniers souvenirs de Pierre Joxe, dans son "Pourquoi Mitterrand?"
(Ed. Philippe Rey), on pourrait le croire. L’ancien ministre de la
Défense et de l’Intérieur raconte une conversation avec le président
Mitterrand qui, en 1988, visiblement feint l’ignorance: "Je lui
'révélai', raconte Joxe, ce que j’avais appris sur les mesures
spéciales organisées par notre détachement de l’armée de l’air, au
Gabon, qui maintenait en veille, sur ordre, un équipage 24 heures sur
24, 365 jours par an, prêt à tout moment à exfiltrer Bongo en cas de
besoin. Je lui évoquai encore quatre ou cinq histoires de ce genre,
feignant de ne pas tout savoir et concluant que nous étions là dans le
même rôle que la CIA en Amérique centrale auprès de tyrans comme
Somoza." En somme, la France aurait joué en Afrique le rôle endossé par
les Etats-Unis en Amérique du Sud… Drôle de comparaison.
Autre disposition –architecturale celle-ci– bâtie au moment des
indépendances. Il existe dans ces capitales un souterrain reliant la
résidence du président de la République ou du Premier ministre à celle
de l’ambassadeur de France. Au cas où, on ne sait jamais… Le Président
ivoirien Laurent Gbagbo eut d’ailleurs, parmi ses mesures de
représailles, le réflexe de boucher ledit souterrain pour manifester
son désaccord avec la politique de Jacques Chirac. En tout cas, l’image
de ce boyau invisible et clandestin résume à lui seul la nature des
liens instaurés entre la France et ses anciennes colonies.
L’impossible réforme, à moins... Est-il envisageable de réformer ce lourd dispositif juridique? Les
débats les plus récents apportent sans aucun doute une réponse
négative, à moins de bouleverser notre système de défense. Ainsi,
lorsqu’il fut entendu par la commission sénatoriale
chargée d’examiner les interventions extérieures de l’armée, le chef
d’Etat-major des armées fut très affirmatif. "Il a précisé que dans
tous les cas, notent les sénateurs relatant les propos d’Henri
Bentegeat, la France conservait la possibilité d'apprécier, en fonction
de la situation, si la demande éventuelle d'un Etat répond bien aux
critères de mise en œuvre de l'accord. Il a estimé que la révision de
ces accords de défense donnerait lieu à des débats complexes et
comporterait sans doute plus d'inconvénients que d'avantages." Plus
d’inconvénients… on aurait aimé savoir lesquels.
Le général Bentegeat avait partiellement répondu à cette interrogation en 2002, lors d’une autre audition devant l’Assemblée nationale
à propos de la situation en Côte-d’Ivoire. "Personne n'imagine
aujourd'hui une application des accords de défense en dehors des
situations ne correspondant pas à une agression extérieure, disait-il,
même si certains accords de défense passés par la France comportent des
clauses secrètes prévoyant des cas d'intervention plus larges." En
somme, au royaume du secret, seuls les initiés sont rois.
Des parlementaires engourdis par le discours des généraux Pourtant, les parlementaires ont à plusieurs reprises manifesté leur
volonté de reprendre la main sur les opérations africaines. Dès 2000,
un rapport de l’Assemblée pointait la nécessité de mieux les contrôler.
Même tonalité en 2006, au Sénat, où les rapporteurs
soulignaient l’urgence à rénover un système de défense obsolète. "Une
révision à terme est certainement souhaitable; elle supposerait
cependant que des relais efficaces aient pu être mis en place pour
assurer des garanties de sécurité régionale, ce qui n'est à l'évidence
pas encore le cas." En somme, si le plat est toujours chaud, personne
n’a envie de jouer les apprentis cuisiniers. L’occasion est pourtant
belle de redorer le blason diplomatique du Parlement. Elle permettrait
aussi de réaffirmer de manière forte la France des "droits de l’homme"
brandie par le Président français, le 6 mai, au soir de son élection.
Nicolas Sarkozy escamotera-t-il ce débat comme il a délaissé le front
de la sécurité intérieure ou reprendra-t-il le flambeau
gaullo-mitterrandien?
- 137 visites
- Envoyer par mail
- 0 vote
- [url=javascript:window.print();]Imprimer[/url]
En
notant les commentaires pour leur pertinence, vous en facilitez la
lecture. Les moins bien notés se replient d'eux-même mais peuvent
s'ouvrir d'un clic. Pour pouvoir noter, merci de
vous inscrire. Dans le cas contraire, vous apparaîtrez comme
Courageux anonyme.
Fermer Le Commentaire
Par Courageux anonyme 05H47 26/07/2007
>questions africaines Parler
des questions africaines c'est mettre le petit doigt dans l'engrenage.
C'est révéler toutes les errances de la politique (pas seulement
africaine d'ailleurs) de droite comme de gauche.
Aucun président de la république n'a eu le courage ou la folie de
modifier les pratiques néo-coloniales de la 5ème république. Faire cela
eu été premièrement admettre que la patrie des droits de l'homme
n'était qu'une façade et que toute l'idéologie française issue de la
révolution de 1789 n'était que balivernes et sornettes. Deuxièmement
c'était perdre au moins pendant la guerre froide le fameux pré carré.
Il faut se souvenir de ces mots prononcés à lassemblée nationale par
M.Sauvagnargues alors ministre des affaires étrangères pendant la
présidence de V. Giscard d'Estaing : "L'Afrique est le seul endroit du
monde où la France peut encore influencer la politique avec ses propres
moyens". Enlever le pré carré la France devenait qu'une puissance
régionale européenne. Elle aurait laissé aux deux seules grandes
puissances USA URSS le destin du monde du moins voulut-elle le faire
croire. Il lui fallait continuer de croire qu'elle n'avait jamais
cessée d'être un grand pays. L'illusion lyrique dissipée le voile
déchirer de la grandeur passée laisse voir un bilan contrasté.
Maintenant la France se trouvera de plus en plus confrontée à un choix
cornélien. Choix qui ne sera pas entre un passé tumultueux peu avouable
et le respect des droits de l'homme mais bel et bien entre charge
financier d'une d'Afrique toujours plus pauvre et corrompue et le
paiement de 2000 milliard de dette.
A n'en pas douter la balance penchera à terme vers une révision des
positions de la France en Afrique. Et cette révision pour déchirante
qu'elle paresse pour quelques uns ne pourra se faire qu'au détriment
des africains. Le bateau France croulant sous les dettes se délestera
du poids devenu trop lourd des pays africains.
D'autres (USA Chine) se croyant plus malins prendront pour un temps
encore la place laissée vide. Le sort des hommes de ce continent
continuera d'être ce qu'il est aujourd'hui. La France forte de sa bonne
conscience s'en relèvera et s'exonèrera de ses responsabilités bien
contente de s'en tirer à si bon compte. Malheur aux pauvres comme aux
vaincus.
HDG
http://www.rue89.com/2007/07/26/les-accords-secrets-avec-l-afrique-encore-depoque