Dangereuse ombre sur le Sénégal : Triste Sopi et urgence existentielle africaine
20/03/2007
Le 25 février 2007 le Sénégal sombrait dans une indicible ombre politique avec la validation d’une farce électorale qui a consacré ce pays jusqu’à lors en phase de démocratisation fragile en corruptocratie pornographique à la «camerounaise». Rien, pas même les plus simples et minimes apparences n’a été fait en sept interminables années de pouvoir autoritaire de l’octogénaire Abdoulaye Wade, pour donner l’impression de mimer un Etat, une institution publique aux règles d’allocations impersonnelles, fonctionnant autrement que dans l’intérêt démentiellement vorace de quelques initiés des clans présidentiels ouverts sur une partie importante de l’élite du pays. Opposition comprise. Un coup de froid, une chape de plomb d’obscurantisme qui n’augure pas d’une capacité de régénération du politique et de la société entière.
Le régime de M. Wade issu des urnes en 2000 avait capitalisé sur les attentes populaires très fortes de changement qu’une saturation du pouvoir senghoro-dioufien avait poussé à l’extrême. Le ronron politique face aux dépeçages sociaux méthodiques des ajustements structurels ultralibéraux inaugurés dans ce pays en 1979, l’organisation et l’incrustation d’oligarchies s’enrichissant sur la paupérisation des plus nombreux, articulés aux rentes classiques des Etats postcoloniaux, le chômage massif des jeunes surnuméraires traditionnels dans les sociétés de prédation globale archétypales d’Afrique, le renouvellement des générations démographiques n’ayant rien à perdre, toutes ces dynamiques avaient donné la victoire à celui qui annonçait le changement, le Sopi.
Sept ans après, le Sopi a montré son unique et vrai visage et transformé le Sénégal politique en un véritable monstre. Jamais autant la société sénégalaise n’avait été convaincue, avec aveux publics à l’appui de la débauche kleptocratique régnant au sommet de l’Etat. Les accusations de vols à coups de milliards n’ont cessé d’être convoyées entre personnalités politiques dont peu plaident sérieusement à défaut de leur innocence, leur éthique politique. Et pourtant les élections formelles, quoique grossièrement manipulées -reports, incertitudes, non distribution des cartes d’électeurs, …-, avec une centrale d’achat Sopi pour les voix de tous les segments de la société, ont donné avantage aux deux protagonistes qui se sont le plus illustrés dans les prévarications, les corruptions, les pillages à grande échelle du pays. Peut-on faire plus triste lorsque l’on sait qu’une partie de ces prévarications n’a pas été contestée par les intéressés, le président Wade disant officiellement aux journalistes surpris de la multiplication des per diem à la presse qui couvrait la campagne électorale, qu’il ne donnerait pas le montant de son budget, et que les journalistes pouvaient aller l’écrire «en rouge» !
La seule leçon des élections 2007 au Sénégal c’est la transformation officielle de la chose politique sénégalaise en une vaste et énorme salle de marché, avec la complicité des élites achetées, magistrats, députés, armée, enseignants, marabouts, … Et du peuple qui ne souhaitait pas être en reste de ces indécentes foires alimentaires. Les augmentations de salaires et de traitements, les avantages en nature, voitures, sièges à l’Assemblée, l’invention de strapontins -résurrection d’un Sénat aboli constitutionnellement- tout a été fait, bien fait pour tuer l’éthique politique et transformer les Africains du Sénégal en actions électorales cessibles, échangeables. Une sépulture de la morale politique qui à l’usage sera très difficilement réversible, préparant à une lente mais certaine déprise du sentiment de l’existence de l’Etat en dehors des considérations marchandes.
L’ONG sénégalaise Aide Transparence a évalué les détournements de deniers publics à un minimum de 2 477 milliards de francs CFA entre 2000 et 2007 ! à partir des sources de presse [Walfadjiri, Sud Quotidien, Le Quotidien], sources secondaires mais indicatives d'une démesure dans la destruction des futurs. Soit 1,5 fois le budget 2007 de l’Etat en sept ans, selon ces accusations. Une accélération astronomique des pillages et leur extension à toujours plus de secteurs d’activité. Aux premiers rangs de ces siphonages criminels et imbroglios la gestion directe de la présidence de la république, ses chantiers et projets et les sociétés nationales. M Abdoulaye Wade et son ex-premier ministre Idrissa Seck sont pointés du doigt par l’ONG, il s’agit pourtant des deux vainqueurs de l’élection présidentielle de 2007 dont l’opposition ne contestait pas vraiment la victoire, mais son caractère prématuré au premier tour …
La gravité de la situation, peu commentée par les médias françafricains et la presse internationale prompte à donner des leçons au Zimbabwe au ailleurs, emporte également une opposition qui s’est laissée acheter, elle aussi, et qui de plus ne pouvait reprocher au régime Wade que d’avoir extrapolé ses propres turpitudes et corruptions lorsqu’elle était aux affaires. Le casse du siècle se produit donc avec victoire électorale, paradoxalement une victoire qui a laissé de marbre le peuple qui a voté même dans des conditions douteuses, pour le régime kleptocratique désormais intronisé comme tel. Il faut dire que le politique sénégalais devait s'ennuyer de ses deniers sans solution pour devoir distribuer la manne à tous potentiels votants qu’il croisait. Les départs clandestins à bord d’embarcations de fortunes vers l’Europe avec les conséquences tragiques que l’on sait n’auraient pas pu être endigués par des programmes de relance ou de soutien économique de l’emploi par exemple.
L’urgence politique qui pend au nez des Africains rencontre des peuples tellement en-corrompu par la misère, les manoeuvres politiciennes, les instrumentalisations religieuses, claniques, ethnistes, que le politique, pouvoir de dépenser et d’acheter, et les oppositions estampillées, ont perdu totalement la vision du réel. Une nouvelle génération de pensée et d’esprit doit nécessairement réinventer le politique et contester radicalement les pratiques mortifères qui se sédimentent en Afrique avec le soutien voire le bras actif d’un Occident qui mise sur l’abâtardissement total des Dominés pour éterniser sa main basse sur les ressources naturelles utiles à son hégémonie. Ce n’est pas un hasard si les aides, appuis, soutiens ont été donné jusqu’à la dernière minute au régime Wade en provenance des pays industrialisés pour faciliter sa confiscation des attributs du pouvoir de ne rien changer sinon corrompre et rompre avec l’avenir…
En mars 2007 le président élu du Bénin a essuyé des tirs d’assaillants armés alors qu’il était en tournée dans l’intérieur du pays. Le Bénin passe pourtant pour une démocratie africaine modèle, et on ne pourra rien conclure à partir de ce fait isolé. Mais il vient illustrer la grande fragilité de ce que beaucoup voudraient être des processus de démocratisation, des processus de docilisations des dominés et paupérisés qui feraient fi de leur misère fabriquée patiemment dans la chaîne de production de la mondialisation à classes compradores locales, en s‘exécutant dans des rituels de servitudes que sont devenus les votes et élections des régimes prédateurs d’Afrique et du monde. Il est douteux que le statu quo puisse de nouveau être de la sorte imposé à des millions d’Africains, et est à craindre la nature de la réponse populaire. Soit elle s’en-corrompera en tentant de rejoindre l’élite, de prendre sa part du gâteau et le glissement vers le non Etat de type camerounien pourra être consommé ; soit elle choisira de sortir du jeu de la mort.
Lire «Bilan chiffré, provisoire et incomplet des détournements au Sénégal de 2000 à 2007, http://www.aidtransparency.org/at/content/view/682/102/lang,fr/
Lire aussi «Le mal dominant» de Souleyman Jules Diop, http://www.seneweb.com/news/chronique.php?artid=8899
Version corrigée le 20.03.07
Agni Blé
http://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=1674&PHPSESSID=65972dd0edabe6b7a73f3f0d6f737612