Diplomatie et relation internationale
Iran: puissance régionale V.S. superpuissance
Si l'on appelle les choses par leurs noms, alors les interminables tentatives entreprises pour régler le problème iranien rappellent le vain combat entre l'individualisme irrationnel et le tout aussi irrationnel collectivisme. D'un côté, les deux individualistes que sont l'Iran et les Etats-Unis semblaient avoir tout fait jusqu'ici pour exclure toutes les possibilités d'arrangement sauf une solution militaire. De l'autre, la "raison collective" des médiateurs n'avait cessé de marquer le pas dans le labyrinthe de leurs propres contradictions, ce qui était loin de donner l'impression que l'on voulait réellement saisir le problème à bras-le-corps.
Par Piotr Romanov, RIA Novosti
A bien y regarder, les échanges de diatribes belliqueuses et de déclarations mi-protocolaires, mi-pacifiques de Téhéran et de Washington ne sauraient être pris en considération. On assistait à un heurt frontal d'intérêts égoïstes s'excluant mutuellement, où la question nucléaire, qui revient le plus souvent dans le débat, est loin d'être essentielle.
En réalité pour Téhéran le principal c'est que l'on reconnaisse à l'Iran le statut international de puissance régionale, jouant le rôle de premier violon dans le Grand Proche-Orient. L'armement nucléaire, ce n'est que les épaulettes de général sur le nouvel uniforme et un poids supplémentaire dans tout jeu politique. Ici il convient de ne pas oublier que les ambitions de Téhéran ne sont pas subitement sorties d'un chapeau magique. L'Iran sent qu'il a suffisamment grandi pour jouer un rôle nouveau pour lui et qu'un abandon de sa politique actuelle signifierait dans une grande mesure un fort ralentissement de son développement. C'est là précisément la raison pour laquelle il campe farouchement sur ses positions.
D'un autre côté, pour les Etats-Unis l'armement nucléaire iranien n'a rien de souhaitable, mais il ne constitue pas le problème principal. En effet, Washington ne trouve rien à redire à l'accession du Pakistan au statut de puissance nucléaire. L'important pour lui c'est que la volonté de l'Iran de devenir une puissance régionale contredit les intérêts américains fondamentaux dans cette même zone du Grand Proche-Orient. Il s'avère donc que la superpuissance n'entend nullement abandonner à Téhéran la moindre parcelle d'influence.
Enfin, les Etats-Unis ne peuvent pas ignorer que la transformation de l'Iran en puissance régionale n'entraînerait pas de profondes mutations à l'intérieur du pays. Personne n'a aboli le régime des ayatollahs en Iran. Par conséquent, pour les Etats-Unis permettre une montée en puissance de ce pays équivaudrait donner libre cours au développement du dangereux potentiel de l'ennemi. Ce qui évidemment n'est pas souhaitable. Les Américains voudraient donc régler le problème le plus rapidement possible avec un préjudice minimum. Parce que plus ils ajourneront le règlement du problème et plus le prix à payer sera élevé.
Dans un certain sens la politique appliquée par Téhéran et Washington rappelle la folle course de deux voitures qui fonceraient à la rencontre l'une de l'autre dans un sens unique. Si l'un d'eux ne tourne pas le volant au dernier moment, la collision est inévitable. Mais celui qui braquera finira par connaître la défaite. Cette dernière sera évidemment partagée si la collision se produit.
Une guerre éloignerait pour longtemps l'Iran du but qu'il cherche à atteindre, à savoir la domination dans la région. Il ne serait plus non plus pour lui question de créer l'arme atomique. Pour les Etats-Unis les conséquences ne seraient pas aussi tragiques, mais elles seraient quand même douloureuses, surtout sur la toile de fond des problèmes que les Américains ne parviennent pas à résoudre en Irak.
Le fait que la guerre n'a pas encore éclaté a une explication. Forts de l'amère expérience de la réaction de la communauté internationale face à la guerre en Irak, les Etats-Unis se livrent actuellement à des gestes appelés à montrer qu'ils s'emploient à régler le problème par la négociation, en faisant appel à l'ONU et à des médiateurs. Bien sûr, il ne s'agit là que d'un faux-semblant. Et le délai imparti pour cette manifestation de respect du droit international touche à sa fin.
Téhéran, qui change de position trois fois par jour, lui aussi recourt au même subterfuge. Cependant, ici aussi on ne saurait manoeuvrer indéfiniment. On a entendu certains analystes dire que Téhéran cherchait à faire traîner les choses jusqu'à la présidentielle américaine. Nous ne partageons pas ce point de vue. Les Iraniens ne peuvent pas ne pas comprendre que les slogans pacifistes lancés actuellement aux Etats-Unis ont une connotation électorale. La politique étrangère subira certains changements après le scrutin, c'est évident, mais pour l'élite politique à Washington - républicaine ou démocrate - les intérêts américains au Proche-Orient sont perçus approximativement de la même façon. Par conséquent, pour l'Iran le problème persistera quel que soit celui - ou celle - qui remplacera George W. Bush. Et puis ce n'est pas demain que ce dernier quittera la Maison-Blanche.
Nous ne démontrerons pas que la guerre, c'est mal, et que la paix, c'est bien. Nous ferons cependant remarquer qu'il ne suffit pas de parler de la paix pour garantir celle-ci. L'irrationalisme prospère pas seulement parmi les pays individualistes. Avant de convaincre les "bagarreurs" les nombreux médiateurs doivent encore trouver un langage commun. Et l'on n'y parvient pas toujours. Pour ce qui est du problème iranien, la seule proposition valable des six médiateurs est celle qu'ils ont faite à l'Iran d'enrichir l'uranium en territoire étranger sous la surveillance de l'AIEA. Mais même cette suggestion effectivement sérieuse, énoncée par la partie russe, a été repoussée par Téhéran.
Irrationnelle aussi sur le fond s'est avérée la tentative entreprise pour raccommoder les Etats-Unis et l'Iran, qui ont choisi comme pomme de discorde le problème nucléaire, somme toute secondaire, et non pas ce qui est essentiel, à savoir l'affrontement de la puissance régionale en gestation et la vieille superpuissance. Enfin, il est vraiment aberrant qu'une partie au conflit - les Etats-Unis - soit simultanément partie intéressée et médiateur. Par conséquent il n'y a rien d'étonnant à ce que les six ne parviennent pas à se mettre d'accord.
Il est évident qu'une éventuelle confrontation entre les Etats-Unis et l'Iran n'apporterait rien de bon au Grand Proche-Orient. Ni à l'ONU et ni aux simples gens à plus forte raison. Mais cela a-t-il un jour empêché une guerre?
L'avis de l'auteur ne coïncide pas forcément avec celui de la rédaction.
Vendredi 16 Mars 2007
Piotr Romanov