Le chevalier de Saint-George, virtuose afro-européen du fleuret et du violon
Ardent défenseur des Droits de la personne et abolitionniste engagé, le chevalier de St Georges fut le premier compositeur noir de musique classique à la Cour de Louis XV en France et un escrimeur réputé invincible.
Par Pierrette Herzberger-Fofana
Ardent défenseur des Droits de la personne et abolitionniste engagé, le chevalier de St Georges fut le premier compositeur noir de musique classique à la Cour de Louis XV en France et un escrimeur réputé invincible. À la fin de l'année 2006, à l’occasion du bi-centenaire de Mozart et du centenaire de Senghor, le Sénégal a célébré ce grand virtuose de la musique en organisant plusieurs concerts sur l’île de Gorée et à la cathédrale de Dakar. Au centre - ville de Dakar les grandes artères, notamment la « Place du Tirailleur », étaient tapissées d’affiches représentant le Chevalier de Saint-Georges. Le chef de l’État, Maître Abdoulaye Wade, a rendu ainsi hommage à ce virtuose de la musique, en honorant de sa présence le concert de musique qui a eu lieu dans la cathédrale de Dakar.
Genèse
Joseph de Bologne alias le chevalier de Saint-George
Joseph de Bologne est le fruit des amours de George de Bologne de Saint-George, un riche planteur et d'une jeune esclave Anne, d’origine sénégalaise surnommée Nanon. Sa naissance se déroule sous des auspices heureux qui présagent un avenir radieux. En effet, il est né le jour de Noël 1745, JOSEPH de BOLOGNE alias le Chevalier de SAINT-GEORGE aura un destin hors du commun des enfants nés d’amours ancillaires.
La famille de Bologne réside aux Antilles, plus précisément en Guadeloupe depuis 1645. En janvier 1740, George de Bologne épouse Elizabeth Merican et un an plus tard, il acquiert une plantation de 50 hectares avec 60 esclaves. Il fait usage de son droit de cuissage et détourne Nanon alors âgée de 17 ans.
Le 16 décembre 1747, à la suite d'un duel, Georges de Bologne tue son adversaire,
son cousin Jean Hugues le Vanier de Saint Robert. Il se voit contraint de fuir la Guadeloupe afin d'échapper aux poursuites judicaires et surtout à la pendaison. Toutefois, il est condamné à mort par contumace et ses biens sont confisqués, selon une ordonnance en date du 31 mars 1748. Conformément au Code noir, ses esclaves sont considérés comme « biens meubles».
Paradoxalement, son épouse Elizabeth déclare sa rivale Nanon, son fils Georges et un esclave du nom de François comme ses serviteurs, afin de leur épargner d'être vendus et dispersés. Joseph arrive avec sa famille en France le 4 janvier 1749.
Grâce à leurs relations, la famille de Bologne obtient que le roi Louis XV le gracie. Georges peut retourner aux Antilles, le 2 décembre 1749. (1)
Une enfance dorée
Selon l'article 9 du «Code Noir» publié par Colbert en 1685, Joseph ne jouit pas du statut d'homme libre. C'est un « mulâtre» (2) Il n’est donc pas autorisé à porter les titres de noblesse de son père. Malgré cela, ce dernier prend ses responsabilités et lui assure une éducation à la mesure de son rang naturel. Le jeune Joseph reçoit une instruction appropriée dans le domaine des sciences, des arts, du sport et de la maîtrise des langues étrangères. Afin de parachever son éducation, son père, Georges de Bologne, décide de l’envoyer en France. Joseph débarque à Bordeaux en compagnie d’Elizabeth, l’épouse de son père. Deux ans plus tard, son père et sa mère arrivent à Bordeaux et vont s'installer à Paris le 19 septembre 1755. Son destin va complètement changer.
En effet, le «Code Noir» prévoit que Nanon, sa mère sera affranchie dès qu’elle aura mis pied dans l’Hexagone. Georges de Bologne introduit son fils dans les salons huppés de la haute société française. Il l'inscrit à l'académie d’escrime de Nicolas Texier de la Boëssière, l'un des fameux maîtres d'armes du royaume. Dans ce pensionnat pour jeunes aristocrates, les élèves reçoivent un enseignement complet le matin et l'après-midi est consacré à l'escrime, sport qui définit par excellence l'appartenance à la noblesse. Joseph de Bologne apprend l'équitation en s’entraînant aux Tuileries sous la houlette d'un maître écuyer, le chevalier Dugast. Il excelle dans tous les domaines et attire ainsi l'attention en haut lieu. En 1761, il obtient un poste de gendarme de la Garde du roi. Cette fonction lui vaut le droit de porter le titre de noblesse qui lui fut dénié à la naissance. On l'appelle désormais le Chevalier de St George, « le dieu des armes ». Durant 3 mois de l'année, il est au service de sa majesté et le reste du temps il poursuit ses études. Il étudiera durant six ans à l'académie de la Boëssiere. Sportif accompli, bon danseur, cavalier d'élite, le Chevalier de Bologne force l'admiration de son biographe Emil F. Smidak qui écrit :
« On le voyait souvent traverser la Seine en nageant d' un seul bras, et au patinage, son adresse surpassait celle de tous les autres, En tirant au pistolet, il était rare qu' il manquât son but» F. Smidak. Joseph Boulogne nommé Chevalier de Saint-George, cité par C. Ribbe.)
Une fine lame : La « chevalière d' Eon»
Le chevalier de Saint-George, escrimeur réputé croise le fer avec presque tous les tireurs de l'Europe. Il les défie tous que ce soit Maître Picard, maître d'armes à Rouen ou l'escrimeur Italien Gian Faldoni ou la chevalière D'Eon, cet escrimeur travesti en femme et agent secret de la couronne. De cette rencontre naîtra un opéra-comique qu'il intitule « la Fille-Garçon». Le Chevalier de Sain-George acquiert ainsi une réputation outre-Manche, car le combat avec d'Eon a lieu à Londres. Il écrit également une comédie musicale à cette époque pour enfants « Aline et Dupré ou le marchand de Marrons », qu’il jouera pour la première fois le 9 août 1788.
Le chevalier de Saint Georges et la cour de Versailles
Sa passion pour la musique demeure cependant son violon d'Ingres. LE chevalier de Saint George maîtrise le violon et le clavecin. Sous la direction de François-Joseph Gossec, son maître de musique, il s’initie à la composition d'œuvres musicales. En 1769, il devient premier violon au «concert des amateurs », un orchestre créé par Gossec. Il commence dès lors à écrire ses propres partitions: sonates, concertos, symphonies, comédies musicales etc.… En 1773, il succède à François-Joseph Gossec et devient, en 1775, le directeur de musique de la reine Marie-Antoinette. Il joue à plusieurs reprises à la Cour de Versailles où il est considéré comme l'un des favoris de Marie-Antoinette. A partir de 1779, elle l'invite à venir faire de la musique avec elle, ce qui suscite la jalousie de maints courtisans et des actes de violence sont perpétrés sur sa personne. Le chevalier de Saint-George est agressé une nuit par des hommes de Versailles qui tentent de l’assassiner. Cependant sa notoriété s'accroît, le sobriquet de dandy élégant, de cavalier d'élite et de danseur émérite font de lui le musicien le plus en vogue de la Cour.
Le racisme en France au siècle des Lumières
Pressenti pour diriger l'Opéra de Paris, Le Chevalier de Saint George doit faire face au racisme de la Cour. En effet deux chanteuses : Sophie Arnould et Rosalie Levasseur et une danseuse, Marie-Madelaine Guimard ne tolèrent pas qu'un « mulâtre » dirige l'opéra. Elles présentent un « placet », c'est-à-dire une pétition auprès de la Reine Marie-Antoinette. Elles écrivent que «Leur honneur et la délicatesse de leur conscience ne leur permettront jamais d'être soumises aux ordres d'un mulâtre ». Le Baron von Grimm mentionne dans sa « Correspondance Littéraire, Philosophique et Critique » «Une si importante considération a fait toute l’impression qu’elle devait faire »
La Cour s’incline et le poste demeurera longtemps vacant. Au siècle des Lumières, de nombreux philosophes ont contribué à développer le racisme. La plupart d'entre eux étaient persuadés de l’infériorité des Noirs. C'est ainsi que Louis Sébastien Mercier rapporte dans son « Tableau de Paris» (p.83) qu'un jour qu'il accompagnait :
- Jean Jacques Rousseau sur les quais, celui-ci fut pris d'un fou rire incontrôlable en voyant un Noir charbonnier, s’esclaffant que cet homme était meilleur à sa place et qu’il n'aurait pas de peine à se débarbouiller.
(cité dans « Le Monde » du 9.1.05 compte rendu du livre de Claude Ribbe. Enquête).
- Voltaire (1694-1778) considéré comme humaniste et champion de la tolérance s'exprimait en ces termes :
«La race noire est aussi totalement différente de la nôtre que l'épagneul l'est à
l'étrier […] L'on peut dire que leur intelligence n'est pas seulement façonnée différemment de la nôtre, mais elle est de loin inférieure […] L' intervalle qui sépare le singe d'un nègre est difficile à saisir » (Essai sur les mœurs, Genève, 1755 , t. XVI, p. 269-279)
- David Hume, philosophe anglais (1711- 1776) écrivait:
« Les Nègres et en général toutes les autres espèces d'hommes sont naturellement inférieurs aux Blancs.» (Traité de la nature humaine, 1837) et.
- Friedrich Hegel (1770-1831), philosophe allemand lui fait écho :
«L'être humain noir comme une créature naturelle, sauvage, et l'Afrique comme un pays replié sur lui-même […] pays de l'enfance qui, au-delà du jour de l'histoire consciente est enveloppé dans la couleur noire de la nuit » (La raison dans l’histoire. Introduction à la philosophie de l’Histoire. Paris, UG 10/18, 1965)
Mar 13 Mar - 10:49 par mihou