Le Come-back de l’Awalé : Renouveau Mondial d’un des plus Anciens Jeux Stratégiques de la planète
28/11/2005
Il faudra se déshabituer à ratiociner en boucle que l’Afrique n’a jamais inventé la poudre, et, paradoxalement dans cette optique, les Africains et Afro-Descendants seront souvent les plus difficiles à convaincre de l’évidence de leurs hauts faits de civilisation. Le jeu Awalé est un témoignage parmi des milliers des activités d’éveil intellectuel et d’émulation ludique qui occupaient les anciens Africains. Ce jeu retrouve une étonnante jeunesse aujourd’hui, aux quatre coins du monde, son adaptation aux nouvelles technologies de l’information se révèle une incontestable réussite déclinée en grappes d’innovations portant sur les supports et les environnements de jeu. Bientôt probablement en parlera-t-on dans les termes d’un phénomène de société.
L’origine africaine de l’Awalé, connu sous différentes dénominations en Afrique et par le monde, serait attestée depuis l’Egypte ancienne vers le Xème siècle av. JC. Son origine plus contemporaine est cependant le Golf de Guinée, même si dans une vision corrigée de l’histoire universelle -cf. le savant historien africain Cheikh Anta Diop- il n’y a pas de contradiction au contraire entre ces deux bassins d’origine.
Cet ancien jeu largement répandu en Afrique a emprunté des courants extracontinentaux, poussés vers les pays musulmans du Moyen-Orient et d’Asie par la propagation de l’Islam en Afrique et ses effets retours. Le jeu Awalé s’est retrouvé également dans les Caraïbes suite à la déportation de millions d’Africains par les siècles d’oppression négrière européenne.
Les pays réputés jouer à l'Awalé et ses variantes sont entre autres l'Ethiopie, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, toute l’Afrique centrale (Songo, Ngola…) et orientale, l'Egypte, le Soudan, le Sénégal, Le Cap-Vert, mais aussi l'Indonésie, la Barbade et Antigua.
La dispersion et l’indice du succès de l’acclimatation de ce jeu se retrouvent dans ses différences de dénominations. Le nom Ayo-ayo est usité en pays Yoruba au Nigeria. Quant à l’appellation Adi, provenant également du Nigeria, elle correspond au nom des graines employées pour jouer. En Ouganda, Awalé est Omweso une variante à 4 rangées. En Afrique de l’Est, le nom usité est Bao ou Bawo, ce mot swahili signifie « bois ». Le jeu est très pratiqué à Zanzibar en Tanzanie. A la différence de l'Awalé du Ghana, il comporte 4 rangées composées de 8 trous chacune et est donc, à l’instar de l’Omweso d’Ouganda, plus complexe.
Le nom de Congkak est originaire d'Indonésie. Le jeu y fut introduit par les commerçants au cours du XVIIIème siècle. Son nom emprunte à la dénomination des coquillages utilisés à la place des graines. En général il est plutôt perçu comme un jeu de filles. Sur l’île de Java en revanche les fermiers l'utilisaient pour prédire l'avenir, calculer les saisons [quand planter et quand récolter].
Quant aux mythes fondateurs, les Massaï disent que ce jeu fut inventé par Sindillo, fils de Maitoumbe, le premier homme, laissant entendre qu’il remonte aux premiers moments de la création. Des usages plus pratiques et historiques de l’Awalé au Ghana sont très instructifs sur le statut de ce jeu dans les sociétés africaines précoloniales. A une époque au Ghana, l'Awalé était semble t-il réservé aux puissants, les rois des ethnies dominantes principalement. Ils jouaient sur des supports sculptés en or et en ivoire et avaient l'habitude de se confronter avec leurs généraux avant une bataille afin d'évaluer leurs capacités mentales avant le combat.
Le nom de Wari autre variante du nom Awalé tire son origine de la langue des Ashantis du Ghana et veut dire mariage. La légende dit que l'homme et la femme se marièrent afin d'avoir plus de temps pour jouer à l'awalé. Selon une autre version, l'origine du mot signifierait la maison.
Conventionnellement, le jeu fait partie de la famille des Mancala qui comporte l’ensemble des jeux dans lesquels on distribue cailloux, graines, coquillages dans des coupelles ou des trous (dans le sable).
Le but du jeu est de s'emparer d'un maximum de graines. Le joueur qui a le plus de graines à la fin de la partie l'emporte. Le terrain de jeu est divisé en deux territoires de 6 trous chacun (4 graines par trou). Chaque joueur joue à son tour. Le joueur va prendre l'ensemble des graines présentes dans l'un des trous de son territoire et les distribuer, une par trou, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Si la dernière graine semée tombe dans un trou de l'adversaire comportant déjà 1 ou 2 graines, le joueur capture les 2 ou 3 graines résultantes. Les graines capturées sont sorties du jeu. Lorsqu'un joueur s'empare de deux ou trois graines, si la case précédente contient également deux ou trois graines, elles sont capturées aussi, et ainsi de suite.
En revanche, on n'a pas le droit "d'affamer" l'adversaire : un joueur n'a pas le droit de jouer un coup qui prenne toutes les graines du camp de l'adversaire.
Le but du jeu étant que chacun des joueurs s´empare de plus de graines
que son adversaire, c´est celui qui obtiendra plus de la moitié des graines qui emportera la partie (25 ou plus). Il y a de très diverses interprétations des règles et des variantes dans les règles et tableaux de jeu. Il existe cependant des règles internationales unifiées, reconnues par la World Oware Federation pour les compétitions exigeant une standardisation des règles.
Le jeu Awalé est un produit-phare de la culture matérielle africaine antique dont il véhicule malgré les adaptations, corruptions et le poids du temps, la philosophie et les cosmogonies. D’une part l’objet du jeu, le tableau de l’Awalé est simultanément sur le registre de l’objet ludique, et sur celui de l’objet artistique souvent exécuté avec un degré de sophistication esthétique digne des plus grands chefs d’œuvre de sculpture. Polysémique dans son usage, il est jeu et exercice mental, préparation martiale, répétition de stratégie, et par ailleurs, support de géomancie.
Les origines massaï ou ashanti, liées aux premiers humains, au mariage ou à la maison, illustrent une conception et une compréhension particulière de la vie et du vivant, réinterprétés comme un jeu, une compétition, un face à face. Mais la Maât -principe africain pharaonique de vérité, d’harmonie, de mesure- est bien là qui équilibre l’existence. D’ailleurs l’Awalé n’est-il pas la préoccupation favorite mythologique des mariés, c’est à dire amour et pro-création ? La règle interdit d’affamer l’adversaire, pas de coup fatal donc, il s’agit de vie et pas de mort. Tout humain-joueur a le droit de vivre, même celui qui serait trop faible pour tenir tête à son adversaire.
Le jeu, de plus, s’enroule de telle sorte que les graines sont de fait davantage partagées entre joueurs que monopolisées, l’espace est marqué en territoires distincts pour chaque vis-à-vis, mais il est aussi en usufruit, telle une propriété collective avec un possesseur qui ne peut enfreindre la règle de céder le passage à son concurrent et vice versa. Chaque joueur parcourt le territoire de son rival à la recherche de graines à manger, traduisant une image de la liberté de circulation et de droit inaliénable de s’alimenter. Ceci s’apparente à une méta-coopération dans un jeu non-coopératif à somme nulle, ou ce que l’un gagne est égal à ce que l’autre perd. La compétition est faite d’échanges mutuels permanents et de transactions, de rencontres, de stratégie. La vie, un jeu…peut-être, d’une certaine façon.
Qu’il s’agisse des orgies de fin d’année, de celles de la Faim des Damnés, plutôt que de sacrifier une fois encore au rite de la surconsommation ultime d’avant la nouvelle année, plutôt qu’un jeu aliénant renforçant le Tintin au Congo qu’il y a dans beaucoup de ceux qui ont touché à l’univers ludique occidental, il ne serait pas mal venu de prendre un Awalé, disponible en version traditionnelle ou en logiciel à télécharger, collant aux réalités locatives, ludiques et économiques actuelles.
Souhaiteriez-vous quelque chose d’artistique, de décoratif mais susceptible de présentation, d’explication dans le cadre d’un échange culturel, les boutiques d’arts et artisanats d’Afrique en général sont bien outillées. Si vous êtes plutôt joueur High Tech vous pouvez télécharger des logiciels d’Awalé sur la toile, il y en a un bon nombre. Quitte à consommer, faîtes donc le bon choix…
Lire entre autres : Le Jeu de Songo, Serge Mbarga Owona [L’Harmattan, 2005], Les mystères du Ngola. Jeu de la Vie. Pâris Baletula Diambanza [Limon Fertile / Tamery, 2003]
Première parution 01/01/04
Z.B.
http://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=945