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 LE SCANDALE STAVUDINE:Ces profiteurs du sida

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mihou
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mihou


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02062005
MessageLE SCANDALE STAVUDINE:Ces profiteurs du sida

LE SCANDALE STAVUDINE

Ces profiteurs du sida

Pfizer, le numéro un mondial de la pharmacie, s’est engagé, le 15 janvier 2002, à remettre à la redoutée Cour des comptes du Congrès des Etats-Unis (GAO) les données comptables indispensables à la vérification des prix des médicaments. Dix autres firmes en ont fait autant. Pour parvenir à cette remise de documents il a fallu un ordre formel du GAO. Déjà, en septembre 2001, les autorités américaines avaient contraint Bayer à réduire le prix de son traitement contre la maladie du charbon. En fait, aux Etats-Unis comme en Europe, on commence à s’alarmer de la rentabilité inouïe de l’industrie pharmaceutique : entre 15 % et 25 % du chiffre d’affaires. Dans les pays riches, les choix de production et les politiques tarifaires des laboratoires entraînent un véritable racket ; dans les pays pauvres, ces décisions empêchent l’accès aux soins du plus grand nombre. L’itinéraire de la stavudine, un médicament contre le sida, est en cela exemplaire : issue de recherches universitaires, la molécule a été attribuée en exclusivité à la firme Bristol-Myers Squibb, qui a entravé sa commercialisation dans les pays les plus touchés par la pandémie...


Par PHILIPPE DEMENET
Journaliste.

On aurait pu l’appeler le Stavudine Building. Le nouveau bâtiment s’élève près de la Medical School, non loin des « colleges » néo-gothiques et des bibliothèques d’allure médiévale de l’université Yale, à New Haven (Connecticut). Ce ne sont ni les subventions ni les droits d’inscription qui ont permis de régler, rubis sur l’ongle, la moitié des 176 millions de dollars qu’a coûtés ce nouveau temple dédié à la recherche, mais les royalties d’un médicament antisida, découvert et breveté par l’université.

Depuis sa mise sur le marché, en 1994, la stavudine (1) a rapporté à Yale au moins 261 millions de dollars (292 millions d’euros) (2). Représentant 90 % des royalties engrangées par l’université, le médicament a permis à celle-ci de caracoler dans le peloton de tête des universités américaines les plus gâtées par la propriété intellectuelle. Ces dernières sont, en effet, propriétaires des inventions qu’elles réalisent (3), même si, à Yale comme ailleurs, 80 % des budgets de la recherche biomédicale sont financés par les fonds publics fédéraux du National Institute of Health (NIH).

Mais une invention brevetée n’est rien si elle n’est pas portée sur le marché. En 1988, deux ans après avoir déposé son brevet (4), l’université concède au géant pharmaceutique Bristol-Myers Squibb (BMS) les droits exclusifs d’exploitation sur son invention. Grâce à cette « licence exclusive », BMS va acquérir un monopole dans tous les pays du monde où l’université a déposé son brevet : Etats-Unis, Europe, Canada, Australie, Afrique du Sud... Ce qui signifie que la compagnie est libre de fixer les prix à sa guise : en l’occurrence, elle vend 4,28 dollars (5) en moyenne la tablette de 40 mg (la dose journalière est de deux tablettes).

Sous le nom commercial de Zerit®️, la stavudine va faire une carrière fulgurante. Pierre d’angle de la trithérapie, ce médicament devient, dès 1998, l’antirétroviral le plus prescrit du monde. En deux ans et demi (de 1998 au premier semestre 2000), BMS en vendra pour plus de 2,3 milliards de dollars, principalement en Europe occidentale et aux Etats-Unis. En Afrique du Sud, le pays le plus touché par la pandémie (6), les ventes resteront insignifiantes (600 000 dollars en 1998). A 2,23 dollars la dose, le Zerit est inaccessible.

Tout au long de l’année 2001, le Zerit va se trouver au coeur de la bataille pour l’accès des plus pauvres aux médicaments. C’est l’antenne sud-africaine de Médecins sans frontières (MSF) qui ouvre le feu. En février 2001, son représentant, le Dr Eric Goemaere, écrit à M. Jonathan Soderstrom, directeur de l’Office for Cooperative Research, à Yale, qui gère les brevets et les licences. MSF, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 1999, demande à l’université « d’autoriser l’importation [en Afrique du Sud] d’une version générique de la stavudine de façon à fournir un traitement gratuit aux personnes affectées par le VIH/sida ». Elle mentionne, dans sa lettre, la proposition faite par le fabricant indien Cipla Ltd de lui vendre une version générique de la stavudine « trente-quatre fois moins cher » que le Zerit.

Yale renvoie d’abord la balle à BMS, qui la retourne à Yale. Fin février, au moment où trente-neuf compagnies pharmaceutiques attaquent le gouvernement sud-africain en justice parce qu’il a autorisé le recours aux « licences obligatoires » en cas d’urgence sanitaire, le campus de Yale entre en ébullition. Une étudiante en droit, Mlle Amy Kapczynski, soutenue par un syndicat universitaire, le Graduate, Employees and Students Organization (GESO), fait circuler une pétition appuyant la requête de l’organisation médicale d’urgence.

La pétition va recueillir 600 signatures d’étudiants, de techniciens, de chercheurs, dont celle du Dr William Prusoff, 81 ans, qui a mis en évidence, avec le Dr Tai-Shun Lin (aujourd’hui décédé), les propriétés de la stavudine dans le traitement du sida (7). « Personne ne devrait mourir pour des raisons économiques, faute de pouvoir s’acheter un médicament, explique-t-il. Et je serais très heureux de ne plus percevoir aucunes royalties si cela pouvait aider à l’éradication de la maladie. »

Yale rétrocède en effet à ses inventeurs 30 % des redevances qu’elle perçoit. « Ces derniers temps, calcule le vieux monsieur (qui ne touche que la moitié du total), ma part s’est élevée à... 5,5 ou 6 millions de dollars par an... » En quoi est-il fondé à percevoir de telles sommes ? N’a-t-il pas accompli normalement son travail de chercheur ? « Je ne suis pas un homme d’argent, reconnaît-il, mais pourquoi les universités laisseraient-elles les compagnies pharmaceutiques se remplir les poches avec nos inventions ? »

Comme la plupart des chercheurs de la Medical School, à Yale, le Dr Prusoff minimise l’importance de son investissement et sa capacité d’influence sur la compagnie privée qui exploite sa découverte. « Je peux toujours lui livrer mon opinion. Mais ce n’est pas sûr qu’elle m’écoute », plaisante-t-il. Il n’empêche : avant même que les étudiants ne remettent leur pétition à M. Soderstrom, BMS a déjà reculé. Le 14 mars, la compagnie basée à New York annonce une baisse draconienne de ses prix en Afrique du Sud et s’engage à ne pas poursuivre en justice un éventuel producteur de génériques.

L’issue de la bataille laissera les activistes de Yale sur leur faim. L’université n’a pas renoncé à son brevet sur la stavudine en Afrique du Sud ni rompu son accord de licence avec BMS. « En Afrique du Sud, raconte le Dr Eric Goemaere, nous utilisons de la stavudine de chez BMS, parce que, grâce entre autres à Amy Kapczynski, leurs prix se sont effondrés. » Aspen Pharmacare, un fabricant sud-africain de génériques, s’est mis sur les rangs pour en produire une copie. « Mais aucun accord n’a été signé entre Aspen et BMS et, depuis le début, Aspen se plaint du fait que BMS traîne les pieds, rapporte le Dr Goemaere. La compagnie sud-africaine n’a obtenu aucun fichier d’informations sur la molécule, aucun transfert de technologie. Contrairement à d’autres, BMS semble avoir lâché beaucoup de lest. Mais cette baisse drastique des prix lui a permis de décourager la concurrence et d’empêcher jusqu’ici l’émergence de produits génériques. »

« Le centre de décision se trouve toujours aux Etats-Unis, regrette Mlle Amy Kapczynski. Ce n’est pas pour cela que nous nous étions battus ! Ceux qui ont besoin de ces traitements doivent être associés aux prises de décision. Tout aurait été différent si Yale avait renoncé à son brevet local. Une vraie concurrence aurait pu s’instaurer. Mais renoncer au brevet ou rompre le contrat, pour Yale, c’était toucher à un point extrêmement sensible : celui des relations entre l’université et les compagnies. »

Sur ce point comme sur tous les autres, BMS refuse de s’exprimer. Mais cette analyse est aussi celle de M. Soderstrom : « Jamais, entre BMS et nous, il n’y a eu le moindre différend, affirme-t-il. Notre souci commun était de trouver une réponse juste [à la demande de MSF]. Nous ne pouvions pas décider, nous Yale, d’une action unilatérale. Nous avions passé un accord de licence et nous menons depuis des années plusieurs programmes de recherches avec BMS. »
Opacité totale, données biaisées

La compagnie new-yorkaise sponsorise en effet chaque année, à Yale, le symposium BMS ainsi que le Graduate Student Research Symposium, qui doit aider les diplômés en sciences biomédicales à rencontrer leur futur employeur. Certains cadres dirigeants de chez BMS ont exercé de hautes responsabilités à Yale et la compagnie - comme le dit M. Soderstrom - a financé plusieurs programmes de recherche sur la maladie d’Alzheimer, le cancer, le sida...

« Bien sûr, les compagnies pharmaceutiques peuvent exagérer sur les prix ! reconnaît le Dr Prusoff. Mais nous en sommes dépendants. Elles nous rendent un service extraordinaire : Yale n’a pas les moyens techniques ni financiers de produire un médicament. Pour qu’il arrive jusqu’aux patients, il doit être approuvé par la Food and Drug Administration (FDA), ce qui nécessite des essais sur l’homme très onéreux. Souvent, il arrive qu’un médicament se révèle toxique. Ce sont des millions de dollars investis en pure perte. Compte tenu des risques, entre le concept et la mise sur le marché, il faut compter de 500 à 800 millions de dollars ! »

D’où tire-t-il ces chiffres, qu’il a également cités dans une tribune libre publiée le 19 mars 2001 par le New York Times ? Le vieux monsieur avoue qu’il n’en sait rien. « Je les entends citer tout le temps », dit-il. En réalité, ils viennent du Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA), le lobby des compagnies pharmaceutiques, et du Tufts Center for the Study of Drug Development, un centre de recherche sponsorisé à 65 % par l’industrie du médicament. 500 millions : c’est - selon ces deux organismes - le coût moyen de l’élaboration d’un nouveau médicament jusqu’en décembre 2001, date à laquelle le Tufts Center réévalue ce chiffre à 802 millions de dollars. Mais son étude ne porte que sur une minorité de molécules : celles qui ont été découvertes et développées sans aucune aide de l’Etat. Et la moitié de cette somme est pour le moins virtuelle : il s’agit du « coût d’opportunité », une compensation que s’accorde l’industrie privée en fonction des intérêts qu’auraient rapportés les sommes investies, si elles avaient été placées en Bourse.

Evaluation exagérée des risques et des compensations, oubli des exonérations fiscales... Toujours en 2001, un organisme indépendant, Public Citizen (Cool, chiffrait, sur les mêmes bases, à 110 millions de dollars la somme maximum dépensée par le privé pour faire éclore une entité chimique entièrement nouvelle. Quelle est la part du public et du privé ? L’opacité est totale et les données biaisées : « Quand le secteur privé met 1 000 dollars dans un nouveau médicament, il l’évalue, dans le coût final, à 2 000 dollars, compte tenu des risques et des compensations. Quand le secteur public, en revanche, met 1 000 dollars dans un médicament, sa part sera évaluée, au final, à 1 000 dollars. Parce que c’est une subvention, non un investissement. C’est ainsi que la contribution du public à la recherche et au développement est largement sous-évaluée », constate Mme Els Torreele, chercheuse en biotechnologie et animatrice de la campagne de MSF en faveur des maladies négligées. « Pire : le secteur privé a pris l’habitude d’englober l’argent public dans ses propres calculs pour définir le coût et le prix d’un médicament. Résultat : le contribuable paye deux fois le même médicament. »

La stavudine et les quatre autres antirétroviraux de la famille des inhibiteurs nucléosidiques (9) ont tous été inventés sur fonds publics aux Etats-Unis. Pour les neuf autres antirétroviraux (inhibiteurs de protéase et non nucléosidiques), des fonds d’Etat sont venus soutenir, à un moment ou à un autre, la recherche ou les phases d’essai. Mais ce sont les fonds privés qui donnent le « la ». « L’apport d’argent privé n’a jamais dépassé le quart du total de mes financements, pendant les trente années où j’ai dirigé des recherches, reconnaît le Dr Prusoff. Mais j’ai recommandé BMS, pour l’attribution d’une licence sur la stavudine, parce que notre département, il y a plusieurs années, avait reçu une grosse subvention de cette société pour élaborer des médicaments anticancer. J’avais bénéficié d’une petite partie de ces fonds pour travailler sur les antirétroviraux. En échange, BMS s’était réservé un droit de préemption sur tout composé que nous produirions. Ce fut le cas de la stavudine. »

Sauf dans le petit cercle des militants du GESO, Yale tout entière semble vouée à un discours fataliste. Pourquoi, par exemple, ne pas avoir accordé une simple licence - non exclusive - à BMS, ce qui aurait permis à l’université de se ménager un moyen de pression en faveur de l’intérêt public ? « Aucune compagnie ne l’aurait accepté, rétorque M. Soderstrom. C’est la licence exclusive ou pas de licence du tout ! Vu le temps et l’argent nécessaires pour mener les essais cliniques et développer un médicament, il est difficilement concevable qu’une entreprise s’engage avec nous sans avoir les moyens de protéger son investissement ! » Conseillère médicale au bureau MSF de New York, Mme Anne-Valérie Kaninda apporte une autre explication à cette intransigeance : « La licence exclusive, dit-elle, prolonge la chaîne du monopole initiée par le brevet. Et c’est ce monopole qui fait que les prix flambent. »
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