Le NEPAD, «qu'ossa donne de neuf»?
L'Afrique doit absolument rompre avec un modèle de développement extraverti
Yao Assogba
Sociologue, l'auteur est professeur à l'Université du Québec à Hull (UQAH) et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada des collectivités de l'UQAH. Il a publié de nombreux articles et collaboré à plusieurs ouvrages sur les questions de développement et de démocratie en Afrique.
Édition du mercredi 3 juillet 2002
Pour sortir du «gouffre impitoyable de la misère» (comme l'a dit Stephen Lewis, envoyé spécial de l'ONU pour le VIH-sida en Afrique), l'Afrique doit opérer une rupture avec le paradigme de développement extraverti qui l'a conduite à l'impasse. Loin de rompre avec ce modèle, le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD, d'après l'acronyme anglais), récemment discuté au Sommet du G8) le renforce.
Pour le NEPAD, le développement, c'est la croissance économique par des transferts massifs de capitaux étrangers sous forme d'aide publique au développement (APD) et d'investissements privés. Le NEPAD a pour ultime objectif de combler le retard qui sépare l'Afrique des pays développés. Cette notion de fossé à remplir (bridging gap) est au coeur même du NEPAD. Le but du développement est-il vraiment qu'un pays «comble le fossé» qui le sépare par rapport à un autre ? N'est-il pas que chaque individu dans chaque pays dispose de sécurité matérielle, ait accès à l'éducation et à des soins de santé, ait une espérance de vie relativement élevée et jouisse de droits fondamentaux ? La croissance économique d'un pays n'a de sens que si elle débouche sur une amélioration des conditions d'existence et de la qualité de vie des populations. Dans le cas de l'Afrique, sur une période de 40 ans, cette qualité de vie a régressé au lieu de progresser.
Cette marche à reculons ne s'explique pas par un manque de financement extérieur. Certes, l'APD n'a pas cessé de baisser depuis que les programmes d'ajustements structurels (PAS) ont été imposés aux États africains par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Cependant, tel n'a pas été le cas durant les 20 premières années des indépendances africaines, qui ont été l'âge d'or de l'APD. Malgré cela, ces années ont été qualifiées de «décennies perdues du développement».
Le NEPAD passe sous silence les causes intérieures et extérieures (profondes, celles-là) de cette situation. Avant de mobiliser de nouvelles ressources pour réaliser le programme d'action du NEPAD, il aurait été logique d'étudier honnêtement les causes profondes de l'échec du développement en Afrique depuis 40 ans.
C'est le manque de volonté politique et le cynisme des chefs d'État africains eux-mêmes, qui n'ont pas réussi à engager les peuples africains sur la voie du progrès économique et social. Depuis 40 ans, les chefs d'État africains ont une gestion patrimoniale des ressources nationales. Despotes pour la plupart, ils ont néanmoins été courtisés, corrompus et armés par les grandes puissances du Nord afin de maintenir l'échange inégal du système économique mondial.
Pour réaliser un développement durable, le NEPAD préconise une stratégie de «vision à long terme» axée sur sept domaines prioritaires qu'on peut diviser en deux catégories : le domaine social (santé, éducation, ressources humaines) et le domaine économique et technologique (infrastructures, nouvelles technologies de l'information et de communications). Dans les secteurs sociaux, les objectifs à long terme du NEPAD sont les suivants : éradiquer la pauvreté et promouvoir le rôle des femmes dans toutes les sphères d'activité. Sur l'horizon 2005-15, le NEPAD veut parvenir à l'éducation primaire universelle et réduire de moitié l'extrême pauvreté et le taux de mortalité infantile. La lutte contre le VIH/sida et le paludisme fait aussi partie du plan d'action.
Si les buts visés sont clairement énoncés, les actions concrètes pour les réaliser ne le sont pas. Le NEPAD reste très vague sur les investissements dans les secteurs sociaux. Dans la logique du NEPAD, les droits fondamentaux ne sont pas vus comme des valeurs en elles-mêmes. La démocratie n'est donc pas une fin pour les peuples africains mais des moyens dont les chefs d'État africains disposent pour attirer des flux massifs de capitaux étrangers et de technologies dans leurs pays.
Sans détours, le document sur le NEPAD affirme qu'«améliorer les infrastructures, y compris le coût et la fiabilité des services, serait dans l'intérêt de l'Afrique comme de la communauté internationale, qui pourrait obtenir des biens et des services africains à meilleur marché». Si c'est à cette fin que serviront les infrastructures qui seront développées en Afrique grâce au financement extérieur, il ne s'agit pas d'un nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique.
Le NEPAD s'annonce comme le «pacte» de la mondialisation de l'Afrique entre le G8 et les États africains, au détriment des besoins et des aspirations des peuples africains à un développement humain. Pour réaliser son vaste programme, le NEPAD veut mobiliser deux catégories de ressources. Les ressources nationales proviendront de l'augmentation de l'épargne intérieure et de l'amélioration de la perception des recettes fiscales. Cependant, la majeure partie de ces ressources devra être obtenue de l'extérieur du continent par la réduction de la dette et l'APD, d'une part, et par les apports des capitaux privés, d'autre part. Rien n'est dit sur le rapatriement des 360 milliards $US que les potentats africains ont détournés et placés dans des banques étrangères.
Dans son essence, le NEPAD s'inscrit dans le paradigme de tous les modèles de développement qui ont été tentés et qui ont échoué en Afrique depuis 1960. Pour se développer, un changement de paradigme s'impose en Afrique. À cet égard, il faut que les dirigeants africains tirent des leçons de l'histoire afin de rompre radicalement avec l'idée de «rattrapage» des pays développés à tout prix.
L'ouvrage de Fernand Braudel (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, 1980) peut nous éclairer dans la recherche d'une solution alternative. Selon Braudel, l'histoire montre que le processus de développement des sociétés s'opère dans une dynamique entre diverses formes d'économie : l'économie de subsistance, l'économie sociale et l'économie de marché. L'économie de marché se développe sur la consolidation des deux premières. Malgré son importance dans l'histoire de l'évolution économique des sociétés, la théorie du développement va évacuer la consolidation de ses principes et mettre en avant le principe de «rattrapage».
Le nouveau modèle de développement de l'Afrique suppose l'utilisation maximale des ressources locales et nationales. Le passage de l'économie de subsistance à l'économie sociale vise l'autonomie alimentaire ainsi que le développement de petites et moyennes entreprises et d'industries. La consolidation de l'économie sociale débouche sur des économies de marché nationales, régionales et panafricaines. C'est ainsi que l'Afrique va s'inscrire solidement dans le système économique mondial. Le succès de ce paradigme ne peut être assuré que par les forces progressistes africaines résolument décidées à sortir l'Afrique du «gouffre» et à l'engager sur la voie de la Renaissance.
Debt, Structural Adjustment and Jubilee
NEW PARTNERSHIP FOR AFRICAN DEVELOPMENT (NEPAD)
African Charter Article: #21 "All Peoples have the right to their country's natural resources and wealth without foreign exploitation."
Response to Robert Fowler Re NEPAD
Author: Prof. John Saul, York University
March 8, 2002
The sub title " Our leaders have betrayed us" (a quote from prof.Yash Tandon of Uganda) sums up John's conclusion for himself, and he feels for most Africans, if they could see clearly the intentions of the G8 and the IFI's, as now put forward by African leaders.
John questions the assumptions of NEPAD: that foreign investment is the only hope for Africa, that adjustment benefits Africa, and that opening to trade and investment is a price Africa must pay for more AID and investment as well as political reforms to make investment safe.
John concludes with a quote from Agnes Mohapi, a 58 year old in Soweto. "All this globalization garbage our new black government had forced upon us has done nothing but make things worse ... Bur we will unite and we will fight this government with the same fury that we fought the whites in their day."
He concludes:"- alongside such comrades, we in Canada should fight NEPAD and "all this globalization garbage" in the same spirit."
TAKING OPPOSITION TO NEPAD TO KANANASKIS:
"REJECT NEPAD, CAMPAIGN AGAINST IT" - (Trevor Ngwane)
"OUR LEADERS HAVE BETRAYED US":
NOTES FOR A RESPONSE
By JOHN S. SAUL
At an "Information Session on the G8 Summit and G8 African Action Plan" held at York University, Toronto, Canada to a presentattion by Robert Fowler, Prime Minister Jean Chretien's personal representative for the G8 Summit and Personal Representative for Africa, March 8, 2002
- it is obviously tempting to hail an initiative that puts Africa on the agenda of the globally powerful and that finds Canada, in the person to day of Mr. Fowler, advocating so eloquently on the continent's behalf
- I therefore feel a bit of a grinch to be forced to rain on this particular parade but I feel I must: for the NEPAD is to me a sad, defeated document, evidencing the ever-deepening subservience of the African leaders that authored it to the "common-sense" of a neo-liberalizing, structural adjusting global capitalism, while its possible embrace by the G8 countries at Kananaskis, if such should occur, will be just one more index of how powerful and malignant the grip of these countries and their multinational corporations have become.
- for while written by African leaders, notably Mbeki, Obasanjo and Boutefika, NEPAD reads like it could just as easily have been written in the offices of the World Bank and the IMF -- after all, if you read it carefully, you will see that NEPAD is driven by two premises: that African economies and states must ADJUST their economies in order to provide the enabling conditions for their further penetration by global capital and that they must recast their political systems to conform more clearly to the liberal quasi-democratic structures of the West
- make no mistake: African economies are in a mess and many of the political systems on the continent could use a great deal more democratization (by which I mean the genuine empowerment of the poorest of the poor in these countries) -- but the genuinely transformative, even revolutionary, processes that would find for Africans space to free themselves from the overweening power of global capital and local elites is not what this document is about
- and frankly one's negative response to this whole process, including whatever it is that the Africa Action Plan to be brought before the G8 might bring, are scarcely laid to rest either by what Ambassador Fowler has said today (thus echoing his boss, Jean Chretien, who himself spoke at the WEF plenary session in February of NEPAD as providing, for the wealthy states, "new foreign investment opportunities"), or, as I discovered when doing some background research for this presentation, by what he said only a few weeks ago in South Africa itself in summarizing the chief thrust of NEPAD: "It's about putting into place the conditions that will allow investment to come to Africa."
- this way, I'm afraid, further disaster lies, although to establish the set of alternative premises necessary to challenge this kind of thinking about Africa's salvation as coming through more foreign investment would take me far beyond the time available here or my humble role as respondent to Ambassador Fowler's talk (and we can also only note in passing that the fact Canada has chosen to play the role of middle-man in this suspect endeavour need come as no surprise, given our country's deepening subservience to the dictates of global capital in the last few decades, and, more specifically, the way in which DFAIT has shifted the terms of reference for CIDA and associated bodies to tying aid ever more firmly to acceptance by recipient countries to IMF/World Bank/WTO dictate in their economic policies).
- this latter critique of the Canadian government has been well-mounted by a great deal of academic research in recent years. As for the broader point about Africa, its current relationship to global capitalism, and the entirely false promise that increased foreign investment represent, I will merely refer to the paper co-authored by Colin Leys and myself mentioned by the Chair (in Monthly Review, Summer Issue, 1999), one which brought us to the conclusion that:
"The result [of current investment patterns] is relegation to the margins of the global economy, with no visible prospect of continental development along capitalist lines. Population growth has outstripped production growth; the chances of significantly raising per capital output are falling, not rising; the infrastructure is increasingly inadequate; the market for high value-added goods in minuscule....Which does not mean that nothing is happening, let alone that no alternative is possible. It simply means that Africa's development, and the dynamics of global capitalism, are no longer convergent, if they ever were."
- and I would also draw your attention to my findings about South Africa under Thabo Mbeki's leadership, argued at great length in another recent article (Monthly Review, January, 2001):
"A tragedy is being enacted in South Africa, as much a metaphor for our times as Rwanda and Yugoslavia, and, even if not so immediately searing of the spirit, it is perhaps a more revealing one. For in the teeth of high expectations arising from the successful struggle against a malignant apartheid state, a very large percentage of the population -- amongst them many of the most desperately poor in the world -- are being sacrificed on the altar of the neo-liberal logic of global capitalism....For there is absolutely no reason to assume that the vast majority of people in South Africa will find their lives improved by the policies that are being adopted in their name by the present ANC government. Indeed, something quite the reverse is the far more likely outcome."
- not surprisingly, since Thabo Mbeki and his team in South Africa are the main architects of NEPAD, that document advocates steering the continent down that same road, both due to Mbeki's own infatuation with neo-liberalism ("Just call me a Thatcherite," he stated, when introducing SA's notoriously neo-liberal GEAR policy in 1996) and also perhaps South African capital's own interest in deepening its recent dramatic penetration into the rest of the continent.
- there is no time here to follow through point by point, paragraph by paragraph, the manner in which false premises and prognoses stalk the NEPAD document -- fortunately comrades in the NGO sector of South Africa have done just that, taking the first section of the report (some 10 pages as it printed out for me of the internet) with a brilliant 27 page gloss on the text (88 different points of disagreement) that spell this out in convincing detail.
- I can leave a copy of this with anyone here who might be interested, but let me give merely two examples of the kind of "deconstruction" (in the best sense) that these African comrades have done here: