France
Quand immigration rime avec élection
Les députés ont commencé à examiner le nouveau projet de loi encadrant l’arrivée des étrangers en France. Trois semaines
après le retrait du contrat de travail destiné aux jeunes et en pleine affaire Clearstream, le durcissement des conditions
d’immigration en France fait polémique. Les partis politiques commencent à se positionner sur ce dossier avec en toile de fond
l’élection présidentielle de 2007.
A un an de l’élection présidentielle, la concurrence entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin pour représenter la droite
à ce scrutin a probablement fait naître l’affaire Clearstream. La justice dira si le Premier ministre, Dominique de Villepin, a
réellement demandé une enquête - secrète - sur son ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Pour le moment, ce dernier
semble être victime des ambitions présidentielles de son rival. Conséquence : c’est une majorité affaiblie qui se retrouve à
l’Assemblée pour défendre son approche de l’immigration. Car avant l’affaire Clearstream, il y a trois semaines, le
gouvernement a été contraint de faire marche arrière sur le contrat première embauche (CPE) qui devait favoriser
l’embauche des jeunes de moins de 26 ans mais permettait, pendant deux ans, de licencier sans motif.
Nicolas Sarkozy à Bobigny, le 31 octobre 2005.Photo : AFP
Immigration
Ce que dit Sarkozy
[02/05/2006]
C’est dans ce contexte difficile que Nicolas Sarkozy, le numéro deux du gouvernement, présente aux députés son projet de
loi visant à durcir l’immigration. La France, avait dit le ministre de l’Intérieur, début février, en présentant son avant-projet
en comité interministériel, devait passer à une « immigration choisie et non plus subie ». Depuis, le gouvernement a reculé sur
le CPE tandis que les critiques se faisaient toujours plus vives sur l’esprit de cette réforme. Les associations et les
communautés religieuses notamment n’ont pas ménagé leurs critiques concernant cette nouvelle approche des migrations, à tel
point que Dominique de Villepin, le Premier ministre a fini par recevoir, au cours du week-end dernier, le président des
évêques de France et son homologue de la Fédération protestante.
Comme le collectif d’associations « Uni(e)s contre une immigration jetable », ces leaders religieux s’inquiètent de plusieurs
points contenus dans la nouvelle loi Sarkozy qui durcit tout à la fois les conditions d’entrée des étrangers en France et leur
possibilité d’y séjourner dans la durée. Le conseil d’Eglises chrétiennes en France (composé de cinq catholiques, cinq
protestants, trois orthodoxes) a décortiqué les nouvelles mesures. Ces représentants du monde religieux s’émeuvent en
particulier de la carte « compétences et talents » qui « risque d’entraîner une inégalité forte suivant les catégories de
personnes : que penser de cet encouragement à la venue de migrants diplômés ou de haut niveau alors que la situation des
autres est rendue plus difficile ? ».
Une pluie de critiques
Le collectif d’associations qui lutte lui aussi contre cette nouvelle approche de l’immigration dénonce « l’esprit utilitariste »
de cette loi. Elle cherche à sélectionner les candidats en fonction des besoins du marché du travail. « Ne sera acceptable
que l’étranger perçu comme rentable pour l’économie française. Quant aux autres, ni leur situation personnelle, ni leur
situation familiale ne leur conféreront désormais des droits, au point que les régularisations deviendront quasiment
impossibles », indique le collectif.
Militants associatifs et représentants des communautés religieuses ont donc unis leurs forces pour dénoncer la «
précarisation » des étrangers. L’obtention d’une carte de résident sera plus difficile. La période pouvant aboutir au
regroupement familial sera plus longue. La régularisation des sans-papiers, qui intervenait après dix ans de présence sur le
sol français, devrait être supprimée. Là encore, les critiques fusent. C’est une « machine à fabriquer les clandestins »,
commente la Ligue des droits de l’Homme. Car les retours au pays sont rares au bout de dix ans même pour des personnes en
situation irrégulière. « Le texte va institutionnaliser la clandestinité des immigrés en France », estime Catherine Teule,
représentante de la ligue.
La sélection des étudiants étrangers sera également plus sévère. On tiendra compte de leur parcours personnel mais aussi des
« intérêts » de la France et de leur pays d’origine. Et si on ne parle pas de quota permettant à un certain nombre d’étrangers
d’entrer en France chaque année, la future loi prévoit une discussion tous les ans au Parlement pour donner les orientations
de la politique d’immigration. Le nombre de séjours pour travailler, pour étudier ou pour raison familiale sera alors plus
ouvert ou plus restreint selon les circonstances économiques et politiques.
Plusieurs jours avant le début de l’examen du projet de loi par les députés, Nicolas Sarkozy laissait entendre que des
amendements pourraient atténuer la rigueur de la nouvelle législation. Avant même l’ouverture des débats, la commission des
lois de l’Assemblée nationale a entériné la création du Conseil national de l’immigration et de l’Intégration. Il sera composé
de représentants des pouvoirs publics et des associations. Ce conseil devra « établir en toute impartialité les statistiques de
l’immigration ». Ce nouvel organisme sera également habilité à faire des propositions au gouvernement en matière
d’immigration.
Avec la création de ce conseil, le ministre de l’Intérieur espère apaiser les critiques des associations. Mais Nicolas Sarkozy
veut également se montrer ferme sur l’arrivée des migrants pour plaire à l’électorat français le plus conservateur. Il ne doit
pas non plus laisser le beau rôle à Dominique de Villepin qui a « entendu » les critiques de la communauté chrétienne.
Un morceau de choix pour toute la classe politique
Le texte de loi comporte 84 articles. Il sera soumis au vote des députés dans une semaine. Un peu plus de 400 amendements
ont été déposés. Car si l’immigration est un élément du duel Sarkozy-Villepin, elle représente également un morceau de choix
pour toute la classe politique. Hommes et femmes politiques de tout bord ont certainement lu le sondage sur le sujet, publié
ce mardi matin par le quotidien Libération. On y apprend que 46% des Français considèrent l’immigration comme un atout
pour la France. Pour le moment, à douze mois de l’élection présidentielle, chacun est dans son rôle. Marine Le Pen,
vice-présidente du Front national, a déclaré sur une radio française : « On trompe les Français : l’immigration ne sera pas
limitée, et l’immigration choisie va être une immigration supplémentaire ». Pour Philippe de Villiers, président du Mouvement
pour la France (MPF), ce projet de loi est «scandaleux», il «ajoute à l’immigration de peuplement une immigration économique
de travail ». Pour le président du MPF, ce projet est également « indécent » car il instaure « une véritable traite des
cerveaux » au départ des pays pauvres du Sud.
Le Sud, justement, semblait absent de cette nouvelle politique de l’immigration. Pourtant, Nicolas Sarkozy, lors de la séance
de discussion inaugurale, a parlé de la construction de véritables partenariats avec les pays d’origine.
par Colette Thomas
Article publié le 02/05/2006 Dernière mise à jour le 02/05/2006 à 18:25 TU
http://www.rfi.fr/actufr/articles/077/article_43443.asp