Citation de Hegel,
La raison dans l'histoire, traduction Papaioannou, éd. 10/18, p. 259-262 (4)
Dans le mépris des nègres pour l'homme, ce qui est caractéristique, ce n'est pas tant le mépris pour la mort que le manque de respect pour la vie. La vie a aussi peu de valeur que n'en a l'homme. Elle n'a, en effet, de valeur que dans la mesure où il y a dans l'homme, quelque chose d'une valeur supérieure. Le mépris du nègre pour la vie n'est pas un dégoût de vivre, il n'est pas le résultat d'une satiété accidentelle, c'est la vie en général qui n'a pas de valeur pour lui. Le nègre se suicide souvent, quand il est blessé dans son honneur ou quand le roi l'a puni. S'il ne se tuait pas, on le tiendrait pour vil. Il ne pense pas à la conservation de la vie, et même pas à la mort. Il faut pourtant attribuer à ce mépris pour la vie le grand courage, soutenu par une énorme force physique, des nègres, qui se font tuer par milliers quand ils guerroient contre les Européens. Dans la guerre des Ashanti contre les Anglais, les nègres se précipitèrent sur les bouches des canons et ne reculèrent pas, bien qu'il en tombât cinquante à la fois. Car la vie n'a de valeur que là où les fins qu'elle vise ont de la dignité.
Si nous nous mettons maintenant examiner les traits principaux de la constitution, il résulte en propre de la nature des choses qu'il ne peut y avoir vraiment de constitution en Afrique. La forme de gouvernement doit être essentiellement la forme patriarcale. Ce stade de l'évolution a pour caractéristique l'arbitraire déterminé par les sens, l'énergie de la volonté sensible. Et, lorsque l'arbitraire prédomine, les rapports éthiques en sont encore à un stade de tout à fait rudimentaire, car ils ont un contenu essentiellement universel et ils ne considèrent pas la conscience comme existante et valable pour soi dans sa singularité, mais au contraire il ne reconnaissent sa valeur que dans son universalité intérieure, et cela sous des formes diverses, juridique, religieuse ou morale. Là où cet universel est faible ou lointain, la structure politique peut néanmoins être caractérisée de façon que des lois libres et rationnelles gouvernent l'État. Ainsi, comme nous l'avons vu, l'éthique familiale est peu vigoureuse. Quant au mariage et à l'organisation domestique, c'est la polygamie qui prédomine, ce qui détermine l'indifférence réciproque entre parents, entre parents et enfants, et entre enfants mêmes. Ce qui manque ainsi, c'est, d'une manière générale, un liens qui limiterait l'arbitraire. Dans de telles conditions, cette plus vaste association d'individus que nous appelons État ne peut se former, car elle est fondée sur l'universalité rationnelle qui est une loi de la liberté. Une force extérieure est nécessaire pour maintenir ensemble les volontés arbitraires. Par lui-même, en effet, l'arbitraire n'a rien qui pousse les hommes à s'accorder, car il consiste avant tout, pour l'homme, à faire prévaloir sa volonté particulière. C'est alors que se produit le régime du despotisme, dans lequel la force extérieure elle-même est arbitraire, parce qu'il n'existe pas d'esprit rationnel commun dont le gouvernement pourrait être le représentant et le réalisateur. Un maître commande, car la grossièreté sensible ne peut être domptée que par une force despotique. Le despotisme s'impose parce qu'il dompte le libre vouloir qui peut avoir en soi de l'orgueil, mais non de la valeur. Pour cette raison, le libre vouloir du despote est respectable du point de vue formel, car il rend possible la vie en commun, de façon générale, et représente par là un principe supérieur à celui du libre vouloir particulier. Le libre vouloir doit en effet avoir un motif de cohésion, et, que la volonté soit sensible ou réfléchie, cet élément de cohésion ne peut être que la force extérieure. Car le libre vouloir trouve devant lui quelque chose de supérieur et se sent impuissant, il s'agenouille ; mais s'il acquiert le pouvoir, il devient orgueilleux à l'égard de ce qu'il adorait un instant auparavant. Il existe nécessairement, en conséquence, de nombreuses variantes dans les manières dont se manifeste l'arbitraire. Là où précisément nous voyons dominer le plus sauvagement le despotisme, nous voyons aussi qu'il exclut les libre vouloir en retournant contre lui sa propre force. A côté du roi, dans les États nègres, on trouve toujours le bourreau, dont la fonction est extrêmement importante, car il sert au roi pour se débarrasser des suspects, et aux notables pour tuer le roi quand ils en ont envie. Les sujets en effet, qui sont des hommes également violents, limitent, à leur tour, l'autorité du maître. Des compromis sont passés, et, dans l'ensemble, les despotes doivent faire des concessions au libre vouloir des puissants. Le despotisme prend alors la forme dans laquelle il y a au sommet de la hiérarchie un chef, que nous pouvons appeler roi, mais qui a au-dessous de lui des grands, des chefs, des généraux, qu'il doit consulter en toute occasion et sans l'assentiment desquels il ne peut, en particulier, entreprendre des guerres, conclure des traités de paix, imposer des tributs. Il en est ainsi chez les Ashanti, où le roi a comme vassaux de nombreux princes qui paient tribut. Les Anglais eux-mêmes lui paient un tribut qu'il partage avec ses chefs.
Le despote Africain peut, dans cette sphère, exercer une autorité plus ou moins grande, et à l'occasion se débarrasser de tel ou tel chef, par la ruse ou par la violence. Les rois possèdent en outre certains privilèges. Chez les Ashanti le roi hérite de tous les biens laissés par ses sujets. Ailleurs, toutes les jeunes filles appartiennent au roi, et celui qui veut avoir une femme doit lui en acheter une. Mais si les nègres sont mécontents de leur roi, ils le déposent et le tuent. Un royaume encore peu connu, près du Dahomey, et qui a quelque chose comme une histoire propre, est celui du roi de Eyio. Il est situé tout à fait à l'intérieur, là où il n'y a pas seulement de grands déserts arides. Et même, partout où on a pu pénétrer à l'intérieur, on a découvert de grands royaumes. Or, en des temps plus reculés, racontent les Portugais, deux cent mille hommes environ prirent part à une guerre. Le roi de Eyio lui-même possède deux cent mille cavaliers. Comme chez des Ashanti, il est entouré de grands qui ne sont pas inconditionnellement soumis à son libre vouloir. Quand il ne gouverne pas bien, ils lui envoient une ambassade qui lui remet trois oeufs de perroquet. Les envoyés lui tiennent ensuite un discours : ils le remercient de la peine qu'il prend pour les gouverner justement et ajoutent que, pourtant, ses efforts doivent l'avoir trop fatigué et qu'il doit avoir certainement besoin de sommeil pour se reposer. Le roi les remercie pour leurs bons conseils, reconnaît leur bienveillance, et se retire dans la pièce contiguë. Là, pourtant, il ne se met pas à dormir, mais il se fait étrangler par ses femmes. De façon analogue, il y a vingt ans, a été déposé un roi des Ashanti que les cajoleries de sa femme avaient poussé à rester dans royaume de son beau-père. Les grands l'invitèrent à revenir pour la fête annuelle, mais, comme il n'était pas revenu, il nommèrent roi son frère.
Ainsi ce despotisme lui-même, n'est pas complètement aveugle. Les peuples ne sont pas seulement esclaves, ils font aussi valoir leur volonté. En Afrique orientale, Bruce a traversé un État dans lequel le premier ministre est le bourreau, et qui ne peut, cependant, couper la tête à d'autres qu'au roi. Jour et nuit l'épée est ainsi suspendue sur la tête du despote. D'autre part le despote a un pouvoir absolu sur la vie de ses sujets. Là où la vie n'a pas de valeur elle est gaspillée sans égards. Les peuples se combattent dans des batailles sanglantes qui durent souvent jusqu'à huit jours sans interruption et dans lesquelles périssent des centaines de milliers d'individus. Le résultat décisif est déterminé, d'habitude, par un événement accidentel. Alors, les vainqueurs massacrent tous ceux qu'ils peuvent rattraper. De nombreux princes, du reste, ont pour bourreau leur premier ministre. Dans tous les États nègres, dont beaucoup sont voisins entre eux, la même chose arrive à peu près. La dignité de chef est la plupart du temps héréditaire, mais elle s'acquiert rarement de façon pacifique. Le prince est très honoré, mais il doit partager son pouvoir avec ses guerriers. Chez les nègres, aussi, il y a des jugements et des procès. Dans le nord, où les Maures ont propagé l'islamisme, les coutumes sont plus douces. Les nègres avec lesquels les Anglais et entrèrent en contact étaient aussi mahométans.
Cette mentalité des Africains implique qu'ils sont au plus haut degré exposés à subir l'influence du fanatisme. Le pouvoir de l'esprit est si faible chez eux, et si est intense pourtant l'esprit en lui-même, qu'une seule idée qui s'impose à un eux est suffisante pour les pousser à ne rien respecter et à tout détruire. On les voit vivre longtemps de la façon la plus tranquille et la plus débonnaire, mais cette douceur est capable de se transformer, à l'improviste, en fureur. Si peu de choses méritent en elles même du respect et à leurs yeux, que l'idée qui s'empare d'eux devient leur seul mobile et les pousse à tout détruire. Tout idée jetée parmi des nègres est saisie et réalisée avec toute l'énergie de la volonté. Mais, dans la même temps, au cours de cette réalisation, tout est détruit. Ces peuples sont longtemps tranquilles, mais d'un moment à l'autre ils entrent en fermentation et sortent alors complètement d'eux-mêmes. La destruction, qui est la conséquence de ce mouvement violent, a sa raison d'être en ce que ce n'est pas un contenu idéal, une pensée, qui provoque ces impulsions, mais c'est un fanatisme plus physique que spirituel. Nous voyons ainsi, souvent, des populations se précipiter avec une fureur singulière sur la côte est tout massacrer, sans autre raison que la fureur et la folie, avec un courage qui est le propre des seuls fanatiques. Dans ces États, toute résolution a un caractère fanatique, d'un fanatisme supérieur à tout ce qu'on peut imaginer. Un voyageur anglais raconte que, lorsque chez les Ashanti une guerre est décidée, elle est précédée par des cérémonies solennelles : entre autres, les ossements de la mère du roi doivent être lavés avec du sang humain. Comme prélude à la guerre ont, le roi coordonne un assaut contre sa propre capitale, comme pour exciter sa propre fureur. Un peuple qui avait refusé de payer le tribut devant être puni par une guerre, le roi envoya ce message au résident Anglais Hutchinson : " Chrétien, sois sur tes gardes, et veille sur ta famille. Le messager de la mort a mis l'épée au clair et il frappera les têtes de nombreux Ashanti. Quand le tambour battra, ce sera le signal de la mort pour beaucoup. Viens auprès du roi, si tu peux, et ne crains rien pour toi." Le tambour battit ; les guerriers du roi, armés de courtes épées, sortirent pour se livrer au massacre et un carnage terrible commença. Tous ceux que les nègres furieux rencontraient sur leur chemin étaient percés de coups. Cette fois, cependant, il n'y eut pas beaucoup de victimes, car le peuple avait eu vent de la chose et pris ses précautions. En de telles occasions, le roi fait tuer tous ceux qui lui sont suspects, et cette action assume alors le caractère d'une fonction sacrée. La même chose se produit dans les funérailles : tout a le caractère de la sortie hors de soi-même, de l'être hors de soi-même. Les esclaves du défunt sont abattus, la tête, dit-on, appartient au fétiche, le corps aux parents qui le dévorent ensuite. Au Dahomey, quand le roi meurt, une émeute éclate dans son palais, qui est immense. Tout le mobilier et détruit, et un massacre général se produit. Les épouses du souverain (qui sont, comme on l'a dit, 3333), se préparent à la mort. Elles en admettent la nécessité, se parent pour l'occasion et se font tuer par leurs esclaves. Tout lien social, dans la cité et dans le royaume, est rompu. Partout se produisent des meurtres et des vols, et les vengeances privées se donnent libre cours. Dans une occasion semblable, cinq cents femmes furent tués au palais en six minutes. Les hauts fonctionnaires se hâtent de proclamer le nouveau souverain le plus vite possible, pour mettre fin aux débordements et aux carnages.
Le cas le plus épouvantable est celui d'une femme qui, dans l'intérieur du Congo, règne sur les Dschaks. Convertie au Christianisme, elle retomba dans l'idolâtrie, puis se convertit de nouveau. Elle vivait de façon très dissolue, en lutte contre sa mère qu'elle chassa du trône, et elle fonda un État féminin qui se fit connaître par ses conquêtes. Elle répudia publiquement tout amour pour sa mère et pour son fils. Elle broya ce dernier, qui était en petit enfant, dans un mortier, devant l'assemblée, ce barbouilla de son sang, et ordonna que fût toujours prête une provision de sang d'enfants broyés. Ses lois étaient terribles. Elle fit chasser ou assassiner les hommes, et toutes les femmes devaient tuer leurs enfants mâles. Les femmes enceintes devaient quitter le campement et accoucher en secret. À la tête de ces femmes, elle exécuta les plus épouvantables dévastations. Comme des furies, elles détruisaient tout dans le voisinage, se nourrissaient de chair humaine, et, ne cultivant pas la terre, elles n'avaient que le pillage comme moyen de subsistance. Plus tard, il fut permis aux femmes de prendre pour époux les prisonniers de guerre qu'elles faisaient esclaves, et même de leur donner la liberté. Il en fut ainsi de nombreuses années. Il est du reste caractéristique du type de vie africain que les femmes participent à la guerre. Dans l'Ashanti et au Dahomey, il existe un corps de femmes avec lequel le roi accomplit des expéditions militaires. Au Dahomey - celui qui le voudrait pourrait y voir une réalisation partielle de la république platonicienne - les enfants n'appartiennent pas à leur famille, mais reçoivent une éducation publique, et peu après leur naissance ils sont répartis dans les différents villages. Une grande multitude entoure le roi : celui qui veut se marier doit déposer devant le palais quelques thalers et obtient ainsi une femme. Chacun doit prendre celle qui lui est assigné, qu'elle soit jeune ou vieille. Les épouses des rois guident les candidats à l'état conjugal, elles leur donnent d'abord une mère, qu'ils doivent accepter, puis ils doivent revenir une autre fois pour avoir une autre femme.
Il résulte de tous ces différents traits que ce qui détermine le caractère des nègres est l'absence de frein. Leur condition n'est susceptible d'aucun développement, d'aucune éducation. Tels nous les voyons aujourd'hui, tels ils ont toujours été. Dans l'immense énergie de l'arbitraire naturel qui les domine, le moment moral n'a aucun pouvoir précis. Celui qui veut connaître les manifestations épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. Les plus anciens renseignements que nous ayons sur cette partie du monde disent la même chose. Elle n'a donc pas, à proprement parler, une histoire. Là-dessus, nous laissons l'Afrique pour n'en plus faire mention par la suite. Car elle ne fait pas partie du monde historique, elle ne montre ni mouvement, ni développement et ce qui s'y est passé, c'est-à-dire au Nord relève du monde asiatique et européen. Carthage fut là un élément important et passager. Mais elle appartient à l'Asie en tant que colonie phénicienne. L'Égypte sera examinée au passage de l'esprit humain de l'Est à l'Ouest, mais elle ne relève pas de l'esprit africain ; ce que nous comprenons en somme sous le nom d'Afrique, c'est un monde historiquement développé, entièrement prisonnier de l'esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l'histoire universelle."