«
Ces témoignages exclusifs qui accablent le bloc rebelle»
Le Courrier d’Abidjan — Parution N° 714 du Lundi 15 Mai 2006 — http://news.abidjan.net/presse/courrierabidjan.htm :
Théophile Kouamouo a lu le livre de Jacques Vergès,
Crimes contre l’humanité – Massacres en Côte d’Ivoire, éditions Pharos.
L’article de Théophile Kouamouo paru dans
Le Courrier d’Abidjan :
«Livre – L’ouvrage du célèbre avocat français Jacques Vergès vient de sortir en France. Il est une bombe qui va faire très mal aux rebelles ivoiriens, dont les crimes sont diffusés en mondovision. Il met aussi en cause la politique de la France en Côte d’Ivoire, et met en lumière une preuve en béton qui démasque le Burkina Faso de Blaise Compaoré.
Le livre a mis plus de six mois pour arriver sur le marché, mais il est enfin là. «Crimes contre l’humanité – Massacres en Côte d’Ivoire» du célèbre avocat français Jacques Vergès est disponible dans les grandes librairies parisiennes et sera à Abidjan dans quelques jours. C’est un vrai «abécédaire de l’horreur», qui recense des dizaines de témoignages accablants pour Guillaume Soro, ses bandes armées et ses commanditaires de l’ombre. L’on peut considérer que ce livre, qui précède des actions judiciaires qu’intentera Jacques Vergès, est le premier pas que font les membres illustres du bloc rebelle ivoirien vers les tribunaux internationaux. En tout cas, l’ouvrage de Jacques Vergès se pose d’ores et déjà comme l’anti-«Comment je suis revenu un rebelle» de Guillaume Soro, conçu par des journalistes de RFI, et édité à grands renforts de publicité par une firme qui est également spécialisée dans la vente d’armes, Hachette. «Crimes contre l’humanité – Massacres en Côte d’Ivoire», c’est la guerre vue non du côté de ceux qui l’ont conçue, financée et exécutée et qui s’auto-congratulent dans un concert indécent, mais du côté des victimes, qui en ont souffert atrocement et dont on veut étouffer la douleur. Il aurait pu s’appeler «Le cri que tu pousses n’intéresse personne» comme un célèbre ouvrage sur le Rwanda.
Pourquoi Jacques Vergès, «l’avocat des causes perdues» comme on l’appelle en France, a choisi de dénoncer le Meurtre en Côte d’Ivoire ? Il s’en explique en quatrième de couverture : «Hommes, femmes, enfants, vieillards abattus à la kalachnikov à bout portant… Personnes brûlées vives, blessés achevés à l’arme blanche, civils et militaires enfermés dans des cases auxquelles ont met le feu, corps brûlés puis exposés dans les rues, civils descendus, drapeaux blancs agités en vain, charniers, enfants violentés, gorges tranchées, corps disloqués, inhumations collectives, enlèvements, viols, rançons… Un pays à feu et à sang… Des massacres impunis… Comment arrêter la machine infernale… Cette spirale de l’effroi qui a transformé en quelques années un paradis en enfer, dans ce pays où la loi pourtant déclare haut et fort en noir sur blanc que : «la personne humaine est sacrée !» Constitué par les parents des victimes des massacres de Bouaké et de Duékoué en Côte d’ivoire, pour les assister dans les procédures en cours, j’ai pris la responsabilité de rendre publics leurs témoignages afin que les assassins et leurs commanditaires sachent qu’ils n’échapperont pas au châtiment de leurs crimes et que le temps de l’impunité est passé. Ce que je veux, c’est faire éclater la vérité», écrit Jacques Vergès.
C’est le résultat de ses auditions qu’il met à la disposition du public. Le résultat donne, à première vue, un sentiment de froideur, comme si l’horreur à l’état brut nous était balancée au visage. Mais la lecture de l’ouvrage nous permet de reconstituer des pans de l’Histoire récente de la Côte d’Ivoire, dès le 19 septembre 2002.
Terreur rebelle en début de crise
Les témoignages des parents des victimes nous fait voyager dans les dédales de la crise. Au départ, il y a cette nuit terrible du 18 au 19 septembre. Elle est racontée par des personnes l’ayant vécu à Abidjan, Bouaké et dans le Nord.
Abidjan. Atchoué Gogo Solange, concubine du capitaine Niava Achille, mère de quatre enfants, raconte avec amertume comment son mari, en service à l’état-major, a trouvé la mort. «Le 18 septembre, mon mari m’a annoncé que son supérieur l’avait désigné pour être de permanence le lendemain. Il en était mécontent car il avait terminé ses tours de permanence et il devait être en congé à la fin du mois. Mais vous savez, dans l’armée, on n’a pas le droit de désobéir à son supérieur. Il s’est donc retrouvé à l’état-major pour effectuer sa permanence. J’étais à la maison, je croyais que mon mari allait rentrer retrouver sa petite famille le lendemain. Or c’est sa mort que ma famille est venue m’annoncer. Quelle grande désolation ! J’étais enceinte de deux mois et demi, avec trois enfants mineurs et je préparais mon mariage. Son supérieur, qui l’avait obligé à travailler le jour de l’attaque, n’avait pas été fichu de se rendre sur le lieu du crime. Ce n’est que dix-sept jours après l’attaque, que le général Doué Mathias, alors qu’il effectuait une visite de routine, a trouvé mon mari mort baignant dans une mare de sang.»
Lokpo Rachel raconte que son mari, Lignon Raoul, membre de la garde rapprochée de Vagba Fassignaux, alors commandant de la marine nationale, a été tué. «Quand la guerre a éclaté, mon mari était de repos. Il était donc à la maison. Mais il devait porter secours et assistance à son patron car il était chargé de sa sécurité. Il est donc sorti pour raller à la base navale (Abobodoumé).Et c’est en chemin qu’il a été attaqué. Grièvement blessé, il a été transporté par ses pairs à la PISAM. Mais malheureusement, il a succombé à ses blessures.» Le colonel Yodé Gnoléba Jean a lui aussi été victime d’une embuscade, comme l’explique son épouse. «Résidant dans la commune de Yopougon, quartier Bopim, à Abidjan, le colonel Yodé a été réveillé dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 par des tirs d’armes lourdes. A son réveil, aux environs de 4 heures du matin, il a reçu l’appel téléphonique du colonel Guiai Bi Poin de la gendarmerie nationale de Côte d’Ivoire qui lui a appris que le camp de la gendarmerie était encerclé par des individus qui tiraient dans tous les sens. Le colonel Yodé a pensé à une mutinerie et il a promis de rejoindre le colonel Guiai Bi Poin. A 5 h 45, mon mari est sorti de la maison pour participer au rassemblement prévu selon lui à 7 heures, à l’état-major des armées, au camp Gallieni. En route, il est tombé dans une embuscade montée par les rebelles sur l’autoroute du Nord. Il est abattu à 6 heures 10, non loin de la station Shell.» Le caporal Fléan Richard était quant à lui en service à la Maison d’arrêt militaire d’Abidjan (MAMA), située au camp Galliéni. «Il était de garde (…) avec ses collègues d’armes, lorsque pendant la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre 2002, à 2 heures du matin, des coups de fusil ont résonné dans le camp. En bon militaire, il a pris son arme et est allé voir ce qui se passait aux alentours de la Mama. Quelques assaillants armés l’ont alors attaqué en réclamant la libération de leurs camarades détenus. Comme il refusait de leur remettre les clés des cellules, il a été abattu à coups de fusil», raconte son épouse Marie-Angèle. Dans une interview à la revue française Politique internationale, Guillaume Soro affirmait avoir lui-même supervisé l’attaque d’Abidjan. Il est donc responsable au premier chef des tueries occasionnées dans la métropole ivoirienne. Il s’expliquera devant ses victimes et les tribunaux internationaux.
Bouaké. Nombreux et révoltants sont les témoignages de dames qui ont vu leur mari tué devant leurs enfants, leurs enfants raflés pour ne plus jamais revenir. Mais le plus important est que ces témoignages nous permettent de faire remonter la chaîne de commandement et désignent nommément les responsables directs des massacres des gendarmes et de leurs enfants. Ainsi de celui de Mme Koléa, née Deho Marguerite. «Dimanche 6 octobre 2002, tous les gendarmes de la ville de Bouaké sont réfugiés dans leur camp. A l’entrée, ils ont hissé des drapeaux blancs en signe de paix. Ces gendarmes, qui avaient été attaqués à l’armement lourd dix-sept jours auparavant, soit le vendredi 20 septembre 2002, étaient à bout de munitions et n’avaient donc plus de véritable moyen d’autodéfense. Le 6 octobre, entre 12 heures et 14 heures, les gendarmes et leurs familles entendent des coups de sifflet et voient leur camp encerclé par des assaillants. Ils sont sommés de sortir immédiatement des casernes avec leurs enfants garçons âgés d’au moins 12 ans, faute de quoi ils seraient abattus sur-le-champ avec leurs familles. Malgré leur réticence, ils exécutent les ordres des rebelles. Certains enfants sont emmenés par camion, tandis que d’autres vont à pied avec leur père. Tous sont surveillés par les rebelles. Certains seront lapidés en cours de route avec toutes sortes d’objets tranchants par les partisans de la rébellion. Ils sont convoyés à la base militaire du 3ème bataillon des assaillants où ils sont enfermés dans une même cellule beaucoup trop exiguë pour les contenir tous. Soudain, le ciel s’assombrit et des rafales assassines s’abattent sur ces gendarmes et leurs enfants. Les assaillants menés par leur chef d’alors, Tuo Fozie, veulent éliminer toute espèce de vie humaine. 2. Tuo Fozie a refusé catégoriquement de libérer les enfants qui selon lui étaient des espions à la solde du pouvoir. Les supplications des gendarmes n’ont été d’aucun effet sur ce chef rebelle qui est resté inflexible. Les jours suivants, les tueries ont continué sans relâche. Les blessés devaient aller jeter les cadavres de leurs collègues dans une fosse commune. Mais ils ne revenaient jamais dans la cellule, ils étaient sans aucun doute assassinés après leur besogne par les rebelles. Ainsi, après toutes ces tueries, il ne restait plus qu’une vingtaine de survivants sur la centaine de personnes – gendarmes et enfants – capturés à Bouaké. Après deux semaines d’emprisonnement dans des conditions très pénibles, les gendarmes rescapés ont réussi à obtenir, après maintes négociations, la libération des enfants survivants. Un mois après, les quelques gendarmes encore en vie seront eux aussi libérés grâce au paiement de près d’un million de francs par leur famille. En un mot, il est indéniable que nos maris et nos enfants ont été tués par les rebelles de Soro. Aujourd’hui, à la gendarmerie, nous sommes 113 familles sans secours.» Edifiant !
Les enfants de feu le colonel Dagrou Loula racontent, eux aussi. «Tout commença dans la nuit du 18 septembre. Papa revenait d’un voyage lorsque, aux environs de 3 heures du matin, nous avons entendu de grands coups de feu en direction de la maison. Les tirs se faisaient de plus en plus intenses et le téléphone s’est mis à sonner sans discontinuer. Nous avons d’abord cru qu’il s’agissait de voleurs. En fait, une bande armée avait encerclé notre maison qui était située dans le camp. Dès leur arrivée, les rebelles ont ordonné à papa de sortir de chez lui ; ils ont menacé d’abattre tous les enfants de la cour, sinon… Pour nous protéger, papa s’es rendu aux assaillants qui lui ont demandé de donner les clés de la poudrière. Papa était le colonel de la base, un bataillon d’artillerie sol-sol, mais il leur a répondu qu’ils ne les avaient pas. Après que papa soit sorti dehors, les rebelles nous ont rassemblés dans un coin de la maison. Papa était dans la cour avec d’autres rebelles avec qui il essayait de négocier. Les discussions ont continué comme les coups de feu jusqu’à six heures du matin. Puis, quand tout est redevenu calme, aux environs de 7 heures, nous sommes sortis de la maison. Nous avons alors vu un corps qui gisait dans la cour. Il était recouvert de feuilles d’acacia et un sachet jaune oublié était à côté de lui. Nous nous sommes approchés du cadavre et là nous avons découvert notre père, complètement mutilé. Il avait reçu plusieurs balles dans la poitrine et deux balles sur chaque cuisse. Il avait été également poignardé dans le dos et ses veines avaient été tranchées.»
Certains témoignages sont proprement horrifiants. Comme celui d’une épouse de gendarme qui raconte : «Mon mari était un militaire robuste et courageux ; il mesurai 1, 97 m et il a fallu vingt-cinq assaillants pour l’encercler, le jeter à terre et le traîner sur presque un kilomètre avant de lui donner des coups de poing et de pied dans le ventre, avant de l’égorger et de boire son sang.»
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