Aujourd’hui, c’est un moment historique dans une île dont aucun de ceux qui se gargarisent de la mémoire de l’esclavage ne s'inquiète. Le président René Préval, élu le 7 février dernier, va enfin pouvoir prendre ses fonctions et mettre fin à deux années de macoutisme accompli sous l’égide de la "communauté internationale". Je suis absolument sidéré qu’aucun Antillais ni Guyanais ne se soucie d’Haïti, mémoire vivante de l'esclavage français. En 2004, lorsque Jean-Bertrand Aristide a été déposé par un coup d’État appuyé par la France, il n’y a pas eu un seul Antillais, un seul Guyanais, un seul Afro-Français, à ma connaissance, pour protester. Que disait Taubira à cette époque ? Que disait Dieudonné ? Que disait Lozès ? Que disait Bilé ? A-t-on entendu le moindre murmure de protestation ? Non, rien que des applaudissements et des vociférations racistes contre le nègre sanguinaire qu'était devenu Aristide, jeté en pâture aux chiens de garde. Pourtant, si l’Outre mer et l'Afrique avaient fait bloc, la France aurait eu une attitude plus digne et plus prudente. On aurait épargné dix mille vies humaines. Bien au contraire, ils n’étaient pas rares les Antillais et les Africains qui reprenaient la ritournelle des médias français, unanimes pour vilipender le supposé tyran, Haïti, et l’ « homme noir» en général.
Pour avoir été l’un des rares Français, si ce n’est le seul, à protester contre l’enlèvement d’un président élu qui n’avait rien fait que de demander à la France de rembourser à Haïti les 90 millions de francs extorqués en 1825, j’ai eu droit à beaucoup d’insultes. J’y ai encore droit aujourd’hui. Stephen Smith, qualifié de « spécialiste » par Libération (son ancien employeur), me traite encore de « laudateur rémunéré » d’Aristide, reprenant ainsi les ragots colportés par quelques macoutes du Cran. Spécialiste de quoi ? Du racisme ? Du génocide rwandais ? Smith a écrit que les Africains se « bouffaient entre eux » et, depuis douze ans, il nie que la France ait eu la moindre implication dans le génocide des Tutsis. Seulement, comme il est journaliste au Monde, chacun de baisser son pantalon. Cela n’a pas beaucoup d’importance car aucun intéressé n’est assez stupide pour acheter l’ouvrage qu’il vient de sortir avec sa femme (Géraldine Faes) et avec lequel, comme d’habitude, il pensait se faire du beurre sur le dos des nègres. Smith devrait pourtant être réservé sur les ragots et les rumeurs. On le qualifie bien, lui, d’agent de la CIA, ce qui, évidemment, expliquerait bien des choses. Mais ce ne sont là que calomnies.
Oui, Jean-Bertrand Aristide est devenu un ami depuis son départ en exil. «Plus qu’un ami, un frère» m’a-t-il demandé de préciser, voici quelques jours. Je suis allé le voir (à mes frais) en février 2005 à Prétoria. J’étais très ému parce que c’était la première fois que j’allais en Afrique d’où mes ancêtres étaient partis il y a si longtemps, enchaînés par les négriers français. Je me suis réveillé dans l’avion au-dessus du Kilimandjaro avec l’impression de revenir après une longue absence. Aristide, toujours très croyant et pratiquant, m’avait demandé de lui apporter un livre religieux. En échange, il m’a offert un petit cadeau. Un carnet noir vierge «Moleskine» (le bloc-notes fétiche d’Hemingway) d’une valeur de 15 euros dont je me suis servi pour écrire mon dernier livre, Les nègres de la République (à paraître). Je ne suis pas le seul ami d’Aristide. La liste de ses sympathisants est plus relevée, me semble-t-il, que celle de ses ennemis. On y trouve, à mes côtés, Danny Glover, Nelson Mandela, Thabo Mbeki, le Black Caucus, les 53 pays de l’Union africaine (dont il est l’hôte en Afrique du Sud) et les 14 pays de la Caricom qui, depuis deux ans, ont mis Haïti au ban de leur organisation. Je ne sais si tous ces gens ont été rémunérés, mais cela doit représenter une sacrée somme, mon pauvre Smith ! Je pense que si Aristide avait payé des gens en France pour dire du bien de lui, on aurait dit du bien de lui, ce qui ne fut pas le cas. Je crois plus volontiers que c’est, au contraire, pour dire du mal de lui que certains Français et Haïtiens vivant en France ont été payés. Pas forcément en espèces sonnantes et trébuchantes, mais en contrats d’édition, en postes universitaires, en voyages, en visas, en articles louangeurs dans les tabloïds aux ordres. Demandez plutôt à Laënnec Hurbon, Christophe Wargny et consorts. En ce qui me concerne, j’ai reçu une lettre le 13 novembre dernier, signée du Premier ministre, auquel je n’avais rien demandé, m’indiquant qu’il me nommait à la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme à cause de mon engagement en faveur desdits droits de l’Homme. Le Premier ministre était en charge des Affaires étrangères au moment du coup d’État de 2004 et on peut le croire bien informé. Je suppose que si Aristide avait violé les droits de l’Homme comme le lui reprochent ses détracteurs, on n’aurait pas installé à la commission française des droits de l’homme le seul Français qui le défend. Cette nomination a suscité quelques protestations dont celle du servile Jacky Dahomay, petit prof certifié de philo de la Guadeloupe prosterné devant le pouvoir dans l’espoir d’un avancement. Honte à toi, triste émule de Pélage et d'Ibo Simon, nègre jaloux, naguère membre de la commission de Régis Debray qui, aux frais de la République française, te régalais jusqu'à t'en rendre malade à l’hôtel "Villa Créole" de Pétionville ! Tu ne t’en souviens plus maintenant que tu es remis de ton indigestion putschiste? Les Haïtiens, eux, se souviendront de toi.
La grande inquiétude de certains journalistes hexagonaux est de savoir si Aristide va enfin pouvoir rentrer chez lui. Si Aristide n’était pas populaire, ils ne se poseraient pas la question. Tout ce que je peux dire, c’est qu’Aristide n’est pas hostile à Préval et que Préval a été élu par les voix de ceux qui ont élu Aristide et qui attendent son retour depuis plus de deux ans. Je peux dire aussi que j’ai d’excellentes relations avec Préval qui vient d’être très officiellement invité par le président Jacques Chirac. Son homologue haïtien atterrira sur le territoire français dans la matinée du 21 juin 2006. J’espère que le Président français aura, ce jour là, un mot et une pensée pour le million d’esclaves que la France a déportés en Haïti, occasionnant cinq millions de morts en Afrique. Notre Jacquot se souviendra, je l’espère, que le général Dumas était l’un de ces esclaves.
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