Le Devoir
Le Monde, vendredi 8 novembre 2002, p. A5
Entrevue avec le président de SOS-Esclaves
L'esclavage est aussi dans la tête
AFP
Dakar - "J'ai 57 ans, et depuis le lycée, je me bats contre ceux qui me traitent d'esclave... Moi-même, j'ai mis 50 ans de ma vie à me libérer, à me décomplexer", déclare Boubacar Ould Messaoud pour montrer combien le problème de l'esclavage en Mauritanie est complexe et enraciné dans les esprits.
Descendant d'esclaves, M. Messaoud est le président de l'ONG SOS-Esclaves, non reconnue par les autorités mauritaniennes mais qui milite activement, depuis Nouakchott, contre l'esclavage et ses "séquelles".
L'esclavage "concerne toutes les sociétés, qu'elles soient blanches ou noires, les sociétés maures comme négro-africaines", a-t-il affirmé lors de la conférence de presse organisée à Dakar par Amnesty International pour le lancement d'un rapport sur l'esclavage en Mauritanie. Pour lui, il faut un changement profond des mentalités. "Ce n'est pas une question de supériorité des Blancs sur les Noirs, c'est une question de société", a-t-il dit, citant même le cas d'une petite communauté ayant des "esclaves blancs".
El Joumaa Ould Maïssara, 52 ans, se présente comme un ancien esclave. Il raconte comment sa mère, esclave, s'est enfuie vers le Sénégal alors qu'il avait huit ans. Il a grandi avec ses maîtres, explique Messaoud, qui traduit ses propos. "Je travaillais nuit et jour, j'étais berger et je faisais les travaux domestiques, je n'ai jamais fait l'école, je n'ai jamais appris le français", dit-il.
En 1970, il n'a "plus accepté d'être esclave" et est allé dans la capitale, Nouakchott, où il s'est engagé dans l'armée. Il vit aujourd'hui librement, dit-il, tout en affirmant qu'une de ses cousines est "encore avec ses maîtres", avec ses six enfants. "Elle pense qu'elle ne peut pas vivre sans ses maîtres, que si elle les quitte, elle aura contrevenu à la loi divine, explique Maïssara. De ses six enfants, aucun ne va à l'école, affirme-t-il. Quand ils seront grands, ils seront peut-être comme elle... "
Les autorités semblent considérer "qu'on ne doit pas dénoncer les travers de notre pays", déplore M. Messaoud, affirmant pourtant que ce n'est pas parce qu'il dénonce l'esclavage qu'il veut "la rébellion". "On ne veut pas la violence, car tout ce que donne la violence, elle l'arrache par ailleurs", dit-il, affirmant vouloir mener un "combat honnête".