Le Devoir
ÉDITORIAL, mardi 27 avril 2004, p. A6
Les esclaves du Soudan
Truffaut, Serge
Afin d'imposer sa loi aux Africains anémistes et musulmans concentrés dans le sud du Soudan, le gouvernement central de Khartoum a accordé tous les droits possibles et inimaginables à des miliciens arabes surnommés janjawids (cavaliers) ou peshmergas (combattants). Entre février 2003 et aujourd'hui, ces miliciens ont massacré 10 000 personnes et ont multiplié les viols. Qui plus est, ils ont conjugué leurs actes avec la fièvre la plus prononcée qui soit, obligeant près d'un million de personnes à fuir les environs. Enfin, comme leur soif de destruction était sans fin, ils ont réduit à l'esclavage des milliers de gamins et de gamines.
À ce propos, celui de l'esclavagisme, peut-être faut-il rappeler que ce pays en cultive la tradition. C'est là qu'a été «inventé» le servage. C'est là, ainsi qu'en Mauritanie, qu'il prospère. Selon des rapports portant l'empreinte de l'UNICEF, l'Organisation internationale du travail, l'Anti-Slavery International, la Ligue des droits de l'homme, le Comité contre l'esclavage moderne et surtout l'ONU, on peut s'acheter des enfants au marché de Khartoum pour quelques dollars. On a évoqué l'ONU? C'est d'elle qu'il faut parler aujourd'hui.
Il y a trois jours à peine, la Commission des droits de l'homme des Nations unies a essayé d'imposer le motus et bouche cousue sur son dernier rapport consacré à la question. Grâce à des journalistes suisses, des pans de ce rapport ont été dévoilés obligeant du coup cette organisation à publier le texte. Une majorité des membres de la Commission ne voulaient pas que l'on sache ce que l'on sait aujourd'hui. À savoir que, en ce qui concerne le Soudan, ils ont opté pour la solution la plus molle, pour ne pas dire la plus lâche qui soit. De quoi s'agit-il? Dépêcher sur les lieux un envoyé spécial.
Plus exactement, on entend «désigner un expert indépendant sur la situation des droits de l'homme au Soudan pour un mandat d'une année et le prier de soumettre un rapport intérimaire à l'Assemblée générale et faire rapport à la Commission des droits de l'homme». Récapitulons. Depuis février 2003, les miliciens du nord tuent, pillent et violent. Ils font même des razzias. Et que proposent les membres de cette institution? Une enquête d'un an. CQFD: on accorde à ces milices une rallonge de temps.
Il en est ainsi parce que la majorité des pays qui siègent à la Commission des droits de l'homme des Nations unies sont eux-mêmes des violateurs de ces droits. De fait, on ne s'étonnera pas d'apprendre que des pays comme le Zimbabwe, le Pakistan, Cuba, la Russie et plusieurs autres du même acabit se sont opposés à l'amendement qui visait à prendre acte du fait que ce qui se passe au Soudan relève des crimes contre l'humanité. Point.
Catégorie : Éditorial et opinions
Sujet(s) uniforme(s) : Droits et libertés; Politique extérieure et relations internationales
Type(s) d'article : Article
Taille : Moyen, 335 mots