La Presse
Actualités, mardi 10 décembre 2002, p. A13
La Presse à Washington
Un raciste à la tête du Sénat américain?
Le révérend Jesse Jackson demande la démission du sénateur Trent Lott
Hétu, Richard
LE MOIS prochain, Trent Lott, sénateur républicain du Mississippi, devrait reprendre son rôle de leader de la majorité au Sénat des États-Unis, en vertu des gains de son parti lors des élections de mi-mandat du 5 novembre. À moins que, d'ici là, il démissionne de cette puissante fonction, comme l'exigent deux politiciens noirs, Jesse Jackson et Al Sharpton, qui tiennent peut-être une cause gagnante.
Le 5 décembre dernier, Lott participait à une fête en l'honneur de Strom Thurmond, sénateur républicain de la Caroline du Sud, qui célébrait à la fois son 100e anniversaire et son départ de la politique. Thurmond est connu surtout pour sa longévité et sa campagne présidentielle en 1948, à titre de candidat du Dixiecrat Party, une formation ségrégationniste. À l'époque, il promettait de défier "toutes les lois de Washington et toutes les baïonnettes de l'armée" pour empêcher les Noirs d'entrer dans "nos maisons, nos écoles, nos églises".
Lors de la fête du 5, Lott a rappelé que son État natal, le Mississippi, avait voté en majorité pour Thurmond en 1948, comme d'autres États du Sud profond. "Nous sommes fiers (de ce vote)", a déclaré le plus important des législateurs républicains à Washington. "Et si tout le reste du pays avait suivi notre exemple, nous n'aurions pas eu tous ces problèmes au cours de toutes ces années."
Les propos de Lott ont été diffusés en direct par la chaîne câblée C-SPAN. Ils ne dominent pas encore les discussions à Washington, mais ça pourrait changer. Et Jackson et Sharpton ont réclamé la tête du sénateur au cours des deux derniers jours.
"Trent Lott doit démissionner, a soutenu le révérend Jackson dans un communiqué dimanche. Il doit représenter tous les Américains comme leader de la majorité au Sénat, mais il a prouvé une fois de plus qu'il n'est intéressé qu'aux confédérés."
Les confédérés, pendant la guerre de Sécession, étaient ceux qui se battaient pour le maintien de l'esclavage dans les États sudistes.
Le révérend Sharpton a également dénoncé les propos de Lott hier, les qualifiant de "racisme patent". Rêvant de briguer la présidence des États-Unis en 2004, le démocrate a indiqué qu'il lancera une campagne nationale pour forcer le sénateur du Mississippi à démissionner.
Par la voix de ses porte-parole, le sénateur Lott a nié avoir la nostalgie de l'ère ségrégationniste, où les Blancs du Sud avaient leurs propres écoles, leurs propres toilettes, leurs propres fontaines, et où la plupart des Noirs n'avaient pas le droit de vote.
L'ancien vice-président Al Gore s'est néanmoins joint à Jackson et Sharpton pour dénoncer les propos de Lott qu'il a jugés "racistes". Certains commentateurs conservateurs ont également critiqué le sénateur. L'un d'eux, Andrew Sullivan, a même réclamé sa démission.
"Nous sommes peut-être sur le point de demander à des milliers de jeunes (Noirs) de risquer leurs vies pour (leur) pays. Et le leader du Sénat souhaite publiquement qu'ils soient encore soumis aux lois ségrégationnistes. C'est dégoûtant", a écrit l'auteur du blogue AndrewSullivan.com.