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 Crimes économiques impunis

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mihou
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mihou


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10052006
MessageCrimes économiques impunis

Crimes économiques impunis

Alors que l’étau juridique international se resserre sur les dictateurs et les criminels de guerre, les crimes économiques demeurent largement impunis. En effet, issu de rapports de forces, le droit reflète la lâcheté des Etats, la pression des multinationales et la marginalisation des citoyens dans le processus de création juridique. Pourtant, des espaces et des moyens d’action existent pour changer le contenu du droit international.



Par Nuri Albala
Avocat, responsable international de Droit-Solidarité, membre du conseil scientifique d’Attac.






En quelques années, la justice internationale a réalisé de notables progrès. Les Etats ont adopté des textes et mis en place des organismes internationaux destinés à châtier les criminels de guerre et les auteurs d’atteintes aux droits humains ; ils ont créé des règles et des juridictions internationales afin d’assurer la liberté du commerce. Mais qu’ont-ils établi pour la poursuite des crimes économiques ? Rien.

Il existe des cours destinées à régler les désaccords entre Etats - la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, par exemple -, mais aussi des juridictions permettant à des citoyens de demander des comptes à un Etat pour atteinte aux droits humains : Cour interaméricaine des droits de l’homme, Cour européenne des droits de l’homme, etc. Un demi-siècle après le tribunal de Nuremberg, on a finalement créé des tribunaux pénaux internationaux sur le Rwanda et sur l’ex-Yougoslavie, et, en mars 2003, la Cour pénale internationale (CPI (1)).

De même, un nombre important de pays acceptent d’adhérer aux conventions internationales sur le génocide, les crimes contre l’humanité et leur imprescriptibilité, allant parfois jusqu’à abroger les lois d’amnistie qu’ils avaient promulguées - comme récemment l’Argentine. Certains juristes estiment même que les crimes contre l’humanité, en raison de leur nature particulière, devraient pouvoir être poursuivis devant les tribunaux de n’importe quel pays (2). Voilà de quoi inquiéter les dictateurs, qui apprennent peu à peu qu’ils ne seront pas toujours à l’abri des poursuites, y compris à l’intérieur de leur propre pays.
Les serviteurs de leurs maîtres

Cependant, ces progrès n’affectent pas un phénomène essentiel : en général, les dictateurs arrivent au pouvoir - et surtout s’y maintiennent - avec l’appui déterminant des véritables bénéficiaires des dictatures, c’est-à-dire des groupes économiques nationaux ou internationaux dont les despotes sont, en fait, le bras armé : du Chili au Nigeria ou à la Birmanie, les assassins sont en grande partie les serviteurs de leurs maîtres. Ces maîtres-là, beaucoup de bonnes âmes qui se réjouissent des progrès du droit international trouvent normal (ou inévitable ?) de les laisser en paix. Or les crimes qui font le plus de victimes, on le sait, sont les crimes économiques.

Le droit, les institutions internationales ne se désintéressent pas des activités des agents économiques. Mais elles le font d’une façon particulièrement biaisée. Depuis près de dix ans, il existe une juridiction internationale qui se voudrait discrète, l’Organe de règlement des différends (ORD). Créé au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, il statue contre les Etats qui violent le sacro-saint principe de la liberté du commerce et de la concurrence (3). En revanche, les crimes commis par les firmes transnationales demeurent largement hors d’atteinte. Par exemple, les actions en justice intentées en Belgique par des victimes birmanes contre Total pour travail forcé sont restées lettre morte.

Cette quasi-impunité des sociétés vient, pour beaucoup, de l’absence de définition juridique internationale des crimes économiques ; de plus, le droit international vise rarement les personnes morales, qui sont ainsi expressément exclues de la compétence de la CPI. Le crime ne pourra donc être attaqué qu’en visant l’Etat lui-même, Etat donneur d’ordres ou Etat sur le territoire duquel le crime a été commis. La difficulté tient alors au fait que l’Etat hôte ne se sent souvent pas tenu de respecter les conventions internationales (la Birmanie, par exemple, s’abstient de ratifier de tels textes). Les Etats qu’on croirait plus respectueux du droit, lorsqu’ils abritent le siège social de la firme fautive, craignent quant à eux de les voir se délocaliser s’ils adoptent des normes trop exigeantes ou trop coûteuses (4).

Ce déséquilibre du droit international s’explique simplement. Au sein de beaucoup de pays, les opinions souhaitent que les auteurs de crimes contre l’humanité soient châtiés, et le font savoir. Bon gré mal gré, à l’écoute de cette demande, les gouvernements acceptent de créer des institutions judiciaires adéquates. De leur côté, les grandes entreprises transnationales ou nationales exigent avec force non seulement la libéralisation du commerce, mais encore la soumission des Etats aux règles de cette libéralisation. Ceux-ci (qui, attachés à leur souveraine liberté d’action, répugnent en général à se faire critiquer en matière de respect des droits humains) acceptent sans états d’âme d’être jugés pour atteinte à la liberté du commerce... En revanche, les forces qui demandent que soient définis et poursuivis les crimes commis par les sociétés transnationales ne sont pas (pas encore ?) assez puissantes pour que nos gouvernants se croient autorisés à prendre de telles initiatives.

Si l’on écrit beaucoup sur la nécessaire prééminence de la règle juridique, voire sur l’établissement d’un Etat de droit international, on s’abstient souvent de questionner la notion même de droit. Or le droit n’est pas une matière stable ; il dépend de la manière dont il est produit ; il peut être changeant lorsque change celui qui l’édicte ou celui qui doit l’interpréter, l’appliquer, l’utiliser... (5). Pour Karl Marx et pour la plupart des juristes aujourd’hui, le droit est l’expression des rapports de forces existant à un moment donné dans la société. Plus simplement, celui que les institutions humaines (tribunaux, cours, etc.) vont devoir appliquer est lui-même produit par des institutions humaines : on ose à peine écrire cela, qui paraît un truisme, mais à quoi on n’a, à l’évidence, pas suffisamment réfléchi. Le président Jacques Chirac illustre cette réalité lorsqu’il déclare, lors de sa tournée en Afrique en octobre 2003, qu’il faut favoriser « une immigration légale (6) ». Cela signifie que le gouvernement français va définir comme il l’entend, à sa façon, ce qui est légal et qu’ensuite il va se targuer de son respect de la légalité...

Il ne faut donc pas sacraliser le droit, même si l’obligation de le respecter représente un progrès des sociétés humaines depuis le siècle des Lumières. Il existe notamment des hiérarchies, et tout l’édifice des conventions internationales qui se construit depuis dix ans revient concrètement à faire du commerce et de ses règles le principe général, et de la protection sociale ou environnementale l’exception (7). Or en droit, pour appliquer un texte, il faut souvent l’interpréter ; et l’exception (ici la protection sociale, le respect de l’environnement, la diversité culturelle...) s’interprète on ne peut plus strictement pour porter la plus petite atteinte possible à la règle générale (liberté du commerce et de l’industrie) !
Des Parlements et des citoyens exclus

La construction du droit international se fait en très grande partie par les gouvernements : on fait très peu de cas, dans son élaboration, de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Les traités sont négociés par les seuls exécutifs ; les représentants des citoyens, c’est-à-dire les Parlements, n’interviennent qu’après coup pour ratifier ou ne pas ratifier la convention sans pouvoir en modifier le contenu (Cool. Les règles qui doivent être internationalement applicables en matière de justice sont ainsi dictées par les Etats les plus puissants et par le pouvoir des transnationales. Par conséquent, si l’OMC et son ORD acquièrent autant de puissance tout en refusant de se soumettre aux textes protégeant les droits des peuples et des citoyens, c’est bien parce que les Etats le veulent, le souhaitent, l’acceptent et que nos gouvernants sont davantage prêts à se soumettre aux « lois » du commerce transnational qu’au droit des relations internationales (9)...

Les citoyens et les peuples peuvent-ils changer le cours du droit international et (re)trouver leur pouvoir de décision ? C’est possible : d’abord en se réappropriant toute leur culture juridique, composante essentielle du patrimoine démocratique depuis 1789. Les droits fondamentaux constituent une arme puissante qui, bien comprise, permettrait d’enrayer le déferlement d’un droit tout entier fondé sur la primauté du commerce et du profit. Le rappeler participe de la pression civique contre la résignation et la loi du plus fort (ou du plus riche) qu’on essaie d’imposer à des démocraties affaiblies : les associations de défense des locataires, par exemple, savent bien le rôle qu’a joué dans leur combat la proclamation d’un droit universel au logement par le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies en 1966.Les citoyens peuvent aussi retrouver un rôle en investissant les nombreux lieux d’où l’on ne peut les bannir : en se faisant entendre à l’occasion des grands sommets (et contre-sommets) du G8 ou de l’OMC (10), mais aussi en intervenant dans toutes sortes d’organes ayant un certain pouvoir allié à une relative indépendance : ainsi, la sous-commission des droits de l’homme des Nations unies, composée d’experts indépendants de leur gouvernement, a élaboré, avec l’appui des organisations non gouvernementales (ONG), plusieurs conventions internationales adoptées ultérieurement par les Etats ; et c’est encore elle qui vient de mettre en place et de proposer, en août 2003, un projet de normes sur la responsabilité des sociétés transnationales (11). L’Organisation des Nations unies demeure un lieu où des progrès peuvent être réalisés dans l’intérêt des peuples et des citoyens, et sa démocratisation toujours attendue y contribuerait puissamment.
Nuri Albala.



(1) Anne-Cécile Robert, « Justice internationale, politique et droit, Le Monde diplomatique, mai 2003.

(2) Quelques pays l’admettent. Ce n’est plus le cas de la Belgique qui, sous les énormes pressions américaines, a dû abandonner le 5 août 2003 la loi de 1993. Lire Tzvetan Todorov, « Les illusions d’une justice universelle », Le Monde des débats, n° 25, mai 2001.

(3) La première loi en France ayant pour objet la liberté du commerce et de l’industrie fut la loi Le Chapelier du 17 juin 1791, dont l’un des objets principaux était déjà d’interdire les « coalitions ouvrières », c’est-à-dire les syndicats !

(4) Lire FIDH, « 80 ans de lutte contre l’impunité » : www.fidh.org

(5) Lire Anne-Cécile Robert, « Naissance d’une mythologie juridique », Le Monde diplomatique, janvier 2001.

(6) Le Monde, 25 octobre 2003.

(7) Lire Mireille Delmas-Marty, « Ordre juridique et paix positive », Le Monde diplomatique , juillet 2003.

(Cool De là, certaines « originalités » des juridictions internationales, comme le remarquable article 16 des statuts de la CPI qui donne pouvoir au Conseil de sécurité de suspendre toute procédure de la CPI pour un délai d’un an, renouvelable sans limitation !

(9) Lire Bernard Cassen, « Une norme culturelle contre le droit du commerce ? », Le Monde diplomatique, septembre 2003.

(10) On vient encore de voir au récent sommet de l’OMC, à Cancun, le rôle actif des ONG : lire Laurence Caramel, « L’influence grandissante des grandes ONG anti-OMC », Le Monde, 16 septembre, 2003.

(11) Document des Nations unies E/CN.4/Sub.2/ 2003/12.


LE MONDE DIPLOMATIQUE | décembre 2003 | Page 3
http://www.monde-diplomatique.fr/2003/12/ALBALA/10747
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https://vuesdumonde.forumactif.com/
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