Le Khomeyni libéral
Petit-fils du chef de la révolution islamique iranienne, Hossein Khomeyni tient un discours résolument iconoclaste, pro-américain. A faire frémir les mollahs de Téhéran.
Delphine Minoui
De son grand-père il a hérité les mêmes yeux noirs, parfois traversés d'un inquiétant éclair. Le visage est lisse et impassible. La même façon de s'asseoir en tailleur, le même turban noir des descendants du Prophète. Mais quand il s'agit d'évoquer l'Iran d'aujourd'hui - qu'il vient temporairement de quitter pour établir ses quartiers d'été à Bagdad -, Hossein Khomeyni, 45 ans, s'impose comme une véritable figure d'opposition aux sacro-saints principes édictés jadis par l'ayatollah Ruhollah Khomeyni, fondateur de la République islamique d'Iran. Les mots qu'il prononce sont proprement stupéfiants : « Tant qu'on ne pourra séparer religion et politique en Iran, la population n'obtiendra pas la liberté qu'elle souhaite », lance le jeune clerc chiite, petit homme rond, vêtu d'un ample manteau blanc. A peine la conversation entamée, les sourcils se plissent et les paroles s'enflamment. « S'il n'existe d'autre solution qu'une intervention américaine en Iran pour obtenir la liberté, alors les Iraniens finiront par opter pour cette solution. Et moi aussi je serai prêt à l'accepter, car c'est en accord avec ma foi », insiste-t-il, entre deux bouffées d'une cigarette Miami. Le ton est donné.
En 1965, l'ayatollah Khomeyni, condamné à mort par le chah d'Iran, s'exilait à Nadjaf, le sanctuaire des chiites d'Irak - après un détour par la Turquie -, d'où il lança sa révolution islamique à partir d'un discours anti-impérialiste et antiaméricain.
Un nouveau rêve pour l'Iran de demain
Il y délivra une série de cours sur le velayat-e faqih (pouvoir suprême des docteurs de la loi islamique), devenu le principe de base de la République islamique iranienne, en 1979. Il fut ensuite prié de quitter l'Irak et se réfugia en France, avant de regagner son pays d'origine. Près d'un quart de siècle après l'arrivée des religieux au pouvoir en Iran, son petit-fils fait figure d'enfant rebelle dans la cour des ayatollahs. Le jeune impertinent profite de son séjour en Irak - pays également majoritairement chiite - pour condamner la politique suivie par son grand-père, la jugeant « totalitaire » et « inadéquate par rapport aux désirs des Iraniens ». Pis : il invite le « Grand Satan » (définition donnée à l'Amérique par son grand-père) à jouer un rôle de catalyseur dans la libération de l'Iran.
Né en 1958 à Téhéran, Hossein Khomeyni est le fils de Haj Agha Mostafa, l'un des deux fils de l'imam Khomeyni, dont la mort suspecte, en octobre 1977, n'a jamais été élucidée. Elevé à Nadjaf, il suit son grand-père en France à la fin des années 70. Interdit de pèlerinage sur les sites chiites irakiens sous le régime de Saddam Hussein, il s'est empressé de visiter sa maison d'enfance, non loin du tombeau de l'imam Ali, le gendre du Prophète. Mais, s'il évoque avec émotion et respect le souvenir de son grand-père, il ne cache pas ses divergences politiques avec l'illustre aïeul. Elles lui ont valu d'être contraint au silence, dans sa résidence de Qom, pendant ces années postrévolutionnaires. Aujourd'hui, il brise la glace en faisant l'apologie de la démocratie à l'occidentale, qui « garantit la liberté individuelle ».
C'est au bord du Tigre, dans une somptueuse villa protégée par des colosses, décorée de boiseries et de mosaïques et envahie par le chant des canaris, que le petit-fils de l'ayatollah Khomeyni reçoit ses visiteurs : journalistes étrangers, chefs de tribu, leaders religieux et officiers américains. Ils sont tous animés par la même curiosité de rencontrer le jeune contre-révolutionnaire, peut-être porteur d'un nouveau rêve pour l'Iran de demain.
Seyed Hossein Khomeyni n'est pas du genre à mâcher ses mots. Il dit avoir constaté les « changements positifs » accomplis depuis le débarquement des forces de la coalition en Irak. « Sous le régime de Saddam Hussein, il n'y avait pas de presse libre, les gens avaient peur de parler, la population était opprimée, commente-t-il. Aujourd'hui, le climat est propice à la liberté d'expression. L'Irak est sur la voie du progrès. » Selon lui, les forces américaines sont perçues comme « des forces de libération et non d'occupation ».
Les critiques n'ont pas tardé à pleuvoir. A Téhéran, la presse conservatrice s'est déjà chargée de dénoncer la trahison du jeune clerc. Sa famille est également montée au créneau en niant les propos tenus à la presse étrangère par l'héritier. A Nadjaf, les conservateurs chiites irakiens de la Hawza (le grand séminaire chiite), privés de tribune sous Saddam Hussein, ont ressorti les posters de l'ayatollah Khomeyni. Mais ils voient dans les paroles du petit-fils « une insulte » à leurs projets d'établissement d'un Etat islamique en Irak. « Ses propos n'ont aucun sens », s'insurge le cheikh Abbas al-Rubayee, un des porte-parole de Moqtada al-Sadr, ayatollah radical de Nadjaf, qui ne cache pas son antiaméricanisme. « Il vient de débarquer ici et croit savoir mieux que les chiites irakiens ce qui est bon pour eux. Lui et ses amis n'étaient pas là pendant ces années de souffrance », fulmine le mollah.
Un ami de toujours accompagne Khomeyni junior dans son aventure politico-religieuse. Il s'appelle Eyad Djamoleddin. Ce jeune mollah aux allures de dandy, amateur de cigares Cohiba, est l'hôte du petit-fils Khomeyni dans l'ex-résidence d'Ezzat Ibrahim, l'un des chefs de l'ancien régime. Eyad et Hossein se sont rencontrés il y a vingt ans au séminaire théologique de Qom. Tous deux passionnés de philosophie et de poésie soufies (Eyad est en pleine traduction en arabe des vers du poète soufi persan du XIIIe siècle Djalal al-Din Rumi), les deux jeunes religieux incarnent cette nouvelle génération favorable à un « islam personnel », en opposition à l'« islam politique ».
« Chacun doit être libre de prier, de boire, de s'exprimer », insiste Djamoleddin, dont la secrétaire privée - une chrétienne irakienne - s'affiche sans foulard. « La place des religieux se trouve à la mosquée, pour enseigner la morale. Ils ne doivent pas interférer dans la vie politique », ajoute le clerc irakien, de retour d'un exil de vingt-cinq ans passé entre Téhéran, Qom et Dubaï. « La liberté de l'être humain est un droit qui surpasse tous les autres », précise, à son côté, le petit-fils.
A écouter les formules iconoclastes de Hossein Khomeyni, on l'imagine volontiers à la tête d'un futur parti politique d'opposition. Mais le mollah progressiste dit n'y avoir pas songé. Comme beaucoup de réformateurs iraniens, il se contente de critiquer subtilement les principes de la République islamique en s'appuyant sur des arguments religieux plus que politiques. « Un gouvernement religieux ne peut s'établir qu'après le retour du douzième imam Mehdi, l'imam caché, disparu au IXe siècle », dit-il. De sa voix grave, le jeune Khomeyni dit qu'il rêve d'ouvrir un nouveau séminaire à Karbala - où se trouve le tombeau de l'imam Hussein, fils d'Ali, le gendre du Prophète, assassiné en 680 par l'armée des Omeyyades - pour se concentrer sur ses recherches théologiques. Il ne cache pas son espoir de voir Nadjaf récupérer ses lettres de noblesse, quitte à détrôner sa concurrente iranienne, Qom, de son statut prestigieux de première ville chiite. Des propos qui pourraient bien froisser certains ultraconservateurs iraniens.
« Je n'ai pas peur, dit placidement Hossein Khomeyni, récemment informé d'un complot visant à l'assassiner. Où qu'il soit, l'être humain est toujours en danger. Le plus important, c'est que la vérité soit enfin dite. »
Repères
1958 : Naissance à Téhéran de Hossein Khomeyni, fils de Haj Agha Mostafa Khomeyni, et petit-fils de l'ayatollah Ruhollah Khomeyni.
1964 : Exil de la famille Khomeyni en Turquie.
1965 : Exil à Nadjaf, en Irak.
1970 :L'ayatollah Khomeyni prône le velayat-e faqih, le pouvoir direct du religieux le plus qualifié.
1977 :Assassinat de Haj Agha Mostafa Khomeyni.
8 octobre 1978 :
Le gouvernement irakien expulse Khomeyni en France. Exil à Neauphle-le-Château.
1er février 1979 : Retour de l'ayatollah à Téhéran. Puis, fondation de la République islamique d'Iran, dont il devient le leader religieux. Hossein Khomeyni part étudier à Qom. Rencontre avec Eyad Djamoleddin.
1980-1988 : Guerre Iran-Irak.
1989 : Mort de l'ayatollah.
Juin 2003 : Hossein Khomeyni est de retour en Irak. Il invite les Américains à intervenir en Iran D. M.
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