Tariq Ramadan : « Cela suffit ! »
Le leader musulman met en cause la manière dont Le Point avait accompagné l'interview qu'il nous avait donnée dans notre dossier « Islam et Occident, 14 siècles de guerres et de malentendus ». Nous lui redonnons bien volontiers la parole.
Tariq Ramadan
L'interview à laquelle j'ai accepté de participer dans le cadre de votre dossier sur l'Islam et l'Occident (1) a été publiée selon les règles de l'art en respectant ma pensée et mes propos. Une photo et un commentaire y ont pourtant été ajoutés qui ont pour effet de dénaturer presque totalement le fond et la portée de ma réfle-xion. « Considéré comme proche des Frères musulmans », je considérerais que les attentats à New York, à Bali ou à Madrid ne sont que des « interventions ». En indiquant une supposée allégeance aux Frères musulmans et en sortant un mot, un seul, d'une réflexion générale, on veut faire croire que ma position est ambiguë, pour ne pas dire retorse. Puisque mon interview ne permettait pas ces interprétations, le commentaire les a quelque peu fabriquées par allusion.
Vient un moment pourtant où il faut dire « Cela suffit ! ». J'ai dit et répété (des chercheurs et des journalistes sont allés le vérifier en Egypte) que je ne suis pas des Frères musulmans et que ma pensée est autonome et libre. Il faudra bien, un jour, changer ces lunettes qui font qu'on ne me lit plus (quand on me lit...) qu'à travers le prisme de mes affiliations supposées ou du sempiternel soupçon de « double langage ». Il est temps que l'on revienne à ce que j'écris ou dis et non à ce que l'on suppose que j'aurais pu dire ou penser. Ces procès d'intention permanents sont insupportables.
Quant aux attentats horribles et inacceptables de New York, Bali ou Madrid, je n'ai eu de cesse de les condamner. Rien ne peut les légitimer : je l'ai affirmé dès la fin septembre 2001 à New York, comme depuis au Maroc et en Indonésie. Laisser entendre que j'aurais une quelconque sympathie pour ces horreurs parce que, dans le cours d'une interview, j'utilise le mot « intervention » est un procédé très douteux. Dans un dossier sur les conflits historiques entre l'Occident et l'Islam, ce n'est en tout cas pas par ces méthodes que l'on s'engagera dans ce dialogue honnête, ouvert et néanmoins critique, dont nous avons un impératif besoin aujourd'hui.
1. Le Point n° 1649, 22 avril 2004.
© le point 29/04/04 - N°1650 - Page 70 - 414 mots