Reproches ostentatoires
De Bagdad à Téhéran, des dignitaires musulmans s'élèvent contre la future loi française sur le port du voile à l'école.
Jérôme Cordelier
«Il est impossible d'interdire le port du voile, il s'agit d'un devoir religieux chez les musulmans. » Au moment où Luc Ferry planche sur la future loi interdisant à l'école des signes religieux « ostensibles », en Irak, le chef chiite Moqtada Sadr ne décolère pas contre cette décision « insolente », appelant au boycott des produits français.
Du simple regret à l'exhortation, nombre de dignitaires musulmans ont fait leur miel de la décision française. Jusqu'au président iranien Khatami demandant à son homologue français d'annuler « sa décision erronée » - en début de semaine, quelque 150 étudiants islamistes, dont des filles en tchador, manifestaient devant l'ambassade de France à Téhéran... Exception notable : le cheikh d'Al-Azhar au Caire, Mohamed Sayed Tantaoui, autorité suprême de l'islam sunnite, n'est pas intervenu, considérant qu'il s'agissait d'« une affaire intérieure française ».
Voici Chirac conspué dans cette partie du globe qui le glorifiait au début de la guerre contre l'Irak. « Le débat va déborder sur les rapports entre les mondes musulman et chrétien, pronostique Semih Vaner, chercheur au Ceri, à Paris. La France a beaucoup contribué à ce que le voile devienne un symbole énorme, démesuré. »
Si sept Français sur dix soutiennent la loi, l'initiative laisse perplexes nombre de pays occidentaux : « Laïcisme dogmatique », pour le chef de l'Eglise anglicane ; « aversion contre la foi d'une personne », selon le cardinal Pompedda, haut responsable du Vatican ; et « source importante de préoccupation » ( !) dans le rapport annuel sur la liberté religieuse du Département d'Etat américain. Même Gerhard Schröder, ennemi du port du voile par des fonctionnaires, n'y est pas hostile à l'école.
« Les pays qui réagissent contre cette loi maintiennent tous des privilèges publics pour les religions, qu'ils baptisent liberté religieuse, souligne le philosophe Henri Pena-Ruiz, membre de la commission Stasi. Chez nous, la liberté religieuse reste entière, mais elle est cantonnée à la sphère de droit privé. » Chacun sa tradition
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