Judaïsme
La religion mal-aimée
Fondateur du monothéisme, le judaïsme n'a que 14,5 millions d'adeptes, mais il structure la pensée occidentale. Cette religion de la loi, du rite et de l'étude est la mal-aimée de l'Occident. Elie Wiesel nous explique ce qui en fait pour lui la grandeur et l'humanité.
Elie Wiesel
Vous me demandez ce qu'est le judaïsme ? Le mot religion n'existe pas en hébreu. Nous disons la loi, la foi, l'étude. La foi juive est d'abord la foi en Dieu telle qu'elle est ancrée dans la Torah, mais elle est beaucoup plus que cela. Le judaïsme est l'ensemble des notions, des concepts, des commentaires, des interprétations, des lois qui sont rassemblés dans le Talmud, ce livre de la tradition orale, presque aussi important pour les juifs que la Torah. Le judaïsme est aussi l'ensemble des souvenirs et des espérances de toute une communauté. Le juif d'aujourd'hui, comme celui d'hier, se réclame de l'enseignement de Moïse, fondateur de la nation, législateur, commandant en chef de la première armée de libération nationale. Mais il se réclame aussi de David, ancêtre du Messie et des prophètes comme Isaïe et Jérémie. Etre juif, c'est assumer ce passé parfois lourd de menaces mais aussi illuminé par la promesse de l'arrivée du Messie : l'Histoire va quelque part pour s'améliorer, pour répandre la paix. Il peut y avoir beaucoup de violence dans la Bible, surtout dans le livre de Josué, qui raconte la conquête de la Terre promise. Mais il faut comprendre que cette violence marque le début de l'Histoire, qu'elle correspond à la violence de la naissance, quand l'enfant est arraché du ventre de sa mère. Le livre de Josué est le seul livre biblique dépourvu de poésie, car celle-ci ne peut exister quand les hommes meurent. Mais il est aussi le livre qui parle d'une paix nécessaire, indispensable à l'évolution de l'Histoire. Car le judaïsme est une religion qui donne un sens à l'Histoire : c'est celle qui a apporté au monde le messianisme, la promesse d'un avenir meilleur. Mais je veux insister sur une autre de ses caractéristiques : elle est, et plus que les autres monothéismes qu'elle a devancés, la religion qui met le plus l'accent sur la vie. Elle n'admet pas le culte des morts. Le cérémonial grandiose qui a entouré la mort de Jean-Paul II est pour nous impensable. Le judaïsme nous ancre dans la vie. En son nom, on a le droit de transgresser tous les commandements. Il y a ainsi 613 commandements dans la Torah, et seulement trois interdits qu'il ne faut pas transgresser et pour lesquels il faut payer de sa vie. L'idolâtrie, d'abord. Si l'ennemi dit « il faut que tu adores cette idole, sinon je te tue », je dois me laisser tuer. L'adultère, ensuite. Il est prescrit que si quelqu'un me dit « couche avec cette femme mariée, sinon je te tue », je dois me laisser tuer. Et enfin, le meurtre : si quelqu'un dit « tue, sinon je te tue », il faut se laisser tuer. Ce sont les trois cas, extrêmes, où la vie est sacrifiée. Mais le Talmud rappelle que si, en certaines circonstances d'oppression exceptionnelles, le tortionnaire dit « noue tes lacets, sinon je te tue », eh bien, là, il n'y a pas de raison de se laisser faire. Il faut riposter, et éventuellement se battre.
On se choisit juif, tout simplement. Ancré dans la vie, le judaïsme se veut donc une manière de vivre, seul ou en communauté. C'est ainsi une célébration du dialogue, comme en témoigne le Talmud, qui est construit sur la communication entre deux adversaires, deux conceptions, deux attitudes, où les deux parties ont raison, même si ce sont toujours les modérés qui gagnent. Le judaïsme est en effet fondamentalement contre le fanatisme et la rigueur extrême. La beauté du Talmud est d'abord le respect de l'autre. Cela peut expliquer qu'il n'y ait pas eu de prosélytisme forcé chez les juifs. Un chrétien n'a pas besoin de se convertir au judaïsme pour mériter mon respect. Pareil pour les musulmans, pareil pour les agnostiques. J'accepte l'autre pour ce qu'il est. Je ne l'humilie pas en niant sa croyance. Dans le Talmud, d'ailleurs, l'humiliation n'est jamais justifiée. C'est aussi peut-être dans ce sens qu'il faut comprendre la notion de « peuple élu ». Le peuple juif a souvent été incompris car on lui imputait des mobiles qui ne sont pas les siens. Nous n'avons ainsi jamais tué d'autres dieux comme nous en ont longtemps accusés les chrétiens. Nous n'avons jamais voulu conquérir le monde, comme on nous l'a aussi imputé, accusation qui a joué un rôle dans la Shoah. Dieu a fait alliance avec Abraham et plus tard avec Moïse pour faire des Hébreux le « peuple élu », mais cette élection ne signifie pas seulement recevoir des avantages. Cela signifie aussi des devoirs, et d'abord celui de respecter l'autre. Chaque peuple a le droit de se considérer élu à condition de respecter l'autre comme il veut qu'on le respecte. Si quelqu'un veut se convertir, il faut que ce soit par conviction. Une fois converti, il jouira de tous les privilèges et sera sujet à toutes les obligations des juifs, mais l'on n'aura pas le droit de lui rappeler son passé non juif. J'insiste là-dessus : seule compte l'attitude envers l'autre. Le peuple juif n'est pas supérieur ou inférieur aux autres. Cette religion n'est pas meilleure que les autres : on se choisit juif, tout simplement.
Et la relation à Dieu ? La loi vient de Dieu mais son interprétation appartient aux hommes. Il est ainsi une anecdote fameuse : deux rabbis et leurs élèves discutaient, et Dieu voulut les départager en donnant son avis : « Pourquoi faites-vous cela, vous ne savez donc pas que rabbi Eliezer a raison ? » dit-il. Mais rabbi Yeoshoua, le chef de l'autre parti, répondit : « Tu n'as pas à te mêler de notre débat. La Torah est à nous ici et elle n'est plus à toi au ciel. » Cette capacité d'interprétation de la Loi explique aussi une autre caractéristique du judaïsme : la connaissance de la Loi et donc l'importance fondamentale de l'étude. Il n'y a aucune autre tradition religieuse où il y ait une telle passion et une telle énergie investies dans l'étude. En théorie, il faudrait étudier la Torah jour et nuit, d'où la place accordée à celui qui enseigne, le maître. Le mot rabbi veut dire instituteur, et non pas prêtre, mot qui implique la notion de sacrifice. La religion juive en effet n'a pas de clergé, il n'y a pas d'intercesseur entre le fidèle et Dieu. On peut naître, se faire circoncire, se marier, se faire enterrer sans rabbin. Seul le divorce exige un tribunal rabbinique, car il faut protéger la femme... Si le rabbin a de l'importance, c'est donc parce qu'il sait. Il ne se prononcera toutefois jamais en disant « moi, je pense comme cela », mais il dira plutôt « si je pense comme cela, c'est parce que tel ou tel maître s'est prononcé ainsi sur ce sujet ». Il est le récipiendaire de la tradition...
Repères
Chronologie
- 1900 Abraham s'établit à Hébron.
- 1200 Moïse conduit les Hébreux vers la Terre promise.
- 1004 David établit sa capitale à Jérusalem.
- 587 Déportation de milliers d'Hébreux à Babylone.
- 538 Fin de l'exil.
- 532 Reconstruction du temple.
- 63 Début de la domination romaine.
70 Destruction du temple.
400 Talmud de Babylone.
1492 Expulsion des juifs d'Espagne.
1939-1945 La Shoah, campagne d'exterminationdes juifs menée par les nazis.
1948 Création de l'Etat d'Israël.
Les obligations du croyant
L'étude de la Torah, la loi divine, est le fondement du judaïsme.
La bénédiction accompagne presque tous les actes d'un pratiquant.
La prière est très codifiée. Faite en commun à la synagogue, elle exige la présence d'au moins dix hommes , âgés de plus de 13 ans. Les fidèles couverts d'une petite calotte, la kippa, se couvrent les épaules du tallit, châle orné de franges. Ils portent sur le front et au bras gauche des phylactères, cubes de cuir noir contenant quatre versets de la Torah.
Les commandements
La Torah comporte 613 mitzvoth ou commandements. Parmi eux, le sabbat, (le repos du samedi), la circoncision des garçons, la kashrout (les interdits alimentaires).
Les fêtes
Nombreuses. Entre autres, Roch ha-Chana (septembre ou octobre), nouvel an juif ; Yom Kippour (octobre), le grand pardon ; Hanoukka (novembre-décembre), la fête des lumières ; Pessah (mars-avril), la pâque juive.
Les courants
Le courant orthodoxe, très puissant aujourd'hui en Israël. Fondé sur la stricte observance des mitzvoth, au contraire du courant libéral, très développé aux Etats-Unis et au Canada, qui entend conjuguer modernité et judaïsme. Originaire d'Europe de l'Est, le hassidisme est centré sur l'émotion et la mystique.
© le point 21/07/05 - N°1714 - Page 48 - 1376 mots