L'esclave est livré au bon vouloir de son maître ? Vrai
Une fois vendu, le captif n'est plus qu'une chose. « Un meuble », selon
l'article 44 du Code noir, édicté en 1685 sous Colbert pour organiser le statut
des esclaves. L'esclave peut être saisi, vendu et transmis. La fuite ou la
révolte sont sévèrement punies. « L'esclave fugitif qui aura été en fuite
pendant un mois à compter du jour où son maître l'aura dénoncé en justice aura
les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lis sur une épaule, précise
l'article 38. S'il récidive [...] il aura le jarret coupé... » Le Code, qui
prévoit la christianisation des esclaves, se veut toutefois relativement «
humain ». Si le maître peut fouetter son esclave, il doit se tourner vers la
justice pour lui couper un membre... De même, il ne peut, en théorie, vendre
séparément les parents et les jeunes enfants. Cette réglementation sera souvent
détournée en fonction des intérêts du propriétaire. Les affranchis, qui devaient
bénéficier des mêmes droits que les hommes libres, seront quant à eux victimes
de régimes d'apartheid.
Le prix des esclaves augmentant, les colons auront intérêt à mieux les traiter.
Et certains négriers auront beau jeu de faire remarquer au XIXe que les esclaves
des plantations martiniquaises ne sont pas moins bien traités qu'en Europe les
ouvriers de la révolution industrielle naissante. L'image odieuse que nous nous
faisons de l'esclavage en Amérique doit en fait beaucoup aux militants du
mouvement abolitionniste qui, au XIXe siècle, face au lobby des planteurs et des
négociants, n'ont trouvé pour toucher l'opinion publique et lutter contre le
racisme que l'arme compassionnelle. De cette époque datent des romans comme « La
case de l'oncle Tom », mais aussi les nombreuses gravures montrant des esclaves
fouettés par des planteurs ou des musulmans en djellaba, des captifs
enchaînés...
Les juifs, artisans de la traite atlantique ? Faux
C'est la thèse du populiste américain Farakhan, que développe en France
Dieudonné. Elle est en contradiction avec le Code noir. Dixit : « Enjoignons à
tous nos officiers de chasser de nos îles tous les juifs qui y ont établi leur
résidence, auxquels, comme ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons
d'en sortir dans trois mois... » Si des financiers juifs ont bien participé à la
conquête du Nouveau Monde, il semble que ce soient plutôt des chrétiens et
particulièrement des protestants, qui ont organisé la traite à Liverpool,
Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Le Havre ou Amsterdam.
Les Lumières sont à l'origine de l'abolition de l'esclavage ? Faux
Plus que les philosophes des Lumières, ce sont les sectes protestantes qui ont
lancé le mouvement abolitionniste. Dès la fin du XVIIe siècle, les quakers
américains abolissent l'esclavage et répandent leurs idées en Pennsylvanie. Dès
1762, ils proposent l'idée d'une abolition internationale. C'est pourtant en
Angleterre, première nation négrière, et au moment où, vers 1804-1806, le
système esclavagiste est à son sommet que s'organise un mouvement contre
l'esclavage. Mouvement populaire qui va peser de tout son poids sur les
gouvernements. En 1814, quand la France obtient cinq ans de sursis pour abolir
la traite, 1 million d'Anglais, dont 35 000 à Liverpool, le plus grand port
négrier, poussent leur gouvernement à faire pression sur la France. Est-ce parce
qu'en raison de sa puissance l'Angleterre est alors la mieux placée pour se
passer de l'esclavage qu'elle devient si vertueuse ? C'est une des thèses
soutenues aujourd'hui par les historiens. Contrairement aux protestants,
l'Eglise catholique, conservatrice, restera longtemps du côté des
esclavagistes...
La colonisation en Afrique est la conséquence directe de la traite négrière ?
Faux
C'est l'inverse : la colonisation est la conséquence directe de la dynamique
abolitionniste. Pourquoi faire souffrir des hommes en les déplaçant d'un
continent à l'autre alors que l'on peut développer des plantations sur place ?
Cette évolution de la stratégie économique va obliger les Français et les
Anglais, les deux plus grandes nations négrières, à s'implanter durablement et à
détruire les royaumes avec lesquels ils travaillaient auparavant. La traite
n'impliquait pas en effet la prise de contrôle du sol : les rois locaux «
louaient » des terrains où les Européens installaient des comptoirs de traite.
L'esclavage est aboli ? Faux
Des Noirs demeurent en servitude en Arabie saoudite, en Mauritanie et au Soudan.
Surtout, de nouvelles formes de servitude se sont développées : employées de
maison importées des Philippines ou d'Afrique et séquestrées par leurs
employeurs en Arabie saoudite, voire en Europe, notamment en France,
prostitution forcée, travail des enfants en Inde, servitude de paysans
endettés... Selon l'organisation Anti-Slavery International, le monde moderne
compterait 20 millions d'esclaves...
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A LIRE
« Les traites négrières », d'Olivier Pétré-Grenouilleau (Gallimard). « Napoléon,
l'esclavage et les colonies », de Pierre Branda et Thierry Lentz (Fayard). « La
mémoire enchaînée », de Françoise Vergès (Albin Michel). « Noir et Français ! »
de Géraldine Faes et Stephen Smith (Panama). « La vérité sur l'esclavage », «
L'Histoire », n° 280. « L'esclavage, un tabou enfin levé », « Historia », n° 80.
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La cascade des mépris
«En France, quand il y a un Noir, il est noir. Point. On va pas chercher à
savoir s'il est chabin, s'il est à demi noir ou blanc. Tandis qu'en Guadeloupe
on va dire qu'il y a des chabins, des peaux "chappées", des Noirs, des Bleus...
» Ce constat d'une lycéenne guadeloupéenne (1) renvoie au phénomène du
métissage, qui fut dès le XVIIIe siècle au coeur du système colonial des
Antilles. Dans un livre passionnant (2), l'historien Frédéric Régent montre
comment le métissage est une pièce essentielle du mécanisme de domination d'une
minorité de colons blancs sur une immense majorité d'esclaves de couleur,
pourtant armés du sabre du coupeur de canne. Tout le système repose sur une
hiérarchisation interne des esclaves selon leur origine et leur couleur de peau
: « Les Africains sont soumis aux créoles, eux-mêmes dominés par les sang-mêlé
», explique Régent. Avec en perspective le statut des « libres de couleur », qui
pouvaient eux-mêmes posséder des esclaves. « Cette classification et cette
segmentation de la population servile expliquent en partie le maintien séculaire
du système esclavagiste. Cette cascade des mépris empêche la constitution d'un
front commun des esclaves contre les maîtres. » C'est cette organisation sociale
complexe qui a permis notamment le rétablissement de l'esclavage par Bonaparte
en 1802, huit ans après son abolition, en 1794
1. « Noirs. Enquête sur l'identité noire », d'Arnaud Ngatcha (France 5, le 10
mai). 2. « Esclavage, métissage, liberté », de Frédéric Régent (Grasset).
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La malédiction de Cham
La malédiction de Cham sert pendant des siècles à légitimer la traite. Pour les
esclavagistes, pas de doute, Canaan, le fils de Cham, devait être noir !
« Noé s'enivra et se dénuda à l'intérieur de sa tente. Cham, père de Canaan, vit
la nudité de son père et avertit ses frères dehors. Mais Sem et Japhet prirent
le manteau, [...] et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père.
Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son fils
le plus jeune. Et il dit : "Maudit soit Canaan ! Qu'il soit pour ses frères le
dernier des esclaves." »
Genèse 9, 21-27
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Comment choisir
« Il faut que le capitaine [...] et le chirurgien, soient tous connaisseurs en
figures et en taille. L'homme grand et fluet ne vaut rien parce qu'il dépérit
dans la traversée : le dos arrondi n'est qu'aux hommes mal effacés, et par
conséquent de poitrine étroite. Il faut éviter les mâchoires saillantes et les
bouches pointues, s'ils maigrissent ils deviennent hideux. »
(Lettre de 1765 de Stanislas Foache, armateur du Havre, in « Historia », n° 80.)
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Napoléon
Oui, dans la mesure où il a rétabli, en 1802, l'esclavage supprimé par la
Convention en 1794. Contrairement à la thèse développée par Claude Ribbe dans «
Le crime de Napoléon » (éd. Privé, 2005), l'époux de la créole Marie-Josèphe
Tascher de La Pagerie est moins un criminel de guerre lancé dans un génocide
qu'un centralisateur pragmatique et sans états d'âme qui veut d'abord récupérer
le sucre des Antilles, menacé depuis l'insurrection de Saint-Domingue en 1791.
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Esclave chrétien, maître musulman
Molière l'évoque dans « Qu'allait-il faire dans cette galère ? », et Mozart s'en
souvient dans « Cosi fan tutte » : il était courant au Grand Siècle de se
retrouver esclave des pirates barbaresques, venus d'Alger, de Tunis ou de
Tripoli attaquer les navires et les villes de la côte. Appât du gain ? Non,
djihad, estime l'historien américain Robert C. Davis dans « Esclaves chrétiens,
maîtres musulmans » (Jacqueline Chambon, 2006). La chasse aux chrétiens aurait
d'abord été une vengeance sacrée contre ceux qui avaient chassé les musulmans de
Grenade et voulu reprendre Jérusalem C. G.
© le point 04/05/06 - N°1755 - Page 84 - 2507 mots