Le Canada est trop tolérant envers les fraudeurs
7 novembre 2005
Bernard Mooney , Journal Les Affaires
Si vous êtes comme moi, vous vous demandez pourquoi aucune accusation au pénal n'a encore été portée dans le nauséabond dossier Norbourg. Nous avons justement eu une discussion animée à ce sujet au sein de la rédaction.
Certains de mes collègues estiment que c'est normal. Il faut du temps pour bâtir un dossier solide, irréprochable. D'autres, dont je fais partie, sont plus sceptiques et se demandent pourquoi la police n'agit pas plus rapidement alors que l'Autorité des marchés financiers (AMF) a déjà intenté une poursuite. L'AMF dispose sûrement d'un bon nombre de faits incriminants contre Norbourg et son patron. Pourquoi pas la police ?
Je suis sceptique, parce que l'expérience m'a appris qu'au Canada, après que les grands titres de fraudes et de malversations aient fait la une des journaux, il y a rarement procès et lorsqu'il y en a, ils se soldent rarement par des peines d'emprisonnement.
Le Wall Street Journal l'a noté la semaine dernière dans un reportage intitulé "Au Canada, les cas de fraudes peuvent s'éterniser". Et comment....
Parmi les exemples cités par le quotidien financier, celui de Livent, la société de production de l'imprésario Garth Drabinsky, est particulièrement intéressant. En 1998, ses actions inscrites aux États-Unis ont perdu toute valeur lorsque la nouvelle direction a accusé M. Drabinsky ainsi que d'autres dirigeants de fraude, leur comportement ayant eu pour conséquence d'avoir camouflé durant des années les problèmes financiers de l'entreprise.
En 1998, des accusations au pénal ont été déposées contre M. Drabinsky dans l'État de New York. M. Drabinsky a évité les poursuites en restant au Canada et il aura fallu quatre années avant que la police canadienne ne porte des accusations contre lui et ses collègues incriminés. Cette année, plusieurs de ces charges ont été abandonnés, et ce, dans la plus totale indifférence. Le procès pour les accusations restantes est prévu pour mars 2007, presque 10 ans après la déconfiture de Livent. Espérons que les actionnaires de cette société ne retiennent pas leur souffle depuis tout ce temps !
Huit ans, et toujours pas de sanction
Mais mon exemple favori est le présumé délit d'initié de Michael Cowpland, ancien président de Corel Software. En août 1997, M. Cowpland aurait vendu pour 20,4 M$ de ses actions de Corel juste avant d'annoncer un trimestre décevant. La Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO), pour obtenir plus rapidement un jugement favorable, a laissé tomber les accusations contre lui pour poursuivre sa société privée à sa place.
En 2002, la société privée a plaidé coupable à l'accusation de délit d'initié et a accepté de payer une amende de 1 M$. À l'époque, j'ai écrit pour dénoncer ce règlement : Michael Cowpland avait économisé 12 M$ en vendant ses actions avant leur débandade et on lui ordonnait de payer une amende de 1 M$. Ridicule.
Or, la CVMO avait rejeté l'entente survenue entre les avocats de M. Cowpland et ses propres avocats. La cause doit donc être de nouveau entendue devant les tribunaux. Trois ans après, on attend toujours. Ce qui signifie que pour un délit survenu en 1997, aucune sanction n'a encore été imposée.
Les exemples sont nombreux : Bre-X Minerals a fait perdre des milliards aux investisseurs. Huit ans après l'implosion de la société aurifère, la police canadienne n'a encore intenté aucune poursuite au criminel.
La CVMO a déposé des accusations au civil contre John Federhof, président du conseil, pour délit d'initiés. Le procès traîne et il n'y aura pas de verdict avant l'an prochain. En attendant, M. Federhof prend du bon temps aux Îles Caïmans ou en Indonésie.
De toute évidence, il est préférable de frauder au Canada plutôt qu'aux États-Unis. Le cas de Hollinger, le conglomérat médiatique dirigé par Conrad Black, le démontre avec éloquence. Alors que le dossier est encore en construction au Canada, aux États-Unis, David Radler, le bras droit de M. Black, a déjà plaidé coupable à des accusations de fraude déposées à Chicago. Il a écopé d'une sentence de 29 mois de prison.
Des financiers verreux comme Bernie Ebbers, de WorldCom, ont provoqué des catastrophes touchant beaucoup d'investisseurs. Mais au moins, aux États-Unis, les chances qu'ils soient À ce titre, la sentence de M. Ebbers - 25 ans de prison -, est exemplaire.
Voilà peut-être pourquoi Vincent Lacroix, le grand patron de Norbourg, garde le sourire. Il sait qu'il ne peut pas être dans un pays plus clément pour ce qu'il a présumément fait.
Bombardier Bougon
Le concept à la mode de responsabilité sociale a toujours eu le don de m'agacer. Toutefois, l'annonce de Bombardier (Tor., BBD.SVB, 2,50 $), qui a déclaré la semaine dernière qu'elle implanterait une usine au Mexique, me laisse un goût amer. Dans le contexte actuel, compte tenu de la disparition prochaine de son carnet de commandes, cette nouvelle est difficile à comprendre.
En fait, l'annonce laisse entendre que Bombardier, après avoir bien pressé le citron des subventions canadiennes et québécoises, a décidé de profiter des largesses d'un pays en voie de développement. Pas fort du tout.