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 La traite des Noirs en 30 questions par Eric Saugera(suite5)

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mihou
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mihou


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Date d'inscription : 28/05/2005

La traite des Noirs en 30 questions par Eric Saugera(suite5) Empty
07062005
MessageLa traite des Noirs en 30 questions par Eric Saugera(suite5)

Qu’en est-il des noirs en métropole ?

Un fantasme hante de nombreux esprits et il a la vie dure. On entend dire à Nantes ou à Bordeaux que les cargaisons d’esclaves étaient vendues dans ces villes et que les Noirs se retrouvaient enchaînés dans les caves des hôtels négriers - les murs suintant encore de leur souffrance. Il n’en est rien : aucun navire négrier n’a jamais débarqué de captifs en métropole pour la raison qu’ils n’étaient pas nécessaires et encore moins souhaités par les autorités.

Un fantasme hante de nombreux esprits et il a la vie dure. On entend dire à Nantes ou à Bordeaux que les cargaisons d’esclaves étaient vendues dans ces villes et que les Noirs se retrouvaient enchaînés dans les caves des hôtels négriers - les murs suintant encore de leur souffrance. Il n’en est rien : aucun navire négrier n’a jamais débarqué de captifs en métropole pour la raison qu’ils n’étaient pas nécessaires et encore moins souhaités par les autorités.

Ce n’est pas dire qu’il n’y eut pas de Noirs en France : on en vit même passer des dizaines de milliers au XVIIIe siècle, des libres et des esclaves. Seulement, ils ne venaient pas directement d’Afrique mais avaient transité par les colonies. Noirs de pure souche africaine, mulâtres ou créoles, c’étaient le plus souvent de jeunes garçons que les capitaines, les armateurs ou les colons, ramenaient en France pour les avoir à leur service ou leur faire acquérir une technique qui en fasse de meilleurs domestiques, cuisiniers ou perruquiers. Devant la fréquence de ces arrivées, l’État craignit que les esclaves ne soient affranchis en trop grand nombre ou ne contractent en France des habitudes et un esprit d’indépendance qu’ils ne manqueraient pas de répandre à leur retour aux îles. En 1738, l’État prit des mesures drastiques : 1/ Les esclaves ne pouvaient plus prétendre à la liberté du fait de leur présence dans le royaume - ce que permettait un Édit de 1315 qui stipulait que tout esclave touchant le sol français devenait automa-tiquement libre ; 2/ Le séjour des esclaves était limité à trois ans - le temps qu’ils apprennent un métier. Passé ce délai, les maîtres perdaient la caution de mille livres désormais versée pour chaque esclave débarqué en France. Ces mesures ne furent pas appliquées avec la rigueur voulue et le nombre des Noirs ne diminua pas.

En 1777, l’État frappa un grand coup en refusant totalement l’accès de son territoire aux hommes et aux femmes de couleur, mais les injonctions de cette " Déclaration du roi pour la Police des Noirs " ne furent pas plus suivies que les précédentes. En 1778, l’État interdisait les mariages mixtes. La Révolution mit fin à ce processus de ségrégation commencé sous Louis XIV. En 1791, elle accorda la liberté et la citoyenneté à tout homme demeurant en France quelque soit la couleur de sa peau, et en 1794 elle rendit la liberté à tous les esclaves, mais ce n’était que provisoire.
La traite avait-elle une religion ?

A l’époque des barrières confessionnelles, la traite négrière s’effectua dans un œcuménisme rare. Les communautés chrétienne et israélite, à proportion de leur importance, ont toutes contribué à la déportation des captifs, et il leur est arrivé plus d’une fois de s’agréger à une même expédition, notamment à Bor-deaux : l’armateur ou le financier peut être catholique ou juif, le capitaine protestant. Les laïcs ne faisaient que suivre la ligne adoptée par leurs dignitaires, notamment catholiques. Dans la première moitié du XVIe siècle, un prêtre et dominicain espagnol, Bartolomé de Las Casas, avait préconisé l’utili-sation des esclaves noirs pour remplacer les Indiens dont il était l’ardent défenseur. L’esclavage, que les Écritures Saintes ne condamnaient pas, était alors chose admise ; aussi les expéditions négrières se firent-elles avec la bénédiction des Églises.

On donna aux navires négriers des noms issus de la Bible (Abraham, David, Salomon) ou des Évangiles (Pierre, Luc, Jacques, Paul, Jean, André, Philippe). Le Saint-Esprit, Saint-Joseph, Sainte-Anne, et Saint-Jean-Baptiste eurent du succès. Il est vrai qu’à bord, un aumônier était censé reprendre auprès des Noirs la même fonction baptismale. Mais on en vit peu, ou de piètre mérite. Les négriers se recommandaient aux apôtres et à tous les saintes et saints, d’Antoine de Padoue à Charles Borromée. Quant aux registres de traite, leur première page pouvait s’ouvrir sur cette formule bellement calligraphiée et pieuse : " Au nom de Dieu. "

On ne trouvait rien à redire à la pratique de la traite et de l’esclavage tant qu’elle s’exerçait sur les Noirs. Mais il en allait autrement quand les Blancs se re-trouvaient aux mains des barbaresques ou de peuples africains scandaleusement inaptes au moindre sentiment d’humanité. Les âmes charitables se mobilisaient alors derrière des ordres religieux, tel celui de Notre Dame de la Merci à Bordeaux, qui ne ménageaient pas leur peine pour faire libérer les captifs chrétiens. On voit par là que la position de l’Église sur le sujet n’était pas franche.

Lorsque l’heure fut venue de dénoncer ces usages obsolètes et criminels, la hiérarchie apostolique et romaine se fit prier avant de dire qu’il était mal de faire la traite. En 1770, l’abbé Raynal publia contre la pratique négrière mais ses écrits furent jugés séditieux et condamnés par les siens. A la Révolution française, l’abbé Grégoire, évêque de Blois, s’engagea dans une longue lutte pour les droits des Juifs et des Noirs et s’attira la " haine sacerdotale " jusqu’à la fin de sa vie en 1831. Fondée en 1821, c’est la Société de la morale chrétienne de tendance protestante qui fut, sous l’égide du duc de Broglie, à la pointe du combat abolitionniste. Les catholiques attendaient-ils qu’on les y invite d’en haut ? Ce fut fait en 1839 - quand tout était dit, et à la suite d’une démarche du gouvernement anglais ( !). Le pape Grégoire XVI condamna " un commerce inhumain, inique, pernicieux, dégradant, qui complètement disparaître entre Chrétiens ", mais cela faisait belle lurette que les Quakers, par exemple, en étaient convaincus et l’avaient officiellement proclamé.
Comment justifiait-on la traite ?

Après s’être émerveillés de l’invention de nouveaux mondes, les Européens éprouvent vite des tentations dominatrices. L’exploitation remplace l’exploration et l’aliénation de l’autre succède à sa découverte. C’est ainsi que se forge la légitimité de la traite des Noirs et de l’esclavage. Le raisonnement est d’une logique sans faille : la prospérité de la France est étroitement liée à la prospérité des colonies qui est elle-même entièrement dépendante de l’arrivée régulière et massive d’une main-d’œuvre servile. Donc, la traite négrière est une nécessité vitale.

Montesquieu lui-même reconnaît dans l’Esprit des Lois que le commerce avec les colonies était profitable à la métropole et que " la navigation avec l’Afrique <était> nécessaire ; elle fournissait des hommes pour le travail des mines et des terres de l’Amérique ". Comme il n’est pas aisé d’être à la fois philosophe et soucieux de l’enrichissement de son pays, on constate que cet argu-ment économique est déterminant dans la justification de la traite des Noirs. Les négociants et les marins voient dans ce trafic le point fondamental de tous les commerces : " L’Europe entière y contribue, en subsiste, soit par voie directe ou indirecte ", écrit en 1790, René Button, un capitaine négrier originaire de l’île de Ré. Favoriser la traite, c’est enrichir les ports de la métropole, leur arrière-pays, la France tout entière. La freiner, c’est perdre les colonies et en subir les conséquences en cascade car faute de productions colo-niales, le trafic maritime et l’activité industrielle seront amoindris, insistait dès 1734, Jean-Français Melon, ami de Montesquieu et économiste de renom. La traite contribue au rayonnement du commerce, de la marine, de l’agriculture et des arts.

La traite négrière est aussi une institution honorable. Les négriers achètent des esclaves noirs en toute bonne foi et pensent agir humainement. À la fin du XVIIe siècle, un théologien de la Sorbonne, Fromageau, affirme dans le Dictionnaire des cas de conscience qu’on peut acheter des Nègres qui sont " esclaves à juste titre ", c’est-à-dire qui sont légalement esclaves selon le droit des gens : " On pourrait même sans aucun examen les acheter si c’était pour les convertir et leur rendre la liberté. "

La traite négrière est enfin un service rendu aux Noirs. On lit couramment que les Noirs vivent dans des contrées obscures perpétuellement en guerre, sans religion ni morale, mais dans une misère abjecte, parmi des peuples sauvages dénués d’intelligence, soumis à la violence extrême des rois qui les chassent, les tuent, les mangent. Voilà que les Blancs donnent aux rois l’occasion de les vendre. Il s’ensuit que les négriers qui achètent des captifs les délivrent de la mort et font acte de bonté. Le trafic négrier fait passer les Africains d’" une servitude barbare " à " une servitude humaine ", écrit le capitaine Button, qui, à cette occasion, se targue de philanthropie. C’est que l’avantage retiré par les esclaves est incontestable, ajoute-t-il ; arrivés aux colonies, les Noirs " se voient ressusciter parmi leurs semblables, qui sont pour eux des êtres merveilleux, dont ils envient le sort ". La traite est donc une entreprise qui dispense le bonheur et le négrier est un homme de bien. Dans ces conditions, écrit en 1764 le théologien Bellon de Saint Quentin, qui se fait là le porte-parole du plus grand nombre, " le plus grand malheur qu’on puisse faire à ces pauvres Africains serait la cessation de ce trafic ". Quel meilleur bienfait qu’une vie libérée de l’arbitraire ? une existence civilisée ? une âme sauvée par le baptême ? Le trafic négrier est une œuvre utile qui comble non seulement les négociants, les armateurs et les colons, mais aussi les Noirs, placés " dans une douce dépen-dance il ne tient qu’à eux de trouver le bonheur " écrivait à la Révolution un auteur qui préféra, on ne sait pourquoi, garder l’anonymat.
Quand se mit-on à la contester ?

Alors que la traite française s’organise à la fin du XVIIe siècle, il existe déjà des contestataires du système négrier mais ce sont des esprits marginaux dont l’in-fluence est nulle et l’action condamnée. Ainsi, l’ordre religieux des Capucins estimait qu’une fois baptisés, les Noirs ne devaient plus demeurer esclaves : deux prêtres, l’un Français, l’autre Espagnol, Épiphane de Moirans et Francisco José de Jaca, furent jugés par un tribunal ecclésiastique espagnol en 1681, et incarcérés, après avoir dénoncé l’esclavage et promis la damnation aux maîtres qui n’affranchiraient pas leurs esclaves. À cette époque, la position de l’Église (exprimée par Bossuet) en faveur de l’esclavage tient le haut du pavé et l’heure n’est pas venue de la critiquer.

C’est au siècle des Lumières qu’on se pose la question de savoir s’il est juste ou non d’avoir des colonies ou s’il est admissible de pratiquer la traite et l’esclavage pour les développer. Cette mise en question ne s’effectue pas sans difficultés ni ambiguïtés. Le mouvement aboli-tionniste français se dessine lentement et même à son apogée il n’aura jamais la force ni l’audace du mouvement britannique emmené par des hommes de la trempe du révérend Thomas Clarckson, auteur en 1789 d’Un essai sur les désavantages politiques de la traite des Nègres, considéré comme une " bible " du genre, ou de William Wilberforce, député des Communes, et leader incontesté du combat abolitionniste au début du XIXe siècle. Outre qu’il se heurte à de puissants intérêts, l’abolitionnisme en France se circonscrit au milieu des intellectuels et ne remue guère une opinion publique largement indifférente au sort des nègres. Aussi anti-esclavagistes fussent-ils, les philosophes eux-mêmes comme Montesquieu et Voltaire, se gardèrent bien de tenir des propos définitifs et préférèrent l’ironie à une dénonciation catégorique.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la contestation prend une autre tournure et l’Encyclopédie montre la voie. Plusieurs de ses articles sont des condamnations sans appel de l’idéologie colonialiste. Dans l’article " Population ", Damilaville expose longuement les méfaits de la colonisation, tandis que le chevalier de Jaucourt à l’article " Traite des Nègres " affirme que celle-ci " est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine ". Son ami Diderot prend aussi fermement position en participant à l’Histoire philosophique et politique... dans les deux Indes de l’abbé Raynal. Cet ouvrage publié clandestinement en 1770 marqua les esprits et déchaîna sur lui la censure et les condamnations : pouvait-on laisser dire que la traite est " le plus atroce de tous les commerces " et qu’il est regrettable que " la plupart des nations s’en soient souillées " ? Cependant, à l’exception du pasteur calviniste Benjamin-Sigismond Frossard qui publie La cause des esclaves nègres et des habitants de la Guinée... en 1789, les auteurs n’écrivent pas de traités précisément consacrés au sujet ou vont rarement jusqu’au bout de leurs convictions. Ainsi, la Société des Amis des Noirs née en 1788 autour de Condorcet, Buffon, Clavière, Mirabeau ou Brissot se prononce à la fois pour la suppression de la traite et le maintien provisoire de l’esclavage : c’est un abolitionnisme mitigé qui domine jusqu’à la Révolution - et qui persistera. On affirme que la traite est le " plus grand crime public " - selon l’expression du fils d’un " marchand de nègres " bordelais à la retraite - mais on doute de la capacité des Noirs à supporter une liberté qui leur viendrait sans préavis, entière et immédiate. L’abolition progressive de l’esclavage paraît la solution la plus censée à l’époque où l’on proclame la " Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ". Les hommes naissent libres et égaux en droits, mais à condition d’être blancs. Dans les premiers temps de la Révolution le grand débat sur le problème de l’esclavage et de la traite n’a pas lieu et les armateurs négriers poursuivent leur tâche jusqu’en 1793 : les députés qui défendent à l’Assemblée les intérêts coloniaux sont plus représentés et mieux organisés que ceux qui défendent les droits de l’homme noir. Finalement, la guerre avec l’Angleterre et le feu à Saint-Domingue - qui condamnent les négriers à l’inactivité forcée - vont peser au moins autant dans la décision d’abolir l’esclavage en 1794 que les préoccupations philosophiques.

Les abolitionnistes n’eurent gain de cause que pour un temps très bref. Dès le Consulat, le lobby colonial et esclavagiste, qui n’avait jamais désespéré, refait surface et obtient, d’un Bonaparte assez peu concerné par la question, l’annulation des acquis de la Révolution. Pour rétablir ces acquis, la Restauration aura à affronter un dernier baroud d’honneur des armateurs négriers, définitivement vaincus en 1848. Définitivement ?
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