Défusion ou démembrement?
Roux, Paul
Question: Hélène Lafrance - Le gouvernement de Charest a vraiment le don d'emmerder les gens avec le choix de son vocabulaire. Que pensez-vous de sa nouvelle trouvaille, démembrement? Est-il plus propice d'employer ce terme que défusion? Je ne m'y fais pas... mais s'il est plus près de la réalité... Merci!
Comme l'a expliqué l'auteure du Multidictionnaire, Marie-Éva de Villers, le terme démembrement n'est pas incorrect. Le Vocabulaire juridique définit, en effet, ce mot comme étant " la division d'un territoire entre plusieurs collectivités préexistantes ou nouvelles ". Quant au néologisme défusion, largement employé jusqu'ici, il est attesté par le Grand Dictionnaire de l'Office, mais il est inconnu dans le reste de la francophonie. Donc, sur le plan proprement linguistique, démembrement est justifiable. Ce qui est critiquable, c'est plutôt le moment choisi pour sortir ce terme du chapeau, pardon! du dictionnaire. Si démembrement est le mot juste, pourquoi avoir attendu l'annonce de la tenue des référendums pour tenter de l'imposer? La manoeuvre sent l'entourloupette.
Par ailleurs, je profite de l'occasion pour ne pas féliciter les organisateurs de la manifestation soulignant le premier anniversaire du gouvernement Charest. Ces gens-là ont fait coller sur les lampadaires, les bancs et autres biens publics des affiches où on peut lire Ostie d'crosseur. Quelle classe! On peut être opposé à ce gouvernement et le dire en français. Cette langue, la nôtre en fait, se prête particulièrement bien à la critique, à l'ironie, à la moquerie, voire au cynisme. Ouvrez un dictionnaire et vous verrez que ce ne sont pas les épithètes péjoratives qui manquent.
Peut-on couvrir un événement?
Question: Alain Gauthier - Quand un journaliste parle decouvrirun événement, est-ce que ce verbe est un calque de l'anglais? Si oui, quel serait le terme à utiliser?
Couvrir (un événement) vient effectivement de to cover, mais ce sens est passé dans l'usage, sans doute parce qu'il répondait à un besoin.
Est-on versatile?
Question: Denis Senécal- En voulant qualifier quelqu'un qui a beaucoup de talents, pourquoi la majorité des gens disent-ils que cette personne est versatile au lieu de dire polyvalente ? Pourtant, le mot versatile en français veut dire hésitant, changeant... Je confesse qu'avant d'employer le mot polyvalent, moi aussi j'ai été pris au piège de la... versatilité! Où l'erreur se trouve-t-elle?
Vous avez raison: dire de quelqu'un qu'il est versatile, ce n'est pas lui faire un compliment. Car cet adjectif se dit en français d'une personne inconstante, changeante, lunatique. Il n'a pas, comme son équivalent anglais, le sens de personne aux talents nombreux, polyvalente, de touche-à-tout.
C'est un touche-à-tout de génie.
Ce joueur est polyvalent; il brille dans tous les aspects du jeu.
Il a trouvé un homme à tout faire.
Versatile ne se dit pas non plus des choses. Un objet qui a de nombreux usages est un objet à tout faire, interchangeable, passe-partout, polyvalent, souple ou universel.
Une pièce polyvalente.
Un remède universel.
Par ailleurs, versatilité se dit d'une personne inconstante. Mais ce mot est un anglicisme au sens de diversité, adaptabilité, flexibilité, multiplicité, polyvalence, souplesse, universalité.
L'adaptabilité d'une scène.
La multiplicité des talents.
La polyvalence d'une secrétaire.
L'universalité des connaissances.
Peut-on initier?
Question: L.L., Verdun - On peut initier une personne à l'astronomie. Mais l'Université de Montréal peut-elle initier un programme en astronomie?
Initier s'emploie correctement en français au sens d'" apprendre à quelqu'un les rudiments d'un art, d'un métier, d'une science, etc. "
Sa mère l'a initiée à la musique.
On peut également initier quelqu'un " à un savoir peu répandu ".
Il l'a initié aux pratiques secrètes de la secte.
De nos jours, sous l'influence de l'anglais, on donne aussi à ce verbe le sens de amorcer, commencer, entreprendre, faire démarrer, instaurer, instituer, lancer, mettre en oeuvre, ouvrir, prendre l'initiative, etc. Comme on peut le voir, cet anglicisme répandu n'est pas vraiment utile.
Les CLSC ont mis en oeuvre de nouveaux programmes de prévention.
Du monde ou au monde?
Question: Paul Larose - Je voudrais savoir si on dit le plus beau, le plus grand, le plus populeux, etc., AU monde ou DU monde?
La locution du monde renforce un superlatif.
La plus belle femme du monde.
Le plus vieux métier du monde.
Quant à l'expression au monde, elle renforce tout, rien, aucun, personne.
Il était prêt à faire tout au monde pour la retrouver.
Pour rien au monde, il n'aurait cédé sa place.
Acculer au pied du mur
La locution acculer au pied du mur, qu'on emploie souvent chez nous, est pléonastique. On entend aussi à l'occasion accumuler au pied du mur, mais c'est, bien entendu, un perronisme. L'expression juste est mettre au pied du mur. Elle signifie " acculer quelqu'un à un lieu, une situation, qui lui enlève toute échappatoire ".
L'irrésistible poussée des Sharks a acculé l'Avalanche à la défaite.
Trois défaites ont mis le Canadien au pied du mur.
Petits pièges
Voici quelles étaient les erreurs de la semaine dernière:
- Le mot onde reste au singulier dans l'expression être sur la même longueur d'onde. En revanche, il prend la marque du pluriel dans l'expression être ou mettre en ondes. Il aurait donc fallu écrire:
De toute évidence, ils ne sont plus sur la même longueur d'onde.
- Pour des raisons d'euphonie, on doit utiliser la forme masculine de l'adjectif possessif devant un mot féminin commençant par une voyelle ou un h muet. Ainsi dans la phrase ci-dessous, il faut employer l'adjectif possessif son, au lieu de sa, même si le mot tasse est féminin:
Il n'est pas midi et elle en est à son énième tasse de café.
Voici les pièges de cette semaine. Les phrases suivantes contiennent chacune une faute. Quelles sont-elles?
Aristide est parti précipitamment, laissant son pays sans dessus dessous.
On vient de découvrir un système solaire semblable au nôtre, à 41 millions d'années-lumières de la Terre.
Les réponses la semaine prochaine.
Faites parvenir vos questions à Paul Roux (de grâce, ne m'appelez pas Proulx) par courriel à proux@lapresse.ca ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal (QC), H2Y 1K9.