La Constitution accroîtrait les pouvoirs du Parlement européen
Le domaine de la co-décision (le domaine législatif que le Parlement partage avec le Conseil des ministres) serait étendu à 29 nouveaux domaines.
Mais les pouvoirs du Parlement européen resteraient très éloignés des pouvoirs d’un Parlement dans une démocratie
Dans une démocratie, le Parlement partage l’initiative des lois avec le gouvernement, vote seul les lois et le budget. La Constitution européenne ne prévoit rien de semblable.
L’initiative des lois (les directives) continuerait à appartenir uniquement à la Commission (article I-26, alinéa 2).
Dans le meilleur des cas, le Parlement continuerait à ne pouvoir voter seul les directives : il ne pourrait que co-décider du contenu de ces directives avec le Conseil des ministres.
Dans les autres cas le Parlement continuerait à de rien décider. Le Conseil des ministres continuerait à décider seul des directives. Or les 21 domaines dont le Parlement serait exclu et où le Conseil des ministres continuerait seul à décider sont d’une importance décisive : le marché intérieur, l’essentiel de la Politique Agricole Commune, le Tarif Douanier Commun, la Politique Etrangère et de Sécurité Commune, la politique économique, la politique sociale, la fiscalité...
Le Conseil des ministres resterait donc le principal législateur de l’Union européenne : soit il continuerait à déterminer le contenu des directives avec le Parlement (co-décision), soit il continuerait à déterminer seul ce contenu.
Pourquoi ne pas engranger cette avancée de la démocratie, même si elle est très modeste et si c’est malheureusement la seule de la Constitution ?
Cette proposition a l’apparence du bon sens mais n’en a que l’apparence. En effet, l’adoption d’une Constitution quasi-impossible à réviser figerait la situation et empêcherait tout nouveau progrès démocratique, social, fiscal ou environnemental.
Que penserions-nous d’un syndicat qui accepterait une augmentation de 3 % des salaires à condition que cela soit la dernière pendant les 30 années à venir ? C’est pourtant ce que nous proposent ceux qui nous conseillent d’accepter cette avancée, « même modeste », de la démocratie.
Cette proposition est d’autant plus inacceptable que l’adoption de la Constitution signifierait un recul important de la démocratie dans domaine déterminant : celui de la composition de la Commission.
La composition de la Commission constituerait un recul important de la démocratie
Les pouvoirs de cet organisme non élu, énumérés dans l’article I-26 de la Constitution, sont considérables. Ils sont à la fois exécutifs (budget), législatifs (« un acte législatif ne peut être adopté que sur proposition de la Commission »), judiciaires (surveillance de l’application du droit).
Sa composition est donc particulièrement importante.
Or, malgré le passage de 15 à 25 Etats-membres, la commission resterait composée (jusqu’en 2014) d’un commissaire par Etat-membre.
Les commissaires issus des Etats représentant 4 % de la population seraient donc plus nombreux que ceux issus d’Etats représentants 75 % de la population.
Avec une population totale de 18 millions d’habitants (4 % des 450 millions d’habitants de l’Union), Malte, le Luxembourg, Chypre, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, l’Irlande et la Finlande désigneraient chacun un commissaire, soit 8 commissaires au total.
Avec une population totale de 336 millions d’habitants (75 % de la population de l’Union européenne), l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et la Pologne désigneraient chacun un commissaire soit 6 commissaires au total !
En 2014, la situation s’aggraverait.
Le nombre de commissaires disposant d’un droit de vote serait alors, en effet, réduit à 15 et la rotation entre les Etats-membres serait strictement égalitaire. Cela signifierait une Commission d’où seraient exclus pendant 5 années sur 10 tout commissaire allemand, britannique ou français !
Un droit de pétition sans aucune portée concrète
La Constitution reconnaîtrait un nouveau droit : le droit de pétition (article I-47). La possibilité de soumettre à la Commission une pétition signée par un million (ou plus) de citoyens européens devrait, si l’on en croit les partisans du « oui », inaugurer une nouvelle ère, celle de la « démocratie participative » en Europe.
Il n’en serait rien.
Ce droit de pétition serait complètement vidé de son contenu par ce même article I-47 qui lui fixerait trois limites.
1ère limite : la pétition ne ferait qu’ « inviter » la Commission à soumettre une proposition au Parlement ou au Conseil. La Commission pourrait donc ne rien faire et, en toute légalité constitutionnelle, confier la pétition à la corbeille à papier.
2ème limite : la forme et le contenu de la proposition, si elle était soumise au Parlement ou au Conseil pour qu’ils la traduisent en directive, dépendraient entièrement de la Commission qui devrait remettre à ces organismes « une proposition appropriée ».
3ème limite : cette pétition ne pourrait entraîner la moindre avancée démocratique ou sociale de la Constitution : elle ne pourrait être prise en considération par la Commission que dans la mesure où son contenu serait « nécessaire aux fins de l’application de la Constitution ».
4- POUR QUE L’EUROPE CESSE D’ETRE UN NAIN POLITIQUE
Face aux USA, l’Europe devrait pouvoir peser de tout son poids
Avec ses 450 millions d’habitants, le poids économique de l’Union européenne est supérieur à celui des USA. Elle devrait donc pouvoir faire exister un réel contrepoids à la politique des USA et à la mondialisation libérale.
Mais avec la Constitution, l’Union européenne resterait un nain politique
De nombreuses décisions politiques devraient toujours être prises à l’unanimité du Conseil des ministres : les politiques fiscales, l’essentiel des politiques sociales (article III-210), la politique étrangère et de Sécurité Commune... Dans ces domaines la paralysie continuerait donc à régner.
En imposant cette règle de l’unanimité, la Constitution continuerait à donner le pouvoir, dans le domaine fiscal et social, à des paradis fiscaux et à des Etats dont la stratégie de croissance s’appuie sur les bas salaires et l’absence de protection sociale : Chypre, Malte, le Luxembourg, l’Irlande, la Slovaquie, les Etats baltes. Cette règle est d’autant plus redoutable qu’à 25, l’unanimité serait beaucoup plus difficile à obtenir qu’à 15.
D’autres décisions pourraient être prises à la majorité qualifiée. Ce sont celles qui pourraient permettre d’élargir la concurrence et les principes du marché à des domaines toujours plus nombreux. Les décisions y seraient prises plus facilement. De nombreuses directives ont, d’ailleurs, déjà été adoptées dans ces domaines. Mais, loin de faire contrepoids à la politique des USA, ces directives (de démantèlement des services publics par exemple) s’inscrivent parfaitement dans la mondialisation libérale que les Etats-Unis veulent imposer à tous les pays de la planète.
Des appellations pompeuses qui ne changeraient rien à l’impuissance politique de l’Europe
Le nouveau « président du Conseil » n’aurait aucun véritable pouvoir, son rôle serait uniquement honorifique.
Le nouveau « ministre des Affaires étrangères » disparaîtrait dès que les choses deviendraient sérieuses. En effet, qui se souvient encore du « Monsieur Politique Etrangère et Sécurité Commune » (PESC) nommé avant la guerre de Bush en Irak ? Très vite, nous n’avions plus entendu que les ministres des Affaires étrangères ou les chefs d’Etat annonçant qu’ils se rangeaient derrière Bush (Blair, Berlusconi, Aznar...) ou qu’ils s’y refusaient (Schröder, Chirac...) Le Monsieur PESC de l’Union européenne était passé à la trappe. Il en irait de même, dans des circonstances analogues, pour le nouveau « Ministre des affaires étrangères » de l’Union. En matière de politique étrangère, la Constitution prévoit, en effet, que les décisions continueraient à se prendre à l’unanimité du Conseil des ministres (article III-300, alinéa 1). Tout comme le Monsieur PESC, le ministre des Affaires étrangères se retrouverait donc sans voix dès que les intérêts des différents Etats-membres commenceraient à s’opposer.
« Président du Conseil », « ministre des Affaires étrangères », ces appellations pompeuses ne sont là que pour cacher l’absence, dans la Constitution, d’une véritable gouvernement européen, responsable devant le Parlement. Pour cacher aussi le renoncement à transformer l’Union européenne en une véritable puissance qui puisse contrebalancer celle des USA.
5- REFUSER UNE CONSTITUTION QUI INTERDIRAIT L’HARMONISATION DES LÉGISLATIONS SOCIALES
La Constitution interdirait l’harmonisation des législations sociales
L’article III-210 alinéa 2 (Section 2 - Politique sociale) est sans ambiguïté : « à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats-membres ».
Cela signifierait que la possibilité d’instaurer progressivement un SMIC européen pour empêcher la concurrence par les bas salaires serait interdite, tout comme un alignement vers le haut des régimes de protection sociale ou une réduction harmonisée du temps de travail pour faire reculer le chômage de masse dans toute l’Union européenne.
L’harmonisation sociale par le bas serait imposée par le marché
L’article II-209 précise comment devrait se faire l’harmonisation des politiques sociales : « une telle évolution résultera du marché intérieur qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux ».
Cela signifierait la mise en concurrence des salaires et des systèmes sociaux des Etats-membres et donc, inéluctablement, leur alignement par le bas.
Rien d’étonnant donc à ce que Ernest-Antoine Seillères ait apporté son soutien à cette Constitution en affirmant lors de l’université d’été du Medef en août 2004 : « La Constitution est un progrès pour une économie plus flexible, plus productive et pour un Etat allégé. Elle bénéficiera aux entreprises ».
6- POUR DES DROITS SOCIAUX RÉELS ET PAS SEULEMENT VIRTUELS
Les droits sociaux inclus dans la Charte des droits fondamentaux sont, au mieux, des droits sociaux virtuels
La « Charte des droits fondamentaux » (la Partie II de la Constitution) n’obligerait ni l’Union européenne, ni les Etats-membres à mettre en pratique les droits sociaux énoncés dans cette charte.
Prenons l’exemple d’un Etat-membre de l’Union qui ne reconnaîtrait pas le droit de grève. L’article II-88 de la Charte qui énonce le principe de ce droit de grève ne changerait rien à la situation des salariés de ce pays. Ils n’auraient toujours pas le droit de grève.
Pour que ce droit de grève se concrétise, il faudrait : soit que l’Union vote une directive contraignante imposant le droit de grève dans tous les pays de l’Union car une telle directive n’existe pas ; soit que cet Etat-membre adopte une loi instaurant le droit de grève.
L’article II-88 précise en effet que ce droit n’aurait d’existence que s’il était conforme « au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales », c’est-à-dire uniquement s’il était reconnu par une directive européenne ou une loi d’un Etat-membre.
Or, la Charte n’obligerait ni l’Union à prendre une telle directive ni un Etat-membre à voter une telle loi.
L’article II-112 alinéa 5 l’indique sans ambiguïté : « Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes PEUVENT être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l’Union et par des actes des Etats-membres... »
L’article II-112 alinéa 5 précise également les limites de l’intervention du juge : il ne serait pas là pour obliger à l’application des principes énoncés dans la Charte. L’invocation de ces principes « n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité » des actes de l’Union ou des Etats-membres.
Cette reconnaissance d’un droit uniquement quand il existe déjà dans la législation de l’Union ou d’un Etat-membre serait également le lot de tout ce que les partisans du « oui » nous présentent comme une avancée sociale de la Constitution : le droit à l’information des travails, la protection en cas de licenciement injustifiées, la Sécurité sociale et l’aide sociale, l’accès au services d’intérêt économique général...
Affirmer, comme le font les partisans du « oui », que l’intégration des droits sociaux dans la Constitution lui confèrerait une force juridique contraignant relève donc, au mieux, de la contrevérité.
Pire, la Charte des droits fondamentaux serait un point d’appui pour des reculs sociaux
L’article II-88 reconnaît le droit de grève non seulement aux salariés mais aussi aux employeurs.
Le droit de grève des employeurs (le « lock out ») n’existe pas dans la législation française. Mais, un gouvernement de droite pourrait fort bien trouver dans cet article II-88 le point d’appui nécessaire à l’instauration du droit au « lock out » en France. Or, un tel droit constituerait une arme redoutable aux mains d’un employeur et pourrait difficilement passer pour un progrès social. Ce droit permettrait, en effet, à l’employeur d’exercer un chantage considérable sur ses salariés puisqu’il aurait le droit de fermer son entreprise et de ne plus les payer, sans pour autant avoir à déposer son bilan.
L’article II-75 reconnaît « le droit de travailler ». Le préambule de la Constitution française reconnaît « le droit au travail ». Ce sont deux principes radicalement différents.
Le « droit de travailler » n’a aucune conséquence pratique. Le « droit au travail » implique l’obligation de fournir à toute personne privée de travail un revenu de remplacement. Ce principe est, en France, le fondement juridique de l’assurance-chômage et du RMI.
Le Gouvernement Raffarin a déjà commencé à s’attaquer au RMI et à l’assurance-chômage. La Constitution, en substituant le « droit de travailler » au « droit au travail » lui permettrait d’intensifier son offensive.
7- REFUSER QUE NOS SERVICES PUBLICS SOIENT CONDAMNÉS A DISPARAÎTRE
Les services publics n’ont pas droit de cité dans la Constitution Seuls dont pris en compte les Services d’Intérêt Economique Général (SIEG) qui sont une version très allégée de ce que, en France, nous entendons par « services publics ».
Des garanties illusoires qui n’ont aucune prise sur la réalité Les partisans du « oui » estiment que l’existence de nos services publics serait garantie par deux articles de la Constitution.
L’article II-96, tout d’abord : « L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément à la Constitution... »
Mais les termes « conformément à la Constitution » loin d’être une garantie constitueraient, au contraire, une menace pour nos services publics.
En effet, le principe de base de la Constitution est celui d’un marché « où la concurrence est libre et non faussé ». Le risque serait alors grand de voir les services publics mis en concurrence avec des organismes privés qui ne respecteraient aucune des règles inhérentes aux services publics : égalité entre les usagers, péréquations tarifaires (qui fait que le timbre n’est pas trois fois plus cher pour un habitant d’une zone rurale que pour celui d’une grande ville)... et obligeraient les services publics à agir de même (en fermant par exemple des bureaux de poste) pour pouvoir survivre.