Traite négrière: J-1 Arrêter la Vente de documents historiques, biens culturels, objets de Mémoire
Traite négrière: J-1 Arrêter la Vente de documents historiques, biens culturels, objets de Mémoire
11/01/2005
Le mercredi 12 janvier 2005 est prévue la vente aux enchères à Lyon de manuscrits et lettres relatant l’activité négrière en France et dans les colonies françaises entre les 17ème et 18ème siècle. Cette perspective grave et urgente a suscité depuis, une émotion déchirante et compréhensible de la part de Français et citoyens de toutes origines, en particuliers des descendants d’esclaves africains.
Communiqué Afrikara: Contre la Vente aux enchères d’archives sur la traite négrière le 12 Janvier 2005 à Lyon
A un jour d’une banale opération mercantile dont le quotidien français bien pensant Le Monde a fait une indécente publicité <06-01-05>, nullement gêné du caractère immoral des profits à tirer de pratiques négrières criminalisées, il est temps que l’émotion se traduise en mobilisation, la mobilisation en actions positives.
Ces actions positives, juridiques, politiques, médiatiques et citoyennes reposent sur la légitimité éthique et juridique d’une suspension sine die de la vente aux enchères des documents historiques sur la traite des Africains.
* D’un point de vue éthique il est inadmissible que des familles et entités commerciales dont les ascendants ont vécu de la traite négrière esclavagiste, crime contre l’Humanité dans la législation française, trouvent opportunités commerciales dans les documents retraçant cette barbarie indicible. Comme si la chaîne des profits négriers continuait de faire des intérêts, comme si les Africains, descendants d’Africais, descendants d’Esclaves n’avaient pas accédé à cet autre statut qui se nomme la liberté…
Et en matière de crime contre l’humanité, la morale, avant le droit, peut-elle être rejetée au second plan ? Cette même morale à laquelle le juge français faisait appel entre autres arguments, dans son ordonnance du 26 février 2002 condamnant Yahoo.com accusé de vendre en ligne d’objets nazis.
* D’un point de vue juridique la loi dite Taubira de 2001 fait de la traite négrière et de l’esclavage un crime contre l’humanité. A ce titre toutes actions, transactions économiques, culturelles, politiques, sociales en relation avec ce crime odieux sont légitimement susceptibles de mesures conservatoires, censées prévenir des dommages sur le patrimoine, les objets de mémoire, les éventuels troubles et débordements humains. De plus le commerce d’objets, documents, artéfacts renvoyant à ce crime ne peut être considéré comme un commerce classique, donc susceptible là aussi d’un traitement particulier.
Les manuscrits et correspondances des négriers rentrent à priori dans la catégorie des biens culturels frappée d’un code de déontologie limitant les transferts de propriété.
En effet la Convention de l’Unesco sur le commerce des biens culturels, signée le 17 novembre 1970 définit dans la catégorie des biens culturels : « les biens qui à titre religieux ou profane, sont désignés par chaque Etat comme étant d’importance pour l’archéologie, la préhistoire, l’histoire… ». La dite convention dont la France est signataire, cite explicitement les biens concernant l’histoire, les archives, les manuscrits rares et incunables parmi les biens culturels, soumis par conséquent à des restrictions de liberté commerciale.
Ces biens étant reconnus porteurs d’une incidence dans l’éducation, la recherche, la formation de l’identité et de la mémoire collectives, il est naturel que leur vente soit soumise à expertise préalable aux fins de déterminer leur valeur historique et le coût encouru par la nation à les abandonner à l’esprit de lucre.
La nature culturelle des biens, éminemment éligibles à la protection publique et le cadre d’ensemble de la loi Taubira exigent une suspension de la vente aux enchères prévue le 12 janvier à Lyon de manuscrits et lettres relatifs au trafic négrier.
Le moyen probablement le plus rapide d’y arriver compte tenu des délais est la procédure de référé, qui permet d’obtenir d’un juge une mesure provisoire de suspension de la vente du 12 janvier 2005. Le référé peut être utilisé en cas d’urgence, et n’ayant pas l’autorité de la chose jugée, d’exécution provisoire, il peut être relativement aisément obtenu dès lors que les mesures ne se heurtent pas à des contestations sérieuses. Et là encore le président du tribunal pourrait néanmoins faire droit à une requête motivée dans son urgence, ses conclusions, et en sus visées des pièces justificatives.
Il serait peu honorable, et c’est un énorme euphémisme, que les communautés concernées au premier chef ne trouvent pas de compétences appropriées pour obtenir le succès de cette première procédure…
D’autres solutions sont possibles, qui consisteraient à ce que des associations, institutions publiques -Etat, Conseil régionaux, …- se portent acquéreurs des documents en question. Ceci ne serait qu’une sortie très ponctuelle dans la mesure où elle ne s’opposerait pas sur le fond à la marchandisation des archives, biens culturels, objets de mémoire et à valeur historiographique.
Il serait enfin pitoyable que seul un concert de protestations accueille cette vente, et que l’émotion seule réponde d’une question aussi cruciale, appelée à faire l’objet d’une attention redoublée quant au statut des autres archives, de leur mise à disposition du public, chercheurs, historiens, éducateurs…
Paris le 11 Janvier 2005
Ze Belinga
Directeur de publication Afrikara.com