N° 7 - Décembre 2005
Philosopher au Karcher
Un ami français vivant au Japon m'interroge sur l'embrasement des
banlieues. Pour ce faire, je lui prépare des articles de presse, je
collectionne les interventions d'intellectuels, je classe les avis
de philosophes et nous en reparlerons à Noël quand nous nous
retrouverons. En attendant, la pile de documents accumulés mérite
qu'on s'y arrête !
Je récapitule : Attali déplore l'inaction des politiques depuis
vingt ans. Je rêve ! Que fit ce conseiller du Prince auprès du
fossoyeur de la gauche pendant deux septennats ? Sa solution :
donner les moyens aux jeunes des banlieues pour devenir chef
d'entreprise. Bravo ! Super… BHL n'y comprend rien : énergie noire,
tourbillon de nihilisme, pas de rationalité. Ah bon ? Ce sartrien a-
t-il oublié les analyses de la Critique de la raison dialectique sur
les relations entre violence et politique ? Badiou, défenseur des
crimes maoïstes – lire Le siècle…-, rapporte les mésaventures de son
fils adoptif, noir, embarqué par la police alors qu'il accompagne un
copain qui négocie un vélo probablement sans facture : quel rapport
entre cette anecdote et la crise ? Carrère d'Encausse, bicornée à la
télévision russe, voit des nègres polygames partout et des familles
nombreuses qui débordent dans les cités, s'ennuient, donc cassent et
brûlent. Profond ! Baudrillard vaticine : néant, décadence,
désintégration, déshérence : « Nique ta mère » dit le titre de son
article, la page en dessous est inutile, le titre suffit. André
Glucskmann associe les incendiaires et les électeurs du non aux
dernier référendum. Ben voyons ! Ces nihilistes des cités sont du
même tonneau que les défenseurs de Saddam Hussein et de Poutine !
André, tu déjantes… Finkielkraut mériterait la chronique a lui
seul : il n'aime pas les blacks, les beurs, les footballeurs, les
rappeurs, les jeunes, les musulmans, en revanche, il apprécie le
colonialisme, la république, la France aux français. S'il n'aime pas
Le Pen, Le Pen, lui, va finir par l'aimer… Régis Debray déplore le
manque de religieux qui crée si bien le lien social ! Ah, l'eau
bénite républicaine, quel placebo sublime, quelle panacée ! Sollers
affirme que ce cri n'a qu'un seul destinataire : Chirac… Ah oui,
vraiment ? Malek Chebel ne comprend pas, l'Islam est une religion de
paix et d'amour – mais ça n'était pas la question. Sibony débite son
Freud et disserte sur la régression archaïque… Bien, bien.
Je suis stupéfait : aucune analyse politique, pas de considération
sur ce nouveau lumpenprolétariat survivant dans les cités, nulle
part les mots qui fâchent et qui expliquent : libéralisme, loi du
marché, chômage, misère, paupérisation, urbanisme, logement,
racisme, discrimination. Récuser le politique – et la politique -
c'est reculer pour mieux sauter – au sens pyrotechnique du terme...
Michel Onfray
Source :
http://perso.wanadoo.fr/michel.onfray/Chronique_Dec05.htm