Vous vous êtes intéressé à la vie des Dumas (père, fils et petit-fils) au travers de plusieurs livres. Qu’est ce qui a suscité chez vous cet intérêt pour les Dumas ?
L’histoire des Dumas est liée à celle de l’Afrique, au passé esclavagiste de la France. C’est mon histoire. C’est notre histoire à tous. Le général Dumas a été rayé des cadres de l’armée française à cause de la couleur de sa peau. Son fils n’a pas eu le droit de faire des études. Toute sa vie, on l’a insulté et humilié. La France a voulu se servir de son prestige d’auteur en le mettant au Panthéon tout en niant ses origines. Alors, je me suis insurgé en brandissant un livre. J’en brandis un autre, aujourd’hui, quand on crie haro sur Haïti. Et mon encrier n’est pas encore sec.
A l’occasion du transfert des cendres d’Alexandre Dumas au Panthéon, on a beaucoup parlé de lui et certains ont affirmé que sa négritude n’était pas assez reconnue ou avait été passée sous silence. Quelle est la part d’exactitude dans ces propos ? Alexandre Dumas se percevait-il comme un noir à l’époque quand on sait que seule sa grand-mère était noire ?
Dumas n’avait qu’à se regarder dans la glace. Et s’il ne voulait pas se regarder dans la glace, il lui suffisait de jeter un coup d’œil aux caricatures qu’on faisait de lui dans les journaux ou d’écouter ce qu’on disait dans son dos . Des choses comme " ça pue le nègre, ici ! ". Dumas n’était pas blanc de peau. Donc il était nègre. C’est comme cela en France. Si l’on n’est pas tout blanc, on est forcément tout noir. Fils et petit fils d’esclave, peu importait la nuance. Dumas savait d’où il venait. Il en a souffert. Le racisme avait fait mourir son père de chagrin et de désespoir.
Toujours à l’occasion du transfert des cendres d’Alexandre Dumas au Panthéon, vous avez effectué un discours au Sénat français le 30 novembre 2002. Comment avez-vous préparé cette initiative et comment ont réagi les responsables politiques présents face à votre discours que certains qualifieraient "d’engagé" ?
Christian Poncelet, président du Sénat, a lu mon livre. Ce faisant, il a été outré d’apprendre ce qu’on avait fait au général Dumas, dont la statue, déboulonnée par les nazis et les collaborateurs français à Paris en 1943, n’a toujours pas été remise à sa place. M. Poncelet a voulu faire quelque chose et il m’a invité à en parler au Sénat devant le cercueil du fils de l’esclave, ce nègre qu’on allait mettre au Panthéon en le faisant passer pour un bon Français du terroir. J’ai prononcé une allocution dont j’avais écrit le texte, la nuit précédente, avec la rage d’un descendant d’esclaves. Après cette allocution, le président Chirac a modifié son propre discours et en a durci le ton qui se voulait dès le départ antiraciste. Mais quand il s’est agi d’Haïti, quelques mois plus tard, il a désigné un blanc pour " réfléchir " sur ce que la France allait faire. Il faut se souvenir qu’en deux cents ans aucun chef d’état français n’est jamais venu dans cette ancienne colonie, devenue maudite à jamais pour s’être un jour révoltée.
Vous avez par ailleurs effectué des travaux sur le chevalier de Saint-George. Pouvez -vous nous présenter ce personnage contemporain du général Thomas-Alexandre Dumas ?
Joseph de Bologne-Saint-George, né esclave à la Guadeloupe en 1745, mort libre à Paris en 1799, est l’un des personnages les plus fascinants du XVIIIe. Quoique son père fût blanc, c’était un nègre et un nègre de génie. Musicien, aventurier, sportif de haut niveau. Je lui ai consacré un ouvrage qui sortira l’an prochain. On n’a pas fini de parler de Saint-George et j’aurai l’occasion d’y revenir, si vous le permettez. En attendant, que chacun écoute sa musique, enfin enregistrée.
Votre dernier livre est un roman historique intitulé "L’Expédition". Pouvez vous nous en parler ?
" L’Expédition " raconte l’histoire des événements qui ont amené Haïti à l’indépendance en 1802. J’ai choisi de raconter cette histoire à travers le récit imaginaire et féminin de Pauline Bonaparte, sœur de Napoléon (qui a rétabli l’esclavage dans les colonies françaises et qui, de ce fait, a perdu Haïti). Pauline a effectivement assisté à ces événements. Son " reportage " est un témoignage implacable contre la barbarie. C’est aussi l’histoire d’une femme qui s’est battue pour sa propre liberté. Dans " L’Expédition ", je n’ai jamais une seule fois évoqué la couleur de peau des gens. Aucun critique ne l’a remarqué. J’en éprouve une certaine fierté.
Nous vous remercions
Pour en savoir plus
http://www.claude-ribbe.com/
http://www.claude-ribbe.com/allocution.html