Louis Schweitzer, président de la Haute Autorité contre les discriminations:
«Plus la sanction est exemplaire, mieux c'est»
Par Nathalie RAULIN
lundi 26 septembre 2005 (Liberation - 06:00)
louis Schweitzer, ancien PDG de Renault, vient de prendre les fonctions de président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), nouvellement créée sous l'impulsion de Jacques Chirac.
Les études actuelles confirment l'existence de discriminations, notamment raciales, en entreprise. Pensez-vous que la Charte de la diversité, lancée il y a un an par une dizaine de grandes entreprises, peut suffire à inverser la tendance ?
On est à un point d'inflexion dans l'attitude des acteurs sociaux envers la discrimination : l'indifférence fait peu à peu place à l'engagement. Ce changement de cap, encore fragile, suppose pour être tenu que trois éléments soient réunis : un effort de pédagogie générale, un engagement des entreprises et des syndicats et une volonté de faire respecter la loi. La Charte pour la diversité est une des nombreuses actions de sensibilisation et de communication à mener. Des entreprises, comme Renault, avaient anticipé le mouvement en mettant en place un code interne de bonne conduite, assorti d'un suivi au niveau du comité mondial du groupe. Que le ministre de la Promotion de l'égalité des chances, Azouz Begag, mouille la chemise pour inciter les entreprises à adopter cette initiative ne me choque pas, au contraire. Il faut y aller tous azimuts. Le président Chirac avait lui-même profité de l'installation de la Halde pour appeler les entreprises à négocier avec les partenaires sociaux un accord-cadre pour lutter contre la discrimination. Avec succès puisque Laurence Parisot a annoncé lors de l'université d'été du Medef qu'elle avait l'intention de donner suite. Dans la mesure où il ne s'agit pas d'une manoeuvre de l'Etat pour se défausser, ni des entreprises pour contourner le dialogue social, la Charte est utile. Elle ne peut néanmoins suffire à résoudre le problème.
Le rapport Fauroux sur les discriminations rendu public début septembre se dit favorable au recensement des minorités ethniques au sein des entreprises. Qu'en pensez-vous ?
Les études statistiques permettent déjà d'apprécier les discriminations portant sur le sexe, l'âge ou le lieu de naissance des parents. Les opérations de testing viennent compléter ces informations. Aller plus loin serait s'engager dans une voie dangereuse. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) s'oppose à ce que les salariés puissent être identifiés par leur origine ou leur appartenance ethnique : la sagesse est de s'en tenir à ses recommandations.
Quelles mesures concrètes préconisez-vous pour réduire les risques de discriminations «inconscientes» ?
Les recruteurs devraient éviter de recourir aux techniques de sélection induisant de la discrimination indirecte (celle qui résulte de l'organisation de l'entreprise, ndlr). C'est notamment vrai des tests de culture générale dont on sait qu'ils sont souvent de peu d'utilité dans l'exercice d'un métier. Je ne pense pas en revanche que les CV anonymes soient la panacée : Axa dit s'en être servi avec succès. Mais cette technique ne peut être utilisée valablement que par les grandes entreprises ou celles qui recrutent par l'Internet. Le CV anonyme reste une solution subsidiaire peu convaincante.
Pour modifier les pratiques des recruteurs, ne sera-t-il pas nécessaire de multiplier procédures judiciaires et sanctions ?
Sans aucun doute. La répression a une double vertu : elle permet de lutter contre la résignation des victimes et de dissuader les mauvais sujets. Les délits doivent être sanctionnés et, plus la sanction est exemplaire, mieux c'est. Il n'est d'ailleurs nullement nécessaire de modifier notre arsenal législatif. Il s'agit de l'utiliser afin de réduire le niveau de discrimination actuel. Le statu quo n'est pas tolérable.