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> Guerrier zoulou en costume cravate
> LE MONDE |
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> dumiso Ngcobo sait ce qu'il aurait aimé faire dans la vie : "Etre assis au
> centre d'une pièce très confortable, avec une bière fraîche, recevoir des
> gens et leur donner mon avis. J'ai un avis sur tout." Il y est presque
> arrivé.
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> Depuis trois mois, après le succès de son premier livre Some of My Best
> Friends Are White (Certains de mes meilleurs amis sont Blancs), il a quitté
> le monde de l'entreprise, où il étouffait, pour écrire, donner son opinion,
> raconter son Afrique du Sud, commenter l'actualité et boire de la bière.
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> Il porte sur son pays et ses congénères un regard sans concession,
> dénonçant leurs travers, leurs manies, leurs préjugés et parfois leur
> bêtise. Il manie la satire, parfois le sarcasme, avec ce qu'il faut
> d'humanité et de tendresse, pour que son humour ne soit jamais blessant.
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> Ndumiso Ngcobo, 36 ans, père de trois enfants, est un guerrier zoulou en
> costume-cravate, un pur produit de la culture traditionnelle rurale échoué
> dans la bouillonnante et cosmopolite Johannesburg. Pendant des années, il a
> essayé de comprendre les autres Sud-Africains, les Blancs en particulier,
> "les gens les plus étranges" qu'il a rencontrés.
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> Il se dit plutôt un admirateur des Blancs et les remercie d'être descendus
> jusqu'au fin fond de l'Afrique. "Rendez-vous compte, s'ils n'étaient pas
> venus, nous serions encore à rôder dans des cavernes, habillés d'un
> cache-sexe, à faire des drôles de clics avec notre bouche, et à sacrifier
> des jeunes vierges à des divinités païennes", explique Ndumiso dans son
> livre.
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> En plus, les Blancs ont apporté avec eux le pantalon long, un progrès
> inestimable, surtout quand on sait combien il est inconfortable de conduire
> assis sur le siège en cuir de sa berline, avec les cuisses qui collent en
> été et qui gèlent en hiver, raconte Ndumiso. Mais le Zoulou des villes
> pourtant l'avoue : il a un problème avec les Blancs, il ne les comprend
> pas. Pourquoi, par exemple, sont-ils incapables de prononcer les noms
> zoulous ? "Nous, les Noirs, nous sommes très fiers de nos noms. Je ne vous
> demande pas d'apprendre ma langue, juste d'arriver à prononcer le nom du
> gars qui travaille dans le même bureau que vous depuis cinq ans. Il ne
> s'appelle pas Zap, comme vous l'avez décidé, mais Xam'obhaxul'abanye."
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> Malgré tous ses griefs et un certain nombre d'interrogations sur les moeurs
> et coutumes étranges de ses concitoyens blancs, Ndumiso Ngcobo l'avoue :
> "Certains de mes meilleurs amis sont blancs." Le titre du recueil de
> Ndumiso a fait beaucoup pour lancer les ventes, ensuite le
> bouche-à-oreille, puis les critiques, plutôt bonnes, ont amplifié le
> phénomène. Certes le livre, réédité plusieurs fois depuis son lancement il
> y a tout juste un an, n'a pas encore dépassé les 5 000 exemplaires mais, à
> l'échelle de l'Afrique du Sud, il est déjà qualifié de best-seller.
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> Avec un taux d'alphabétisation bas, un pouvoir d'achat très faible, seule
> une petite minorité de Sud-Africains lisent et surtout achètent des livres.
> Some of My Best Friends... coûte 133 rands, une douzaine d'euros, soit le
> budget alimentation d'une semaine pour une famille moyenne.
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> Pourtant ces dernières années, plusieurs ouvrages d'humour et de satire ont
> obtenu de bons résultats. "En ce moment, les nouvelles ne sont pas
> réjouissantes. C'est assez déprimant. Il faut apprendre à savoir en rire
> pour que ce soit plus supportable. Les Sud-Africains ont besoin de
> décompresser. Et ce livre est une vraie thérapie pour nous tous", explique
> Grant Schreiber, de la maison d'édition Two Dogs, qui a publié Ndumiso
> Ngcobo.
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> Avec moins d'une quinzaine de titres dans son catalogue, Two Dogs est une
> jeune maison d'édition au départ spécialisée dans les "livres pour mec",
> comme Mode d'emploi du corps féminin ou Ça, je peux le faire, un guide
> loufoque de gym pour les fainéants. Cependant, la maison publie de plus en
> plus d'ouvrages d'humour, de satire sociale ou politique. Two Dogs a ainsi
> récemment connu un nouveau succès de librairie avec Is It Just Me or Is
> Everything Kak ? (Est-ce que c'est moi ou tout est vraiment merdique ?). Le
> livre est une complainte par ordre alphabétique de tout ce qui ne va pas
> dans le pays de "AA à JZ", de l'"Affirmative Action" à "Jacob Zuma", le
> nouveau président de l'ANC, probable futur chef de l'Etat.
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> "Nous avons été pendant des années une société repliée sur elle-même.
> Longtemps aller d'un village à l'autre dans le Kwazulu-Natal relevait de
> l'aventure. Désormais on voyage dans notre propre pays, on prend conscience
> des autres, on apprend à se connaître, on découvre aussi notre identité
> sud-africaine, notre spécificité", explique Ndumiso Ngcobo.
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> Pour mieux se connaître, selon lui, il faut casser les clichés. Par exemple
> celui sur les Zoulous, toujours présentés comme un peuple belliqueux, des
> guerriers recherchant en permanence la bagarre. Ils ne sont pas, assure
> Ndumiso, "génétiquement assoiffés de sang", ils ont juste une "soif
> inextinguible d'ordre". Par exemple, un enfant essaie de gagner une place
> dans la queue qui mène à la cantine, le petit Zoulou agacé lui casse la
> figure, l'enfant reprend sa place dans la queue et l'ordre est rétabli.
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> Les Blancs, les Zoulous, les Indiens, les chauffeurs de taxi, les femmes
> noires, mais aussi l'éducation des enfants, les Noirs nouveaux riches ou la
> démocratie, Ndumiso attaque tout le monde et dépeint une société pleine de
> contrastes, de contradictions et surtout de préjugés.
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> "Il faut aérer les clichés de temps en temps, les exposer au soleil. Ce
> sont comme des bactéries qui se développent dans les coins sombres et
> humides, il faut leur donner de l'air", explique Ndumiso. La commission
> vérité et réconciliation n'a pas pu, loin de là, rapprocher les
> Sud-Africains. La nation arc-en-ciel reste un idéal et n'est toujours pas
> une réalité. "On n'éradiquera pas le racisme. C'est comme une maladie
> incurable, on peut juste apprendre à vivre avec." Il considère toujours a
> priori ses concitoyens comme racistes, jusqu'à ce qu'ils lui prouvent le
> contraire. "Même si nous parvenions à éradiquer le racisme, nous serions
> loin d'avoir réglé les problèmes de notre société", ajoute-t-il.
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> Ndumiso Ngcobo a écrit son premier livre alors qu'il était encore employé
> d'une grande compagnie d'agroalimentaire. Il y a occupé plusieurs postes, à
> l'écouter, tous plus barbants et rasoir les uns que les autres. Il garde un
> souvenir particulièrement ennuyeux de son passage au service consommateurs.
> "Passer ses journées à expliquer à une dame pourquoi la soupe en sachet
> étiquetée "25 % de sel en moins" est moins salée, c'est un boulot que je ne
> veux plus jamais faire", affirme-t-il.
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> A l'université, il a surtout couru après les filles. Pour lui, les études
> c'était avant tout des superfêtes, la politique, les manifestations, les
> feuilles de chou du campus et les boycottages. "Les sciences finalement ce
> n'était pas ma vocation." Ndumiso Ngcobo n'a pas passé plus de trois ans en
> biologie, il est allé enseigner les mathématiques avant de reprendre plus
> tard ses études et d'entrer dans le monde de l'entreprise. Un marigot pas
> vraiment à la dimension de ce genre de crocodile.
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> Dès qu'il a su lire, Ndumiso n'a plus lâché les livres, ni arrêté d'écrire.
> Les mots sont la seule chose qui l'intéresse. Désormais il ne vivra plus
> que de ça. Il écrit son blog tous les jours, sur le site du Mail and
> Guardian, le plus influent des hebdomadaires sud-africains ; il rédige des
> chroniques pour différents journaux, participe à des émissions de radio, il
> aimerait d'ailleurs avoir son propre programme et prépare son deuxième
> livre.
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> Fabienne Pompey